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01/12/2013

Le « Chapelet secret » janséniste


L’oraison de silence et le « quiétisme » janséniste

ou

 

la spiritualité de l’annihilation volontaire

Martin de Barcos.jpg

Martin de Barcos (1600-1678),

neveu de l’abbé de Saint-Cyran, élève de Jansénius à l’université de Louvain,

 

auteur des « Sentiments de l'abbé Philérème sur l'oraison mentale », (1696).


Le « Chapelet Secret  du Saint-Sacrement» diffusé en milieu janséniste à la même période que le « Chapelet de la Petite Couronne » de Marguerite du Saint-Sacrement, se présentait comme un sorte de petit traité mystique - faussement attribué à Saint-Cyran (1581-1643), puisque composé en réalité par Agnès Arnauld (1593-1672), qui deviendra en 1658 abbesse de Port-Royal lors de la période la plus hostile au jansénisme, organisant le mouvement de résistance à la signature du Formulaire d’Alexandre VI. [1].

 

I.  Spiritualité de l’annihilation volontaire

 

Le Père Charles de Condren(1588-1641), son confesseur, avait insisté auprès d’Agnès Arnauld, pour qu'elle lui découvre les pensées qu'elle méditait en présence de Jésus, et c’est ainsi qu’elle lui remit les quelques pages qui furent appelées « Chapelet secret du Saint Sacrement », composé des seize attributs de Jésus-Christ en l'honneur des seize siècles écoulés depuis l'institution de l'Eucharistie, chaque attribut (sainteté, incommunicabilité, illumination, etc.), étant accompagné d'un court texte servant à orienter la méditation. Dans ce traité, le chrétien était invité à se rendre indifférent à son Salut par un acte d’abandon total et de profond délaissement, l’anéantissement de l’âme se concevant dans une tonalité ontologique qui n’est pas pour surprendre dans le cadre doctrinal de l’augustinisme, ainsi que cette méditation sur la dissolution de toutes choses en Jésus-Christ le montre assez nettement : « Priez pour que Jésus-Christ s'établisse dans tout ce que les âmes sont, qu'il ne souffre point la subsistance de la créature, qu'il soit tout ce qu'il doit être et fasse disparaître tout autre être, comme le soleil efface toute autre lumière, qu'il soit pour être et que la fin de son établissement soit pour Lui, et non pour l'avantage de l'âme qui le porte.» [2]

 

a) Condamnation du Chapelet secret

 

Cependant, comme il était à craindre, Le 18 juin 1633, le « Chapelet Secret » fut condamné par la Sorbonne et, le 26 avril de l'année suivante, le pape Urbain VIII (1568-1644) ordonnait sa destruction. Mais, fort heureusement, la pratique du « Chapelet secret » se maintint elle-même secrètement, alors que l’abbé de Saint-Cyran, ayant étudié attentivement le texte du « Chapelet secret », le trouva théologiquement parfait et obtint une approbation signée des docteurs de Louvain, en particulier de Jansénius, écrivant anonymement une « Apologie pour servir de défense au Chapelet secret» (1634), afin de répondre aux violentes critiques, également anonymes, publiées contre le Chapelet, par un jésuite que l'on croit être le Père Binet (1569-1639).

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Celle qui deviendra Mère Agnès, plusieurs années avant l'Augustinus (1641), posait donc les bases d’une spiritualité de l’annihilation volontaire, faisant de l’Oportet illum crescere, me autem minui, une rigoureuse perspective ascétique et mystique, parlant de « l’inapplication », et mettant en lumière l’infinie distance qui sépare la créature de Jésus-Christ, l’Être Divin ne devant point se soucier, ni n’avoir aucun égard pour notre néant, l’âme ayant à préférer être exposée à la perte plutôt qu’au souvenir de Dieu, ceci afin de disparaître dans l’abîme de l’oubli : « Afin que Jésus-Christ s'occupe de Lui-même, et qu'il ne donne point dans Lui d'être aux néants; qu'Il n'ait égard à rien qui se passe hors de Lui; que les âmes ne se présentent pas à Lui pour l'objet de son application, mais plutôt pour être rebutées par la préférence qu'Il doit à soi-même; qu'elles s'appliquent et se donnent à cette inapplication de Jésus-Christ, aimant mieux être exposées à son oubli, qu'étant en son souvenir, lui donner sujet de sortir de l'application de soi-même pour s'appliquer aux créatures. » Il convient, selon le « Chapelet secret », en choisissant le néant et l’extrême délaissement : « que les âmes se rendent à l'ignorance et qu'elles aiment le secret des conseils de Dieu, qu'elles renoncent à la manifestation des choses cachées de Dieu.» [3].

