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01/12/2013

Le « Chapelet secret » janséniste


L’oraison de silence et le « quiétisme » janséniste

ou

 

la spiritualité de l’annihilation volontaire

Martin de Barcos.jpg

Martin de Barcos (1600-1678),

neveu de l’abbé de Saint-Cyran, élève de Jansénius à l’université de Louvain,

 

auteur des « Sentiments de l'abbé Philérème sur l'oraison mentale », (1696).


Le « Chapelet Secret  du Saint-Sacrement» diffusé en milieu janséniste à la même période que le « Chapelet de la Petite Couronne » de Marguerite du Saint-Sacrement, se présentait comme un sorte de petit traité mystique - faussement attribué à Saint-Cyran (1581-1643), puisque composé en réalité par Agnès Arnauld (1593-1672), qui deviendra en 1658 abbesse de Port-Royal lors de la période la plus hostile au jansénisme, organisant le mouvement de résistance à la signature du Formulaire d’Alexandre VI. [1].

 

I.  Spiritualité de l’annihilation volontaire

 

Le Père Charles de Condren(1588-1641), son confesseur, avait insisté auprès d’Agnès Arnauld, pour qu'elle lui découvre les pensées qu'elle méditait en présence de Jésus, et c’est ainsi qu’elle lui remit les quelques pages qui furent appelées « Chapelet secret du Saint Sacrement », composé des seize attributs de Jésus-Christ en l'honneur des seize siècles écoulés depuis l'institution de l'Eucharistie, chaque attribut (sainteté, incommunicabilité, illumination, etc.), étant accompagné d'un court texte servant à orienter la méditation. Dans ce traité, le chrétien était invité à se rendre indifférent à son Salut par un acte d’abandon total et de profond délaissement, l’anéantissement de l’âme se concevant dans une tonalité ontologique qui n’est pas pour surprendre dans le cadre doctrinal de l’augustinisme, ainsi que cette méditation sur la dissolution de toutes choses en Jésus-Christ le montre assez nettement : « Priez pour que Jésus-Christ s'établisse dans tout ce que les âmes sont, qu'il ne souffre point la subsistance de la créature, qu'il soit tout ce qu'il doit être et fasse disparaître tout autre être, comme le soleil efface toute autre lumière, qu'il soit pour être et que la fin de son établissement soit pour Lui, et non pour l'avantage de l'âme qui le porte.» [2]

 

a) Condamnation du Chapelet secret

 

Cependant, comme il était à craindre, Le 18 juin 1633, le « Chapelet Secret » fut condamné par la Sorbonne et, le 26 avril de l'année suivante, le pape Urbain VIII (1568-1644) ordonnait sa destruction. Mais, fort heureusement, la pratique du « Chapelet secret » se maintint elle-même secrètement, alors que l’abbé de Saint-Cyran, ayant étudié attentivement le texte du « Chapelet secret », le trouva théologiquement parfait et obtint une approbation signée des docteurs de Louvain, en particulier de Jansénius, écrivant anonymement une « Apologie pour servir de défense au Chapelet secret» (1634), afin de répondre aux violentes critiques, également anonymes, publiées contre le Chapelet, par un jésuite que l'on croit être le Père Binet (1569-1639).

