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10/04/2010

L’interprétation spirituelle de l’Ecriture

 

 

 

ou

la distinction entre sens littéral et le « littéralisme »

afin d'éviter une interprétation charnelle du texte sacré

 

 

 

 

 

 

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« Une sagesse si profonde se cache dans les paroles de la Sainte Écriture,

que les esprits les plus pénétrants, les plus désireux d’apprendre,

et qui ont passé le plus d’années à cette étude,

 éprouvent la vérité de ce mot de la même Écriture :

Lorsque l’homme croira avoir fini, il ne fera que commencer… »

 

Saint Augustin, lettre 137, à Volusien, 3.

 

 

 

 

 

Si l’Eglise, au cours des siècles, insista comme elle le fit sur la nécessité d’une approche « spiritualisée » des Prophéties, elle le doit à sa fidélité à Jésus-Christ, car  si les Juifs ont interprété de manière charnelle les Prophéties, il importe de constater qu’il existe comme une montée en purification du sens des textes, culminant dans l’Evangile, où le Royaume messianique apparaît toujours davantage comme le Royaume des saints du Très-Haut, préformant dès ici-bas, jusqu’à l’intérieur même d’Israël, la séparation définitive et éternelle des bons et des méchants : « Les saints du Très-Haut recevront le Royaume pour l’éternité, pour une éternité d’éternités. » (Daniel VIII, 18). Cette montée purificatrice du sens de l’Ecriture, fut constatée par l’ensembles des Pères, de s. Jérôme à s. Clément d’Alexandrie, en passant par s. Basile, s. Hilaire de Poitiers, s. Thomas d’Aquin, s. Bonaventure, etc., c’est pourquoi on la retrouve notablement sous la plume des auteurs spirituels et théologiens de la période classique, dont Bossuet.

 

 

 

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Blaise Pascal se fondant sur s. Augustin,

insista sur la nécessité d'une interprétation non charnelle del’Ecriture

 

 

 

On insiste moins, et c’est dommage, sur le fait que Blaise Pascal, dans son apologétique, se fondant sur s. Augustin qui, lui aussi, avait eu à résoudre ces mêmes problèmes, vit très bien la présence de cette orientation purificatrice non charnelle traversant l’Ecriture, et s’exprima à ce sujet avec intelligence face aux esprits forts qui persiflaient au XVIIe siècle, et se moquaient des « naïvetés » contenues dans certaines pages de la Bible, notamment au sujet des descriptions de certaines prophéties qui insistent sur l’accumulation de terres, de richesses, de troupeaux, pour ceux qui seront fidèles à Dieu.

 

Voici ce qu’écrivit Pascal :

-  « L’Ancien Testament n’est que figuratif, les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens… » 

                   Il précise ailleurs :

- « Nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai, parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmesL’Ancien Testament est un chiffre, dont on trouve la clef en se souvenant qu’il vient d’un Dieu qui veut être adoré en esprit et en vérité. » [1]

Effectivement, si le Christ ne cessa de reprendre ses disciples, comme il le fit avec la Samaritaine, pour expliquer que Dieu, cherchant de vrais adorateurs, ne souhaitait plus qu’un culte lui soit rendu ni sur une montagne ni à Jérusalem, c’est qu’il voulait être adoré à présent, l’heure étant venu, en « esprit et en vérité » (Jean IV, 23-24), c'est ce que rappela, fort justement, le Saint Père Pie XII, dans sa lettre Encyclique ‘‘Divino Afflante Spiritu’’, qu'il nous faut de nouveau lire et étudier, afinn d'éviter le piège grossier d'une interprétation charnelle de l'Ecriture. 

Note.

1.  B. Pascal, Pensées, [659] ; [587] ; [691].

 

 

 

 

 

 

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Commentaire, par Zacharias,

 de la lettre Encyclique de Pie XII

 ‘‘Divino Afflante Spiritu’’

 

 

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 «Les paroles et les faits de l'Ancien Testament

ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu

de telle manière que le passé signifiât d'avance d'une manière spirituelle

ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. »

 

SS. Pie XII

 

 

 

 

 

Dans sa lettre Encyclique Divino Afflante Spiritu promulguée le 30 septembre 1943, en la fête de saint Jérôme, dont il est dit dans la dédicace qu’il est « le plus grand des Docteurs dans l'exposition des Saintes Ecritures », Pie XII explique, contrairement à ce que certains soutiennent faussement et avec un soin tout spécial, la nécessité d’une approche spirituelle du sens de l’Ecriture.