 

b) Le quiétisme du Chapelet secret

 

On constate, à la lecture des lignes d’Agnès Arnauld composant les méditations du « Chapelet secret », la grande proximité, pour ne pas dire leur intime parenté, avec certains textes du courant mystique qui fut désigné sous le nom de « quiétisme » au XVIIe siècle, prônant l’anéantissement des facultés et le saint repos intérieur de l’âme dans l’exercice de l’oraison. A première vue, ce rapprochement pourrait d’ailleurs surprendre, tant l’idée subsiste parfois chez beaucoup, d’un rejet de la part du jansénisme à l’égard de la mystique passive.

 

II.  Martin de Barcos : un janséniste mystique fidèle à Jansénius

 

Martin de Barcos (1600-1678) [4], qui va présider au climat spirituel de Port-Royal, et à la manière de prier et d’envisager l’oraison que l’on y développait, partait du principe que les facultés de la créature ayant été entièrement corrompues « jusqu'à la racine » par le péché originel, n’ont surtout pas à s’exercer dans la prière, faute de quoi elles souillent et noircissent le divin entretien par leur désorientation native empêchant Dieu d’agir dans l’âme.


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La créature ayant été corrompue « jusqu'à la racine » par le péché originel,

ses facultés n’ont surtout pas à s’exercer dans la prière,

faute de quoi elles souillent et noircissent le divin entretien.

 

a) Le « péché d’activité » dans l’oraison

 

Pour cette raison impérative, Barcos rejetait toute idée d’oraison méthodique et discursive, le seul mot de « méthode », dans le cadre du plein exercice de la grâce, don gratuit immérité, étant pour lui à proscrire absolument et avec la plus vigoureuse énergie, puisque l'action divine doit se substituer aux imparfaites et stériles industries humaines dans la prière, ce que Barcos désignait comme étant  « le péché d'activité » [5] :  « Un seul type d'actions est  exempt d'impureté, ce sont les actions auxquelles on ne se porte point par une application volontaire qui surprennent l'âme par le repos qu'elle y ressent, sans qu'elle s'y soit portée par aucun désir. Toutes les autres actions, qui se font par dessein et par délibération, toutes celles auxquelles on se prépare, sont, selon ces spirituels, infectées de propriété et d'activité, et ont besoin d'être purifiées ou, dans ce monde, par la destruction pénible de cette activité, ou, dans l'autre, par les flammes du purgatoire. Toutes ces actions sont des actions vivantes, c'est-à-dire produites par la vie d'Adam et par la nature corrompue ; ce sont des actions infectées de la corruption et de la malice de l'homme, qu'il faut faire mourir, évacuer et détruire par l'esprit de Dieu.» [6]

 

Dans Les Sentiments de l'abbé Philérème sur l'oraison mentale, Barcos énonce donc logiquement, de très nombreuses fois des critiques sévères contre l'intellectualisme pélagien, et conseille formellement dans la prière, la pratique de l’oraison intérieure de silence : « Cette sorte de méditation n’est point vraie prière, puisque ce n’est qu’une action de la mémoire qui se souvient de ce qu’on lui a appris, et de l’entendement qui produit des pensées et des raisonnements pour connaître les vérités : ce qui est tout humain et purement intellectuel, et ne tient rien du S. Esprit et de l’esprit de prière que Dieu répand dans l’âme.» [7]

 

III.  Le quiétisme, selon Fénélon, est « le jansénisme mis en pratique »

 

Ce que l’on pourrait désigner comme étant la « quiétude janséniste », défendue par Barcos, qui correspondait comme le voit, très exactement à ce que soutenaient les partisans de la  quiétude mystique dite « quiétiste », découlait en fait d’une conception théologique augustinienne en forme d’axiome métaphysique intransigeant : l'agent humain est radicalement mauvais, tolus malus; l'agent humain, est irrémédiablement corrompu et perverti dans ses moindres replis, c’est un néant face à l'agent divin, ce dernier seul devant être actif dans l’âme lors de l’exercice de la prière.