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Celle qui deviendra Mère Agnès, plusieurs années avant l'Augustinus (1641), posait donc les bases d’une spiritualité de l’annihilation volontaire, faisant de l’Oportet illum crescere, me autem minui, une rigoureuse perspective ascétique et mystique, parlant de « l’inapplication », et mettant en lumière l’infinie distance qui sépare la créature de Jésus-Christ, l’Être Divin ne devant point se soucier, ni n’avoir aucun égard pour notre néant, l’âme ayant à préférer être exposée à la perte plutôt qu’au souvenir de Dieu, ceci afin de disparaître dans l’abîme de l’oubli : « Afin que Jésus-Christ s'occupe de Lui-même, et qu'il ne donne point dans Lui d'être aux néants; qu'Il n'ait égard à rien qui se passe hors de Lui; que les âmes ne se présentent pas à Lui pour l'objet de son application, mais plutôt pour être rebutées par la préférence qu'Il doit à soi-même; qu'elles s'appliquent et se donnent à cette inapplication de Jésus-Christ, aimant mieux être exposées à son oubli, qu'étant en son souvenir, lui donner sujet de sortir de l'application de soi-même pour s'appliquer aux créatures. » Il convient, selon le « Chapelet secret », en choisissant le néant et l’extrême délaissement : « que les âmes se rendent à l'ignorance et qu'elles aiment le secret des conseils de Dieu, qu'elles renoncent à la manifestation des choses cachées de Dieu.» [3].

 

b) Le quiétisme du Chapelet secret

 

On constate, à la lecture des lignes d’Agnès Arnauld composant les méditations du « Chapelet secret », la grande proximité, pour ne pas dire leur intime parenté, avec certains textes du courant mystique qui fut désigné sous le nom de « quiétisme » au XVIIe siècle, prônant l’anéantissement des facultés et le saint repos intérieur de l’âme dans l’exercice de l’oraison. A première vue, ce rapprochement pourrait d’ailleurs surprendre, tant l’idée subsiste parfois chez beaucoup, d’un rejet de la part du jansénisme à l’égard de la mystique passive.

 

II.  Martin de Barcos : un janséniste mystique fidèle à Jansénius

 

Martin de Barcos (1600-1678) [4], qui va présider au climat spirituel de Port-Royal, et à la manière de prier et d’envisager l’oraison que l’on y développait, partait du principe que les facultés de la créature ayant été entièrement corrompues « jusqu'à la racine » par le péché originel, n’ont surtout pas à s’exercer dans la prière, faute de quoi elles souillent et noircissent le divin entretien par leur désorientation native empêchant Dieu d’agir dans l’âme.


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La créature ayant été corrompue « jusqu'à la racine » par le péché originel,

ses facultés n’ont surtout pas à s’exercer dans la prière,

faute de quoi elles souillent et noircissent le divin entretien.

 

a) Le « péché d’activité » dans l’oraison

 

Pour cette raison impérative, Barcos rejetait toute idée d’oraison méthodique et discursive, le seul mot de « méthode », dans le cadre du plein exercice de la grâce, don gratuit immérité, étant pour lui à proscrire absolument et avec la plus vigoureuse énergie, puisque l'action divine doit se substituer aux imparfaites et stériles industries humaines dans la prière, ce que Barcos désignait comme étant  « le péché d'activité » [5] :  « Un seul type d'actions est  exempt d'impureté, ce sont les actions auxquelles on ne se porte point par une application volontaire qui surprennent l'âme par le repos qu'elle y ressent, sans qu'elle s'y soit portée par aucun désir. Toutes les autres actions, qui se font par dessein et par délibération, toutes celles auxquelles on se prépare, sont, selon ces spirituels, infectées de propriété et d'activité, et ont besoin d'être purifiées ou, dans ce monde, par la destruction pénible de cette activité, ou, dans l'autre, par les flammes du purgatoire. Toutes ces actions sont des actions vivantes, c'est-à-dire produites par la vie d'Adam et par la nature corrompue ; ce sont des actions infectées de la corruption et de la malice de l'homme, qu'il faut faire mourir, évacuer et détruire par l'esprit de Dieu.» [6]

 

Dans Les Sentiments de l'abbé Philérème sur l'oraison mentale, Barcos énonce donc logiquement, de très nombreuses fois des critiques sévères contre l'intellectualisme pélagien, et conseille formellement dans la prière, la pratique de l’oraison intérieure de silence : « Cette sorte de méditation n’est point vraie prière, puisque ce n’est qu’une action de la mémoire qui se souvient de ce qu’on lui a appris, et de l’entendement qui produit des pensées et des raisonnements pour connaître les vérités : ce qui est tout humain et purement intellectuel, et ne tient rien du S. Esprit et de l’esprit de prière que Dieu répand dans l’âme.» [7]