 

Comme procède-t-il pour exposer cette nécessité ? Tout d’abord il rappelle l’œuvre de ses prédécesseurs, en particulier Léon XIII et Benoît XV, puis la place de celui qui fut, sans conteste, le plus grand interprète du Texte sacré pour en dégager son sens spirituel, à savoir s. Jérôme :  «A l'occasion du XVe centenaire de la mort de saint Jérôme, le plus grand des Docteurs dans l'interprétation des Saintes Lettres, Benoît XV, après avoir très religieusement rappelé les instructions et les exemples du saint Docteur, ainsi que les principes et les règles donnés par Léon XIII et par lui-même… » [§ 14)].

 

C’est alors, après de nombreuses réflexions [des paragraphes 1 à 26]  portant sur le respect, l’amour et la dévotion que doivent avoir les chrétiens pour les Ecritures en refusant les critiques modernistes qui lui dénient son caractère d’inspiration divine, et que signalant l’importance d’avoir recours au texte original en grec ou en hébreu pour mieux comprendre le sens de l’Ecriture, Pie XII explique, s’agissant du sujet qui nous occupe, soit celui du sens littéral dont il se ferait le promoteur dans cette lettre Encyclique selon une curieuse conception :

 

« Bien fourni de la connaissance des langues anciennes et des ressources de la critique, l'exégète catholique peut aborder la tâche - la plus importante de toutes celles qui lui incombent - de découvrir et d'exposer le véritable sens des Livres Saints. Que les exégètes, dans l'accomplissement de ce travail, aient toujours devant les yeux qu'il leur faut avant tout s'appliquer à discerner et à déterminer ce sens des mots bibliques qu'on appelle le sens littéral. » [§ 27]

 

Première découverte, le sens « littéral » selon Pie XII, est synonyme de sens « original, c’est-à-dire du sens que le mot possède dans sa langue d’origine. Cela n’a donc strictement rien à voir avec un sens des mots « pris au pied de la lettre », ce que l’Eglise qualifie en le rejetant de « littéralisme », tel que le pratiquent les interprètes réformés et protestants évangéliques.

 

Le Saint Père poursuit :

 

« Ils doivent mettre [les exégètes] le plus grand soin à découvrir ce sens littéral des mots [celui qu’il a dans les langues d’origine] au moyen de la connaissance des langues, en s'aidant du contexte et de la comparaison avec les passages analogues ; toutes opérations qu'on a coutume de faire aussi dans l'interprétation des livres profanes, pour faire ressortir plus clairement la pensée de l'auteur. » [§ 27]

 

Comme nous le voyons, nulle position chez Pie XII, visant à considérer que le sens littéral correspondrait à une interprétation littéraliste, ce qui serait absurde et en contradiction avec les Pères cités dans la lettre Encyclique comme les interprètes les plus assurés de l’Ecriture, s. Jérôme et s. Augustin, mais une demande de mieux connaître le sens des mots dans les langues utilisées par les auteurs inspirés. Ce n’est pas du tout la même chose !


D’ailleurs la remarque trouve immédiatement son éclairage dans la suite de la Lettre Encyclique :


« Que les exégètes des Saintes Lettres, se souvenant qu'il s'agit ici de la parole divinement inspirée, dont la garde et l'interprétation ont été confiées à l'Eglise par Dieu lui-même, ne mettent pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l'Eglise, ainsi que des explications données par les saints Pères, en même temps que de " l'analogie de la foi ", comme Léon XIII les en avertit très sagement dans l'Encyclique Providentissimus Deus (LEONIS XIII Acta, XIII, p. 345-346 ; Ench. Bibl. n. 94-96). » [§ 28]

 

Remarquable précision de Pie XII ! l’interprétation est confiée à l’Eglise, et non aux lumières particulières de chacun, ce qui invalide l’approche personnelle du texte comme le fait Vincent Morlier, mais de plus cette demande est assortie de l’avertissement :  « ne mett[a]nt pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l'Eglise, ainsi [ceci est d’importance] que des explications données par les saints Pères, en même temps que de " l'analogie de la foi " » [§ 28]. Or, les interprétations du Magistère depuis des siècles insistent toutes sur le sens spirituel et s’appuient, à juste titre, sur le principe « d’analogie de la foi » ! L’analogie de la foi qui est l’application du sens spirituel qu’il faut observer à l’égard de l’Ecriture.