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François de Salignac de La Mothe-Fénelon 

dit "Fénelon" (1651-1715).



C’est pourquoi, Fénelon ne s’y est donc point trompé, lorsque critiquant dans un même mouvement quiétisme et jansénisme - quoique cette critique visiblement imposée par les circonstances puisse nous inspirer bien des réserves, mais c’est un autre sujet -, liait ces deux sensibilités au prétexte que le jansénisme, posant la corruption radicale des facultés comme principe préalable, rejoignait dans la passivité exigée de l’âme dans la prière, le quiétisme, qui faisait précisément de cette passivité la base de sa pratique de l’oraison, ceci engageant Fénelon à soutenir cette proposition surprenante : «Un Janséniste, conséquent dans ses principes, serait naturellement conduit, aussi bien qu'un Fataliste, à mettre en pratique la ridicule et dangereuse passiveté des Quiétistes.» [8]


Fénelon abordait la question du quiétisme janséniste, par rapport à l’affaire du « Chapelet secret », taxé de « quiétiste » non sans de justes motifs, tant la teneur même des méditations de Mère Agnès Arnauld, relevait d’une spiritualité de l’anéantissement et de l’abandon dont les auteurs taxés de quiétisme ne cessèrent de développer les mérites : « Parmi ces hommes singuliers, quelques auteurs modernes ont cru pouvoir mettre l'abbé de Saint-Cyran, et plusieurs des premiers disciples ou partisans de Jansénius. Cette conjecture paraît avoir quelque fondement, dans l'approbation donnée, par l'abbé de Saint- Cyran, au ‘‘Chapelet du saint Sacrement’’, où les principes du Quiétisme étaient clairement énoncés, et qui fut condamné, pour cette raison, par la faculté de théologie de Paris, en 1633, et même par un jugement du Saint-Siége. Il est certain, en effet, que l'abbé de Saint-Cyran, s'il n'était pas l'auteur de cet écrit, comme bien des gens l'ont cru, en prit hautement la défense, et le fit approuver par son ami Jansénius, alors docteur de Louvain, et depuis évêque d'Ypres. (cf. Dupin, Hist. eccl. du 17e siècle. 2e Part. p. 85.— D'Avrigny, Mém. Chron, tome II, 18 juin, 1633.— Nicole (sous le nom de Wendrock ), note 2e sur la 16e Lettre provinciale.—Notice sur Port-Royal, par M. Petitot; 1re partie, pp. 12-13). L'auteur de la Bibliothèque Janséniste  (le P. de Colonia, Jésuite) a pris de là occasion d'avancer, que le Quiétisme est une conséquence naturelle du Jansénisme, et le Jansénisme mis en pratique (cf. Préface de la Bibliothèque des auteurs Quiétistes, à la suite de la Bibliothèque Janséniste ; t. II, p. 281). Cette assertion peut sans doute paraître extraordinaire au premier abord; toutefois elle ne semblera pas destituée de fondement, si l'on fait attention que le Jansénisme, en soumettant l'homme à une insurmontable nécessité dans tous ses actes, introduit au fond un véritable Fatalisme, dont la conséquence naturelle est de le faire renoncer à toute activité, pour suivre passivement l'impulsion qui l'entraîne toujours malgré lui, soit au bien, soit au mal. Il est possible que cette conséquence n'ait pas été aperçue par les disciples de Jansénius; nous croyons même que la plupart d'entre eux ne l'ont pas en effet remarquée; car il est certain que, bien loin de se montrer favorables au Quiétisme, ils ont généralement témoigné une grande opposition pour cette hérésie, et, quelquefois même, porté cette opposition jusqu'à un excès manifeste ; mais il n'en est pas moins vrai qu'un Janséniste, conséquent dans ses principes, serait naturellement conduit, aussi bien qu'un Fataliste, à mettre en pratique la ridicule et dangereuse passiveté des Quiétistes.» [9]

 

« Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris »

 