 

III.  Le quiétisme, selon Fénélon, est « le jansénisme mis en pratique »

 

Ce que l’on pourrait désigner comme étant la « quiétude janséniste », défendue par Barcos, qui correspondait comme le voit, très exactement à ce que soutenaient les partisans de la  quiétude mystique dite « quiétiste », découlait en fait d’une conception théologique augustinienne en forme d’axiome métaphysique intransigeant : l'agent humain est radicalement mauvais, tolus malus; l'agent humain, est irrémédiablement corrompu et perverti dans ses moindres replis, c’est un néant face à l'agent divin, ce dernier seul devant être actif dans l’âme lors de l’exercice de la prière.

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François de Salignac de La Mothe-Fénelon 

dit "Fénelon" (1651-1715).



C’est pourquoi, Fénelon ne s’y est donc point trompé, lorsque critiquant dans un même mouvement quiétisme et jansénisme - quoique cette critique visiblement imposée par les circonstances puisse nous inspirer bien des réserves, mais c’est un autre sujet -, liait ces deux sensibilités au prétexte que le jansénisme, posant la corruption radicale des facultés comme principe préalable, rejoignait dans la passivité exigée de l’âme dans la prière, le quiétisme, qui faisait précisément de cette passivité la base de sa pratique de l’oraison, ceci engageant Fénelon à soutenir cette proposition surprenante : «Un Janséniste, conséquent dans ses principes, serait naturellement conduit, aussi bien qu'un Fataliste, à mettre en pratique la ridicule et dangereuse passiveté des Quiétistes.» [8]


Fénelon abordait la question du quiétisme janséniste, par rapport à l’affaire du « Chapelet secret », taxé de « quiétiste » non sans de justes motifs, tant la teneur même des méditations de Mère Agnès Arnauld, relevait d’une spiritualité de l’anéantissement et de l’abandon dont les auteurs taxés de quiétisme ne cessèrent de développer les mérites : « Parmi ces hommes singuliers, quelques auteurs modernes ont cru pouvoir mettre l'abbé de Saint-Cyran, et plusieurs des premiers disciples ou partisans de Jansénius. Cette conjecture paraît avoir quelque fondement, dans l'approbation donnée, par l'abbé de Saint- Cyran, au ‘‘Chapelet du saint Sacrement’’, où les principes du Quiétisme étaient clairement énoncés, et qui fut condamné, pour cette raison, par la faculté de théologie de Paris, en 1633, et même par un jugement du Saint-Siége. Il est certain, en effet, que l'abbé de Saint-Cyran, s'il n'était pas l'auteur de cet écrit, comme bien des gens l'ont cru, en prit hautement la défense, et le fit approuver par son ami Jansénius, alors docteur de Louvain, et depuis évêque d'Ypres. (cf. Dupin, Hist. eccl. du 17e siècle. 2e Part. p. 85.— D'Avrigny, Mém. Chron, tome II, 18 juin, 1633.— Nicole (sous le nom de Wendrock ), note 2e sur la 16e Lettre provinciale.—Notice sur Port-Royal, par M. Petitot; 1re partie, pp. 12-13). L'auteur de la Bibliothèque Janséniste  (le P. de Colonia, Jésuite) a pris de là occasion d'avancer, que le Quiétisme est une conséquence naturelle du Jansénisme, et le Jansénisme mis en pratique (cf. Préface de la Bibliothèque des auteurs Quiétistes, à la suite de la Bibliothèque Janséniste ; t. II, p. 281). Cette assertion peut sans doute paraître extraordinaire au premier abord; toutefois elle ne semblera pas destituée de fondement, si l'on fait attention que le Jansénisme, en soumettant l'homme à une insurmontable nécessité dans tous ses actes, introduit au fond un véritable Fatalisme, dont la conséquence naturelle est de le faire renoncer à toute activité, pour suivre passivement l'impulsion qui l'entraîne toujours malgré lui, soit au bien, soit au mal. Il est possible que cette conséquence n'ait pas été aperçue par les disciples de Jansénius; nous croyons même que la plupart d'entre eux ne l'ont pas en effet remarquée; car il est certain que, bien loin de se montrer favorables au Quiétisme, ils ont généralement témoigné une grande opposition pour cette hérésie, et, quelquefois même, porté cette opposition jusqu'à un excès manifeste ; mais il n'en est pas moins vrai qu'un Janséniste, conséquent dans ses principes, serait naturellement conduit, aussi bien qu'un Fataliste, à mettre en pratique la ridicule et dangereuse passiveté des Quiétistes.» [9]