 

Dans sa sagesse le saint Père indique donc :

 

« Qu'ils s'appliquent [les exégètes] d'une manière toute particulière à ne pas se contenter d'exposer ce qui regarde l'histoire, l'archéologie, la philologie et les autres sciences auxiliaires - comme Nous regrettons qu'on ait fait dans certains commentaires ; - mais, tout en alléguant à propos ces informations, pour autant qu'elles peuvent aider à l'exégèse, qu'ils exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes en matière de foi et de moeurs, de sorte que leurs explications ne servent pas seulement aux professeurs de théologie à proposer et à confirmer les dogmes de la foi, mais encore qu'elles viennent en aide aux prêtres pour expliquer la doctrine chrétienne au peuple et qu'elles soient utiles enfin à tous les fidèles pour mener une vie sainte, digne d'un chrétien. » [§ 28]

 

Entendons-nous correctement ce que demande Pie XII ? Que les exégètes « exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes ». On est bien loin d’un désir d’en rester au sens premier du texte, à son littéralisme, mais d’aller, de se diriger, vers la découverte de la « doctrine théologique ». Mais au fait, quel est le synonyme de « doctrine théologique » dans la langue de l’Eglise ? Ce synonyme est celui-ci : « Le sens spirituel » !


Afin de mieux encore proposer cette approche selon le sens spirituel, Pie XII conclut ainsi sa lettre Encyclique :

 
« Quand les exégètes catholiques donneront une pareille interprétation, avant tout théologique, comme Nous avons dit, ils réduiront définitivement au silence ceux qui assurent ne rien trouver dans les commentaires qui élève l'âme vers Dieu, nourrisse l'esprit et stimule la vie intérieure… » [§ 29]

 

Cette précision sur le sens théologique, qui élève l’âme vers Dieu, nous montre comment il faut lire et interpréter le court  passage critiquant les exégètes qui prétendent ne rien trouver de théologique dan l’Ecriture et qu’il faut « uniquement » : « avoir recours à une interprétation spirituelle, ou, comme ils disent, mystique. » [§ 29]

 

Le développement confirme pleinement le souci de Pie XII, qui craint que la doctrine théologique ne disparaisse par une approche trop « mystique et intérieure » des âmes chrétiennes du Texte sacré :

 

« Que cette manière de voir ne soit pas juste, l'expérience d'un grand nombre l'enseigne, qui, considérant et méditant sans cesse la parole de Dieu, ont conduit leur âme à la perfection et ont été entraînés vers Dieu par un amour ardent. C'est aussi ce que montrent clairement et la pratique constante de l'Eglise et les avertissements des plus grands Docteurs. » [§ 29]

 

Mais l’avertissement trouve très vite sa sage et harmonieuse correction :

 

« Ce qui ne signifie certes pas que tout sens spirituel soit exclu de la Sainte Ecriture… » ;

 

de manière à être couronné par ce magnifique rappel traditionnel :

 

« …. car les paroles et les faits de l'Ancien Testament ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu de telle manière que le passé signifiât d'avance d'une manière spirituelle ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. » [§ 29]

 

Est-ce que ceci est clair ? Ce qui « devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce » de qu’elle façon, sous quel mode, par l’effet de quel méthode ? La Réponse est très nette, obvie, incontestable : d'une manière spirituelle !

 

 

La conclusion de Pie XII, merveilleuse et entièrement catholique mérite toute notre attention :

 

« C'est pourquoi l'exégète, de même qu'il doit rechercher et exposer le sens littéral des mots [dans leur langue d’origine], tel que l'hagiographe l'a voulu et exprimé, ainsi doit-il exposer le sens spirituel, pourvu qu'il résulte certainement qu'il a été voulu par Dieu. Dieu seul, en effet, peut connaître ce sens spirituel et nous le révéler. » [§ 29]

 

Comment connaître ce sens spirituel ? Comment être certain qu’il est conforme à l’Ecriture, à l’enseignement de l’Eglise ?