D’ailleurs, cette proximité entre quiétisme et jansénisme, va si loin, qu’on oublie trop souvent que l’un des commandements majeurs de la perspective de l’Augustinus est « d’aimer Dieu », Jansénius ayant placé en exergue de son ouvrage cette citation de saint Paul : « Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris / ‘‘L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs’’. » (Romains V, 5), ceci expliquant pourquoi Pascal tancera si fortement le Père François Annat (1590-1670), dont n’oubliera pas que ce jésuite fut le confesseur du roi à partir de 1654, par ces mots : « Vous anéantissez la morale chrétienne en la séparant de l’amour de Dieu dont vous dispensez les hommes.» [10]

 

L’âme est certes unie à Dieu par l’amour, par un lien indéfectible, mais c’est Dieu uniquement qui en opère, par grâce, l’épanouissement dans le cœur de la créature. Et, à cet égard, Fénelon soutient que nous devons aimer Dieu en nous libérant de l’amour de soi-même, un amour mensonger et pervers dont il nous faut nous dépendre et sacrifier : «Nous devons un sacrifice à Dieu de tout nous-mêmes, sans exception » [11], ce qui est exactement la position janséniste rappelée par Pascal, qui regarde l’amour-propre comme comparable au péché des anges déchus, faisant du « pur amour » fénelonien, une sorte de prolongement en mode quiétiste de la position de Jansénius travaillant à faire en sorte que l’on puisse « soustraire la charité aux conditions psychologiques qui font de toute cupidité une espèce d’amour-propre» [12] ce dernier déclarant : « C’est une façon bien inférieure d’être moral que de l’être seulement par espoir de la récompense divine, ou par crainte du châtiment » [13], ce qui est l’exacte position des théoriciens du pur amour qui considèrent que l’amour véritable de Dieu ne peut-être qu’un amour désintéressé, pouvant aller jusqu’au sacrifice de son Salut si telle était, par impossible, la volonté de Dieu.

 

Et ce sacrifice n’est pas de l’indolence passive, c’est un acte intérieur d’engagement extraordinairement puissant sur le plan acétique et mystique, dont la rigueur fait rejoindre, pour ne pas dire se compléter, l’attitude quiétiste et janséniste : « L’originalité de Fénelon et des théoriciens du pur amour est d’autant plus grande, quand ils soutiennent qu’il nous faut aimer Dieu au-dessus de toutes choses, par-delà notre désir de la béatitude et notre hantise des peines infernales, et devenir donc, en ce sens, ‘‘indifférents à notre salut’’. Nous sommes évidemment ici à toute distance de la coupable nonchalance si vigoureusement dénoncée ! Il est légitime, bien plus il est même requis d’aspirer au salut, mais ce qui est en question est la nature de l’amour. L’amour sans mélange (au sens chimique) fait abstraction de ce que les esprits de la Renaissance appelaient la ‘‘philautie’’ : il est fondamentalement désintéressé. Selon Fénelon, on ne peut aimer Dieu comme ‘‘parfait’’ sans l’aimer ‘‘béatifiant’’, mais il n’en faut pas moins parvenir à l’aimer essentiellement pour lui-même, indépendamment du motif du salut.» [14]


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10/04/2010

L’interprétation spirituelle de l’Ecriture

 

 

 

ou

la distinction entre sens littéral et le « littéralisme »

afin d'éviter une interprétation charnelle du texte sacré

 

 

 

 

 

 

saint Augustin.jpg

« Une sagesse si profonde se cache dans les paroles de la Sainte Écriture,

que les esprits les plus pénétrants, les plus désireux d’apprendre,

et qui ont passé le plus d’années à cette étude,

 éprouvent la vérité de ce mot de la même Écriture :

Lorsque l’homme croira avoir fini, il ne fera que commencer… »

 

Saint Augustin, lettre 137, à Volusien, 3.

 

 

 

 

 

Si l’Eglise, au cours des siècles, insista comme elle le fit sur la nécessité d’une approche « spiritualisée » des Prophéties, elle le doit à sa fidélité à Jésus-Christ, car  si les Juifs ont interprété de manière charnelle les Prophéties, il importe de constater qu’il existe comme une montée en purification du sens des textes, culminant dans l’Evangile, où le Royaume messianique apparaît toujours davantage comme le Royaume des saints du Très-Haut, préformant dès ici-bas, jusqu’à l’intérieur même d’Israël, la séparation définitive et éternelle des bons et des méchants : « Les saints du Très-Haut recevront le Royaume pour l’éternité, pour une éternité d’éternités. » (Daniel VIII, 18). Cette montée purificatrice du sens de l’Ecriture, fut constatée par l’ensembles des Pères, de s. Jérôme à s. Clément d’Alexandrie, en passant par s. Basile, s. Hilaire de Poitiers, s. Thomas d’Aquin, s. Bonaventure, etc., c’est pourquoi on la retrouve notablement sous la plume des auteurs spirituels et théologiens de la période classique, dont Bossuet.