 

« Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris »

 

D’ailleurs, cette proximité entre quiétisme et jansénisme, va si loin, qu’on oublie trop souvent que l’un des commandements majeurs de la perspective de l’Augustinus est « d’aimer Dieu », Jansénius ayant placé en exergue de son ouvrage cette citation de saint Paul : « Caritas Dei diffusa est in cordibus nostris / ‘‘L’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs’’. » (Romains V, 5), ceci expliquant pourquoi Pascal tancera si fortement le Père François Annat (1590-1670), dont n’oubliera pas que ce jésuite fut le confesseur du roi à partir de 1654, par ces mots : « Vous anéantissez la morale chrétienne en la séparant de l’amour de Dieu dont vous dispensez les hommes.» [10]

 

L’âme est certes unie à Dieu par l’amour, par un lien indéfectible, mais c’est Dieu uniquement qui en opère, par grâce, l’épanouissement dans le cœur de la créature. Et, à cet égard, Fénelon soutient que nous devons aimer Dieu en nous libérant de l’amour de soi-même, un amour mensonger et pervers dont il nous faut nous dépendre et sacrifier : «Nous devons un sacrifice à Dieu de tout nous-mêmes, sans exception » [11], ce qui est exactement la position janséniste rappelée par Pascal, qui regarde l’amour-propre comme comparable au péché des anges déchus, faisant du « pur amour » fénelonien, une sorte de prolongement en mode quiétiste de la position de Jansénius travaillant à faire en sorte que l’on puisse « soustraire la charité aux conditions psychologiques qui font de toute cupidité une espèce d’amour-propre» [12] ce dernier déclarant : « C’est une façon bien inférieure d’être moral que de l’être seulement par espoir de la récompense divine, ou par crainte du châtiment » [13], ce qui est l’exacte position des théoriciens du pur amour qui considèrent que l’amour véritable de Dieu ne peut-être qu’un amour désintéressé, pouvant aller jusqu’au sacrifice de son Salut si telle était, par impossible, la volonté de Dieu.

 

Et ce sacrifice n’est pas de l’indolence passive, c’est un acte intérieur d’engagement extraordinairement puissant sur le plan acétique et mystique, dont la rigueur fait rejoindre, pour ne pas dire se compléter, l’attitude quiétiste et janséniste : « L’originalité de Fénelon et des théoriciens du pur amour est d’autant plus grande, quand ils soutiennent qu’il nous faut aimer Dieu au-dessus de toutes choses, par-delà notre désir de la béatitude et notre hantise des peines infernales, et devenir donc, en ce sens, ‘‘indifférents à notre salut’’. Nous sommes évidemment ici à toute distance de la coupable nonchalance si vigoureusement dénoncée ! Il est légitime, bien plus il est même requis d’aspirer au salut, mais ce qui est en question est la nature de l’amour. L’amour sans mélange (au sens chimique) fait abstraction de ce que les esprits de la Renaissance appelaient la ‘‘philautie’’ : il est fondamentalement désintéressé. Selon Fénelon, on ne peut aimer Dieu comme ‘‘parfait’’ sans l’aimer ‘‘béatifiant’’, mais il n’en faut pas moins parvenir à l’aimer essentiellement pour lui-même, indépendamment du motif du salut.» [14]