 

Ecoutons pour le savoir les dernières lignes de Pie XII :

 

« Or, un pareil sens, notre Divin Sauveur nous l'indique et nous l'enseigne lui-même dans les Saints Evangiles, à l'exemple du Maître, les apôtres le professent aussi par leurs paroles et leurs écrits ; la tradition constante de l'Eglise le montre ; enfin, le très ancien usage de la liturgie le déclare quand on est en droit d'appliquer l'adage connu : " La loi de la prière est la loi de la croyance." » [§ 29]

 

Cela ne fait plus aucun doute, le sens de l’Ecriture, le sens du texte sacré, est celui donné par la Tradition de l’Eglise qui toujours insista sur une interprétation religieuse des Promesses, c’est celui, expliqué par les apôtres qui tous, absolument tous, nous indiquèrent que la destination du chrétien est à présent céleste,  c’est celui, intégralement spirituel, révélé par Jésus-Christ qui affirma : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » !

 

 

 

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21/11/2008

DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE

RÉFUTATION DE PÉLAGE.

 

In Oeuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIème,

p. 185 à 221, Bar-le-Duc 1871

 

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Le meutre d'Abel (Genèse 4, 8-16)

Illustration de Gustave Doré

 

 

S'appuyant sur les écrits de saint Augustin, Jansénius (1585-1638) crut nécessaire, à une période où une dérive significative menaçait la doctrine chrétienne sous la forme du contestable courant moliniste diffusant une théologie laxiste et permissive, de réaffirmer que la grâce divine est un dont absolument gratuit, donné par Dieu, et qu’elle seule peut suppléer à la nature abîmée par le péché de la créature. Cette position, parfaitement conforme à l’enseignement de l’Ecriture, engendra pourtant de vifs débats à l'intérieur de l'Eglise, que le pouvoir politique trancha de façon inqualifiable en usant d'une contrainte injuste et scandaleuse à l'égard de Rome [1].

 

Or, la doctrine de la grâce, si incomprise, qui fut cependant relayée au XVIIe siècle par les oratoriens, exige que l’on se penche tout d’abord sur ce que l’évêque d’Hippone exposa dans ses écrits, d’où la nécessité de se reporter à l’un de ses textes les plus importants, soit le célèbre « De natura et Gracia », qui fut écrit contre les positions soutenues par l’hérétique moine irlandais Pélage (v. 350 - v. 420). On sera attentif dans ces lignes doctes et emplies d’une science éclairée, au passage portant sur la situation des enfants morts sans baptême, qui reste un élément fondamental du dogme catholique traditionnel [2].

 

 

Notes

 

 

 

[1] C’est un Louis XIV vieillissant, à l’orgueil blessé, manifestant un aveugle entêtement et dont la responsabilité est immense dans cette triste affaire, qui demanda au pape Clément XI (1649-1721) à partir de 1701, alors qu’un climat plus serein, connut sous le nom de « paix clémentine » - consécutive à l’accord qui avait été réalisé en 1669 entre le Saint Siège en la personne de Clément IX (1600-1669) et les partisans de Jansénius permettant à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs de rouvrir ses portes et d’y accueillir de nouveau des âmes avides de Dieu - perdurait depuis plusieurs années, une nouvelle condamnation, origine de la bulle « Vineam Domini » (1705), qui va révolter de nombreux théologiens de la Sorbonne et provoquer une crise inutile. Toutefois le roi, non complètement satisfait, décida de plus encore réprimer les pieux dévots de saint Augustin. En effet, en octobre 1709, les religieuses de Port-Royal qui avaient refusé de signer la bulle seront dispersées, deux ans plus tard le monastère fondé et édifié au XIIIe siècle, sera même rasé à la poudre à canon, les cadavres des religieuses exhumés et indignement jetés à la fosse commune. Non content de cet acte ignoble et impie, Louis XIV, ira plus loin encore, il exigea une nouvelle bulle de condamnation à l’égard des partisans de Jansénius, insistant de telle façon que Clément XI promulguera la célèbre bulle « Unigenitus » le 8 septembre 1713. Cette dernière condamne, de façon plus que curieuse sur le plan théologique,  les thèses augustiniennes sur la grâce, ce qui fit que plusieurs évêques en France, et des centaines de religieux ne la signeront jamais. On pourra d’ailleurs trouver bien étrange que certains s’appuient encore sur les décisions papales obtenues sous la contrainte pour ternir la pensée augustinienne, alors même qu’en octobre 1999, sous l’impulsion de Jean-Paul II, l’Eglise Catholique romaine et la Fédération Luthérienne Mondiale des Eglises ont signé une “Déclaration commune” portant sur la question théologique de la justification, déclaration qui, finalement, avalise en partie ce que disait Jansénius dans l’Augustinus au sujet du don gratuit de la grâce.