 

 

 

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Blaise Pascal se fondant sur s. Augustin,

insista sur la nécessité d'une interprétation non charnelle del’Ecriture

 

 

 

On insiste moins, et c’est dommage, sur le fait que Blaise Pascal, dans son apologétique, se fondant sur s. Augustin qui, lui aussi, avait eu à résoudre ces mêmes problèmes, vit très bien la présence de cette orientation purificatrice non charnelle traversant l’Ecriture, et s’exprima à ce sujet avec intelligence face aux esprits forts qui persiflaient au XVIIe siècle, et se moquaient des « naïvetés » contenues dans certaines pages de la Bible, notamment au sujet des descriptions de certaines prophéties qui insistent sur l’accumulation de terres, de richesses, de troupeaux, pour ceux qui seront fidèles à Dieu.

 

Voici ce qu’écrivit Pascal :

-  « L’Ancien Testament n’est que figuratif, les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens… » 

                   Il précise ailleurs :

- « Nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai, parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmesL’Ancien Testament est un chiffre, dont on trouve la clef en se souvenant qu’il vient d’un Dieu qui veut être adoré en esprit et en vérité. » [1]

Effectivement, si le Christ ne cessa de reprendre ses disciples, comme il le fit avec la Samaritaine, pour expliquer que Dieu, cherchant de vrais adorateurs, ne souhaitait plus qu’un culte lui soit rendu ni sur une montagne ni à Jérusalem, c’est qu’il voulait être adoré à présent, l’heure étant venu, en « esprit et en vérité » (Jean IV, 23-24), c'est ce que rappela, fort justement, le Saint Père Pie XII, dans sa lettre Encyclique ‘‘Divino Afflante Spiritu’’, qu'il nous faut de nouveau lire et étudier, afinn d'éviter le piège grossier d'une interprétation charnelle de l'Ecriture. 

Note.

1.  B. Pascal, Pensées, [659] ; [587] ; [691].

 

 

 

 

 

 

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Commentaire, par Zacharias,

 de la lettre Encyclique de Pie XII

 ‘‘Divino Afflante Spiritu’’

 

 

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 «Les paroles et les faits de l'Ancien Testament

ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu

de telle manière que le passé signifiât d'avance d'une manière spirituelle

ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. »

 

SS. Pie XII

 

 

 

 

 

Dans sa lettre Encyclique Divino Afflante Spiritu promulguée le 30 septembre 1943, en la fête de saint Jérôme, dont il est dit dans la dédicace qu’il est « le plus grand des Docteurs dans l'exposition des Saintes Ecritures », Pie XII explique, contrairement à ce que certains soutiennent faussement et avec un soin tout spécial, la nécessité d’une approche spirituelle du sens de l’Ecriture.

 

Comme procède-t-il pour exposer cette nécessité ? Tout d’abord il rappelle l’œuvre de ses prédécesseurs, en particulier Léon XIII et Benoît XV, puis la place de celui qui fut, sans conteste, le plus grand interprète du Texte sacré pour en dégager son sens spirituel, à savoir s. Jérôme :  «A l'occasion du XVe centenaire de la mort de saint Jérôme, le plus grand des Docteurs dans l'interprétation des Saintes Lettres, Benoît XV, après avoir très religieusement rappelé les instructions et les exemples du saint Docteur, ainsi que les principes et les règles donnés par Léon XIII et par lui-même… » [§ 14)].