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19/04/2009

Contre les vices charnels et l’impureté

 

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À cinq ans Sainte Marguerite-Marie Alacoque (1647-1690),

fit, à l’insu de tous,

sa première consécration à la messe ou elle prononça ces mots :

« Ô mon Dieu, je vous consacre ma pureté et vous fais vœu de perpétuelle chasteté »

 

Il m’apparaît judicieux de proposer, eu égard aux incroyables ravages provoqués par la licence et la décomposition des mœurs dans nos sociétés modernes, y compris dans les milieux prétendus catholiques où l’on voit aujourd’hui d’indignes littérateurs conciliaires auteurs d’abjects ouvrages blasphématoires qui sont l’objet d’une incroyable publicité, se faire les coupables avocats de la luxure et de l’orgasme, un sermon de Bourdaloue (l’un des plus grands moralistes du XVIIe siècle, le plus « janséniste » des jésuites selon la formule devenue célèbre) sur « l’impureté », sermon qu’il prononça en période de carême, afin de mettre en exergue la terrible puissance séductrice d’un nocif penchant à  l’impudicité charnelle qui s’est imposé hideusement à l’ensemble de nos contemporains.

En effet, le spectacle de l’immoralité est à ce point devenu courrant, que l’on ne s’étonne plus de voir des femmes, évidemment dans la plus complète nudité d’Eve, exposées dans des positions qui manifestent une rare absence de honte, tant sur les murs de nos villes que dans les magazines ou les journaux, ceci au prétexte de publicité ; sans parler des horreurs de l’érotisme et de la pornographie dans toutes les variantes de leurs diverses sous-catégories immondes, qui s’étalent de façon généralisée aux yeux de tous, et dont l’univers nauséabond et affreusement diabolique de l’internet est un extraordinaire pourvoyeur auprès des populations, y compris les plus jeunes âmes qui y trouvent à présent un terrain propice à leur perdition.

 

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« Celui qui veut garder inviolablement la chasteté, dit saint François de Sales,

doit la confier et la mettre entre les mains de la reine des anges,

et attendre tous les secours nécessaires pour surmonter les difficultés

qui s'y rencontrent de sa puissante protection.

Il doit se souvenir que c'est un don de Dieu,

qu'il faut par suite lui demander par prières, jeûnes et autres bonnes œuvres,

que c'est un don qui est accordé aux humbles, l'impureté étant la peine du vice superbe,

étant certain que tôt ou tard les vains et orgueilleux tomberont dans quelque péché honteux. »

 

 

Plus que jamais, il importe donc de s’élever avec fermeté contre le venin de l’impureté, chemin effectif de réprobation, car il nous représente dès cette vie l'état des réprouvés après la mort dans la mesure où, précisément, rien ne nous expose à un danger plus certain de tomber dans l'état infernal des réprouvés, c’est-à-dire d’être éloigné et séparé de Dieu, que ce vice abject, sachant que l’impureté ouvre une voie directe, par son attraction voluptueuse, aux pires abaissements libidineux et compromissions révoltantes dont se délecte l’ennemi du genre humain pour faire chuter et perdre en permanence les faibles créatures que nous sommes, et surtout les ravir définitivement à Dieu.

 

Il est de la sorte, si nous voulons nous prémunir contre les redoutables pièges du démon, plus qu’utile de lire attentivement les lignes que nous laisse Bourdaloue, et d’en méditer avec un soin tout spécial le sens, afin de s’engager véritablement, en se gardant des pièges tendus par les vices charnels, dans la recherche d’un état de sainteté intérieure que le Ciel exige de chaque chrétien.