 

[2] Saint Augustin affirme que les âmes des enfants non baptisés, dont « toute douleur est exclue de leur peine », ne souffrent en enfer que de la « peine la plus douce » (Enchiridion, 103), c’est-à-dire que ces âmes se trouvent dans un état intermédiaire n’encourant pas véritablement les souffrances de l’enfer mais sont seulement privées de la béatitude du paradis à cause du péché originel qui infecta Adam et toute sa descendance charnelle. C’est de cette difficulté que surgira, au XIIIe siècle, l’idée consolante des limbes (‘‘limbus puerorum’’ ou limbes des enfants), lieu intermédiaire dans lequel les âmes des nouveaux-nés non baptisés se trouvent placées, état d’attente non douloureuse, et encore pour un temps, soit jusqu’à l’heure du jugement dernier ou les mystères infinis de la miséricorde divine pourront s’exercer selon des vues et une volonté qu’il ne nous appartient ni de connaître, ni d’interpréter.

 

 

 

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Saint Augustin évêque d'Hippone (354-430)

 

 

 

 

LA NATURE, CRÉÉE DANS L'INNOCENCE, A ÉTÉ DEPUIS SOUILLÉE PAR LE PÉCHÉ.

 

3. L'homme fut créé sans tache et sans souillure ; mais Adam se rendit coupable, et toute sa postérité a besoin d'être guérie, parce qu'elle n'est plus saine. Malgré sa chute, il lui reste des biens qui font partie de sa constitution, de sa vie, de ses sens, de son intelligence, et ces biens, il les a reçus de la main de son Créateur. Le vice est survenu, plongeant dans les ténèbres et affaiblissant ces biens naturels et rendant nécessaires la diffusion de la lumière et l'application du remède ; mais ce vice n'est point l'oeuvre de Dieu; car ce vice de la part d'Adam, fut le résultat du dérèglement de son libre arbitre, et, de la part de hommes, il est la conséquence du péché originel. Par conséquent notre nature viciée n'a plus droit qu'à un châtiment légitime. Sans doute, nous sommes devenus une nouvelle créature en Jésus-Christ, mais. « nous étions par la corruption de notre nature, enfant de colère aussi bien que les autres hommes. Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a rendu la vie en Jésus-Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés (1) ».

 

1. Ephés. II, 3-5.

 

 

 

LA GRÂCE GRATUITE.

 

4. Or, cette grâce de Jésus-Christ, sans laquelle ni les enfants ni les adultes ne peuvent être sauvés, ne nous est point donnée à raison de nos mérites, mais d'une manière absolument gratuite ; de là son nom de grâce. « Nous avons été justifiés gratuitement par son sang », dit l'Apôtre. D'où il suit que ceux qui n'ont pas été délivrés par cette grâce, soit parce qu'ils n'ont pas pu en entendre parler, soit parce qu'ils n'ont pas voulu obéir, soit que leur âge ne leur permette pas de comprendre, soit enfin parce qu'ils n'ont pas reçu le sacrement de la régénération, qu'ils auraient pu recevoir ci qui les aurait sauvés, tous ceux-là, dis-je, sont privés du bonheur du ciel, et cette condamnation n'est que justice ; car ils ne sont pas sans péché, soit qu'il s'agisse du péché originel, soit qu'il s'agisse des péchés actuels. « Car tous ont péché », soit en Adam, soit en eux-mêmes, et « tous ont besoin de la gloire de Dieu ».

 

 

 

LA JUSTICE EXIGEAIT LA CONDAMNATION DE TOUS LES HOMMES.