 

C’est alors, après de nombreuses réflexions [des paragraphes 1 à 26]  portant sur le respect, l’amour et la dévotion que doivent avoir les chrétiens pour les Ecritures en refusant les critiques modernistes qui lui dénient son caractère d’inspiration divine, et que signalant l’importance d’avoir recours au texte original en grec ou en hébreu pour mieux comprendre le sens de l’Ecriture, Pie XII explique, s’agissant du sujet qui nous occupe, soit celui du sens littéral dont il se ferait le promoteur dans cette lettre Encyclique selon une curieuse conception :

 

« Bien fourni de la connaissance des langues anciennes et des ressources de la critique, l'exégète catholique peut aborder la tâche - la plus importante de toutes celles qui lui incombent - de découvrir et d'exposer le véritable sens des Livres Saints. Que les exégètes, dans l'accomplissement de ce travail, aient toujours devant les yeux qu'il leur faut avant tout s'appliquer à discerner et à déterminer ce sens des mots bibliques qu'on appelle le sens littéral. » [§ 27]

 

Première découverte, le sens « littéral » selon Pie XII, est synonyme de sens « original, c’est-à-dire du sens que le mot possède dans sa langue d’origine. Cela n’a donc strictement rien à voir avec un sens des mots « pris au pied de la lettre », ce que l’Eglise qualifie en le rejetant de « littéralisme », tel que le pratiquent les interprètes réformés et protestants évangéliques.

 

Le Saint Père poursuit :

 

« Ils doivent mettre [les exégètes] le plus grand soin à découvrir ce sens littéral des mots [celui qu’il a dans les langues d’origine] au moyen de la connaissance des langues, en s'aidant du contexte et de la comparaison avec les passages analogues ; toutes opérations qu'on a coutume de faire aussi dans l'interprétation des livres profanes, pour faire ressortir plus clairement la pensée de l'auteur. » [§ 27]

 

Comme nous le voyons, nulle position chez Pie XII, visant à considérer que le sens littéral correspondrait à une interprétation littéraliste, ce qui serait absurde et en contradiction avec les Pères cités dans la lettre Encyclique comme les interprètes les plus assurés de l’Ecriture, s. Jérôme et s. Augustin, mais une demande de mieux connaître le sens des mots dans les langues utilisées par les auteurs inspirés. Ce n’est pas du tout la même chose !


D’ailleurs la remarque trouve immédiatement son éclairage dans la suite de la Lettre Encyclique :


« Que les exégètes des Saintes Lettres, se souvenant qu'il s'agit ici de la parole divinement inspirée, dont la garde et l'interprétation ont été confiées à l'Eglise par Dieu lui-même, ne mettent pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l'Eglise, ainsi que des explications données par les saints Pères, en même temps que de " l'analogie de la foi ", comme Léon XIII les en avertit très sagement dans l'Encyclique Providentissimus Deus (LEONIS XIII Acta, XIII, p. 345-346 ; Ench. Bibl. n. 94-96). » [§ 28]

 

Remarquable précision de Pie XII ! l’interprétation est confiée à l’Eglise, et non aux lumières particulières de chacun, ce qui invalide l’approche personnelle du texte comme le fait Vincent Morlier, mais de plus cette demande est assortie de l’avertissement :  « ne mett[a]nt pas moins de soin à tenir compte des interprétations et déclarations du magistère de l'Eglise, ainsi [ceci est d’importance] que des explications données par les saints Pères, en même temps que de " l'analogie de la foi " » [§ 28]. Or, les interprétations du Magistère depuis des siècles insistent toutes sur le sens spirituel et s’appuient, à juste titre, sur le principe « d’analogie de la foi » ! L’analogie de la foi qui est l’application du sens spirituel qu’il faut observer à l’égard de l’Ecriture.

 

Dans sa sagesse le saint Père indique donc :

 

« Qu'ils s'appliquent [les exégètes] d'une manière toute particulière à ne pas se contenter d'exposer ce qui regarde l'histoire, l'archéologie, la philologie et les autres sciences auxiliaires - comme Nous regrettons qu'on ait fait dans certains commentaires ; - mais, tout en alléguant à propos ces informations, pour autant qu'elles peuvent aider à l'exégèse, qu'ils exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes en matière de foi et de moeurs, de sorte que leurs explications ne servent pas seulement aux professeurs de théologie à proposer et à confirmer les dogmes de la foi, mais encore qu'elles viennent en aide aux prêtres pour expliquer la doctrine chrétienne au peuple et qu'elles soient utiles enfin à tous les fidèles pour mener une vie sainte, digne d'un chrétien. » [§ 28]

 

Entendons-nous correctement ce que demande Pie XII ? Que les exégètes « exposent surtout quelle est la doctrine théologique de chacun des livres ou des textes ». On est bien loin d’un désir d’en rester au sens premier du texte, à son littéralisme, mais d’aller, de se diriger, vers la découverte de la « doctrine théologique ». Mais au fait, quel est le synonyme de « doctrine théologique » dans la langue de l’Eglise ? Ce synonyme est celui-ci : « Le sens spirituel » !