 

5. Ainsi donc, par le fait de leur origine, tous les hommes sont soumis au châtiment, et lors même que tous subiraient en réalité le supplice de la damnation, ce ne serait que rigoureuse justice. Voilà pourquoi ceux qui sont délivrés par la grâce ne sont pas appelés des vases de leurs propres mérites, mais des vases de miséricorde (1). Et de qui cette miséricorde, si ce n'est de celui qui a envoyé Jésus-Christ en ce monde pour sauver les pécheurs (2), c'est-à-dire ceux qu'il a connus par sa prescience, qu'il a prédestinés, qu'il a appelés, qu'il a justifiés et qu'il a glorifiés (3) ? N'est-ce donc pas le comble de la folie que de ne point rendre d'ineffables actions de grâce à la miséricorde de celui qui délivre ceux qu'il a voulu, quand on sait que la justice autorisait parfaitement le Seigneur à réprouver tous les hommes sans aucune distinction ?

 

1. Rom. IX, 23.— 2. I Tim. I, 15.— 3. Rom. VIII, 29, 30.

 

 

LES HARDIESSES DES PÉLAGIENS.

 

6. Si nous saisissons le sens de ces passages de l'Ecriture, nous ne verrons aucune nécessité de disputer contre la grâce chrétienne et de recourir à toute sorte d'arguments pour montrer que la nature humaine, dans les enfants, n'a pas besoin d'être guérie, parce qu'elle est saine, et que cette même nature, dans les adultes, peut se suffire à elle-même si elle veut, pour arriver à la justice. Pour établir des démonstrations de ce genre, les Pélagiens se mettent en frais d'esprit et de finesse ; mais toute leur sagesse n'est qu'une sagesse de paroles pour détruire la croix de Jésus-Christ (4). « Cette sagesse n'est pas la sagesse qui descend du ciel (5) ».  Je ne veux pas les suivre dans la hardiesse de leurs inventions, car je craindrais de paraître faire injure à nos amis pour lesquels je n'ai qu'un seul désir, celui de voir leur intelligence aussi prompte que perspicace suivre toujours la voie droite qui conduit à la vérité.

 

 

4. I Cor. I, 17. — 5. Jacq. III, 15

 

 

CEUX QUI N'ONT PU ÊTRE JUSTIFIÉS SONT ÉGALEMENT CONDAMNÉS.

 

9. Pesez bien ses paroles. Je suppose un enfant ayant pris naissance dans un lieu où il n'a pu recevoir le baptême de Jésus-Christ; il meurt dans cet état, c'est-à-dire privé du sacrement de la régénération, parce qu'il n'a pu le recevoir. Notre auteur l'absolvera-t-il et lui ouvrira-t-il le royaume des cieux contre la sentence manifeste du Sauveur (5) ? Du moins, il est évident que l'Apôtre ne l'absout pas, quand il s'écrie : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (6) » . Ainsi donc, en vertu de cette condamnation qui court à travers toute la masse, cet enfant ne saurait être admis dans le royaume des cieux, quoiqu'il y ait eu pour lui une véritable impossibilité de devenir chrétien.

 

 

5. Jean, III, 5. — 6. Rom. V,12.

 

 

 

QUICONQUE N'A PAS ENTENDU LE NOM DE JÉSUS-CHRIST NE SAURAIT ÊTRE JUSTIFIÉ.

 

10. « Mais », répondent les Pélagiens, « cet homme n'est point condamné; car s'il est dit que tous ont péché en Adam, il ne s'agit que d'une simple imitation et non pas d'une

souillure réelle contractée par le péché originel ». Si donc on soutient qu'Adam est l'auteur des péchés commis par sa postérité, parce qu'il a été de tous les hommes le premier pécheur, pourquoi ne pas dire d'Abel, plutôt que du Christ, qu'il est le chef de tous les justes, puisqu'il a été de tous les hommes le premier juste? Remarquez que ce n'est plus d'un enfant que je parle; je suppose qu'un jeune homme ou un vieillard meurt dans une contrée où il n'a pu entendre parler de Jésus-Christ, et je demande si, oui ou non, il a pu être justifié par la nature ou par son libre arbitre. S'ils disent qu'il a pu être justifié, je demande si l'on peut, sans anéantir la croix de Jésus-Christ, soutenir que tel homme a pu être justifié par la lai naturelle et par son libre arbitre. S'il en est ainsi, il ne nous reste qu'à dire : « C'est inutilement que Jésus-Christ est mort », car la justification possible à un homme l'était également pour tous, lors même que Jésus-Christ ne serait pas mort; et si c'est uniquement parce qu'ils l'ont voulu que les hommes sont coupables, ce n'est donc plus parce qu'ils ne pouvaient être justes par eux-mêmes. Or, il est certain que personne ne peut être justifié sans la grâce de Jésus-Christ; vienne maintenant le Pélagien poussant l'audace jusqu'à absoudre tel ou tel pécheur en nous disant: « Puisqu'il n'est ce qu'il est, que parce qu'il n'a pu être autrement, il est par là même exempt de toute faute ».