Afin de mieux encore proposer cette approche selon le sens spirituel, Pie XII conclut ainsi sa lettre Encyclique :

 
« Quand les exégètes catholiques donneront une pareille interprétation, avant tout théologique, comme Nous avons dit, ils réduiront définitivement au silence ceux qui assurent ne rien trouver dans les commentaires qui élève l'âme vers Dieu, nourrisse l'esprit et stimule la vie intérieure… » [§ 29]

 

Cette précision sur le sens théologique, qui élève l’âme vers Dieu, nous montre comment il faut lire et interpréter le court  passage critiquant les exégètes qui prétendent ne rien trouver de théologique dan l’Ecriture et qu’il faut « uniquement » : « avoir recours à une interprétation spirituelle, ou, comme ils disent, mystique. » [§ 29]

 

Le développement confirme pleinement le souci de Pie XII, qui craint que la doctrine théologique ne disparaisse par une approche trop « mystique et intérieure » des âmes chrétiennes du Texte sacré :

 

« Que cette manière de voir ne soit pas juste, l'expérience d'un grand nombre l'enseigne, qui, considérant et méditant sans cesse la parole de Dieu, ont conduit leur âme à la perfection et ont été entraînés vers Dieu par un amour ardent. C'est aussi ce que montrent clairement et la pratique constante de l'Eglise et les avertissements des plus grands Docteurs. » [§ 29]

 

Mais l’avertissement trouve très vite sa sage et harmonieuse correction :

 

« Ce qui ne signifie certes pas que tout sens spirituel soit exclu de la Sainte Ecriture… » ;

 

de manière à être couronné par ce magnifique rappel traditionnel :

 

« …. car les paroles et les faits de l'Ancien Testament ont été merveilleusement ordonnés et disposés par Dieu de telle manière que le passé signifiât d'avance d'une manière spirituelle ce qui devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce. » [§ 29]

 

Est-ce que ceci est clair ? Ce qui « devait arriver sous la nouvelle alliance de la grâce » de qu’elle façon, sous quel mode, par l’effet de quel méthode ? La Réponse est très nette, obvie, incontestable : d'une manière spirituelle !

 

 

La conclusion de Pie XII, merveilleuse et entièrement catholique mérite toute notre attention :

 

« C'est pourquoi l'exégète, de même qu'il doit rechercher et exposer le sens littéral des mots [dans leur langue d’origine], tel que l'hagiographe l'a voulu et exprimé, ainsi doit-il exposer le sens spirituel, pourvu qu'il résulte certainement qu'il a été voulu par Dieu. Dieu seul, en effet, peut connaître ce sens spirituel et nous le révéler. » [§ 29]

 

Comment connaître ce sens spirituel ? Comment être certain qu’il est conforme à l’Ecriture, à l’enseignement de l’Eglise ?

 

Ecoutons pour le savoir les dernières lignes de Pie XII :

 

« Or, un pareil sens, notre Divin Sauveur nous l'indique et nous l'enseigne lui-même dans les Saints Evangiles, à l'exemple du Maître, les apôtres le professent aussi par leurs paroles et leurs écrits ; la tradition constante de l'Eglise le montre ; enfin, le très ancien usage de la liturgie le déclare quand on est en droit d'appliquer l'adage connu : " La loi de la prière est la loi de la croyance." » [§ 29]

 

Cela ne fait plus aucun doute, le sens de l’Ecriture, le sens du texte sacré, est celui donné par la Tradition de l’Eglise qui toujours insista sur une interprétation religieuse des Promesses, c’est celui, expliqué par les apôtres qui tous, absolument tous, nous indiquèrent que la destination du chrétien est à présent céleste,  c’est celui, intégralement spirituel, révélé par Jésus-Christ qui affirma : « Mon Royaume n’est pas de ce monde » !

 

 

 

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