 

 

NOTRE CORPS EST DIT UN CORPS DE MORT A CAUSE DU VICE DONT IL EST ATTEINT ET NON A CAUSE DE SA SUBSTANCE MÊME.

 

65. Je demande donc où la nature humaine a perdu cette liberté qu'elle redemande avec anxiété quand elle s'écrie : « Qui me délivrera ? » Ce n'est certes pas la substance même de la chair que l'Apôtre accuse lorsqu'il demande à être délivré de ce corps de mort, car la substance du corps comme celle de l'âme est l'oeuvre d'un Dieu bon. Quand donc il gémit, ce ne peut être que des vices du corps. Quant au corps lui-même, la mort nous en sépare; quant aux vices qu'il a contractés, ils adhèrent à notre personnalité et méritent ces châtiments que le mauvais riche a trouvés dans l'enfer (1). Voilà ce dont ne pouvait se séparer celui qui s'écriait « Qui me délivrera de ce corps de mort? »

Cependant, quoique l'homme ait perdu cette liberté, il lui reste cette possibilité inséparable de la nature, dont nous parle l'auteur ; il a le pouvoir d'agir par sa force naturelle, il a la puissance de vouloir par son libre arbitre; pourquoi donc demande-t-il le sacrement de Baptême? Est-ce à cause des péchés commis, de manière à en obtenir le pardon, quoiqu'ils ne puissent produire aucune solidarité? Laissez l'homme demander ce qu'il demandait. Ce qu'il désire, ce n'est pas seulement de ne point être puni pour ses péchés passés, mais aussi de ne plus se sentir si violemment entraîné vers le mal. En effet, il se réjouit dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, mais il voit dans ses membres une autre loi qui combat la loi de son esprit; cette loi n'est pas pour lui un souvenir du passé, mais une chose actuelle et immédiate; c'est le présent qui l'accable, et non pas seulement le passé qui l'affecte.

Non-seulement il sent en lui-même ce com. bat, mais il se voit captif sous la loi du péché, et cette loi n'est pas un souvenir ; car elle a toute la force de la réalité. De là ce cri: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Laissez-le prier, laissez-le invoquer le secours de son médecin tout-puissant. D'où lui vient la contradiction? D'où lui vient le reproche? Est-il possible que ce soient des chrétiens qui l'empêchent dans sa misère d'implorer la miséricorde de Jésus-Christ? Ne marchaient-ils pas avec le Sauveur ceux qui empêchaient l'aveugle de demander par ses cris la lumière? Mais malgré le tumulte et l'opposition, Jésus-Christ a entendu sa prière (1). De là cette réponse : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ».

66. Or si nos adversaires nous concèdent, pour ceux qui ne sont pas encore baptisés, le droit d'implorer le secours de la grâce du Sauveur, n'est-ce point de leur part une contradiction flagrante avec cette doctrine tant de fois professée par eux de la suffisance de la nature et de la puissance du libre arbitre? Comment, en effet, peut-il se suffire à lui-même celui qui ne cesse de crier : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera? » Quand on demande à être délivré, peut-on s'entendre dire qu'on jouit d'une liberté parfaite?

 

1. Luc, XVI, 22-26.

 

 

 

MÊME SUJET.

 

Voyons ensuite si ceux-là mêmes qui sont baptisés font le bien qu'ils veulent sans aucune répulsion de la concupiscence de la chair. Mais ce que nous pourrions dire se trouve résumé par notre auteur dans la conclusion même du passage que nous étudions. « Comme nous l'avons dit, conclut-il, ces paroles : La chair convoite contre l'esprit, doivent s'entendre non pas de la substance de la chair, mais des vices ou des oeuvres de la chair ». Nous aussi nous parlons, non pas de la substance de la chair, mais des oeuvres qui viennent de la concupiscence charnelle, c'est-à-dire du péché contre lequel l'Apôtre nous adresse cette défense : « Que le péché ne règne point dans notre corps mortel, de telle sorte que nous obéissions à ses désirs (1) ».

 

1. Marc, X, 46, 52.