 

 

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« C’est la virginité de Marie qui a attiré Jésus du ciel…

cette pureté angélique est le bien de la divine Marie… »

(Bossuet)

 

 

 

SERMON POUR LE IIIe DIMANCHE DE CARÊME
SUR  L'IMPURETÉ.

Bourdaloue (1632-1704)

 

Il y a des démons de plusieurs espèces; mais entre tous les autres, celui que nous devons avoir particulièrement en horreur, c'est le démon d'impureté. Rien de plus ordinaire et de plus pernicieux que le vice qu'il entretient dans les cœurs, et c'est ce vice abominable que j'attaque dans ce discours.

 

Quatre choses marquées dans l'Ecriture expriment parfaitement l'état des réprouvés dans l'enfer, savoir : les ténèbres, le désordre, l'esclavage, et le ver de la conscience.

 

Or, de tous les péchés, l'impureté est celui :

 

-          1° qui jette l'homme dans un plus profond aveuglement d'esprit;

-          2° qui l'engage dans des désordres plus funestes;

-          3° qui le captive davantage sons l'empire du démon;

-          4° qui forme dans son cœur un ver de conscience plus insupportable et plus piquant.

 

1° Aveuglement : car l'impureté rend l'homme tout charnel. Or, de prétendre qu'un homme charnel ait des connaissances raisonnables, c'est vouloir que la chair soit esprit : Animalis homo non percipit ea quae Dei sunt. En effet, dit saint Bernard, l'impudique se réduit à la condition des bêtes, lorsqu'il suit les mouvements d’une passion prédominante dans les bêtes. Par conséquent, il n'a plus ces lumières de l'esprit qui nous distinguent des bêtes, et qui nous font agir en homme. Aussi voyons-nous tant de voluptueux, au moment que la passion les sollicite, fermer les yeux à toutes les considérations divines et humaines. Venons au détail. Ils perdent surtout trois connaissances : la connaissance d'eux-mêmes, la connaissance de leur propre péché, et la connaissance de Dieu.

Ils perdent la connaissance d'eux-mêmes et de ce qu'ils sont.  Exemple de ces deux vieillards qui, sans se souvenir de leur dignité et de leur âge, tentèrent la chaste Suzanne. Aussi les poètes, selon la remarque de Clément Alexandrin, en décrivant les infâmes commerces de leurs fausses divinités, les représentaient toujours déguisées,  et souvent métamorphosées en bêtes : pour nous faire entendre que ces dieux prétendus n'avaient pu se porter à de telles extrémités sans  se méconnaître. Et certes n'est-il pas surprenant de voir jusques à quel point ce péché abrutit l'homme? On oublie tout. Un père oublie ce qu'il doit à ses enfants, un juge ce qu'il doit au public , un ami ce qu'il doit à son ami, un prêtre ce qu'il doit à Jésus-Christ, une femme ce qu'elle doit à son mari, une fille ce qu'elle se doit à elle-même.

 

Je dis plus. L'impudique perd la connaissance de son péché, ou plutôt de la grièveté de son péché. Dans les règles communes, c'est par l'expérience que nous parvenons à la connaissance des choses; mais dans le péché dont je parle, il arrive tout le contraire. Car nous ne le connaissons jamais mieux que quand nous n'en avons nul usage, et nous n'en perdons la connaissance qu'autant que nous nous licencions à le commettre. Une âme encore innocente et pure le regarde comme un monstre ; mais un pécheur par état le traite de galanterie, et s'en applaudit. Aurait-on jamais cru qu'il dût y avoir des chrétiens assez corrompus pour traiter de simple galanterie un péché de cette conséquence? Et qu'est-ce encore que d'entendre des femmes dans le christianisme tenir de semblables discours, et regarder comme des bagatelles de vrais crimes? Ces conversations libres, ces entretiens secrets et familiers, ces amitiés prétendues honnêtes, ces commerces assidus de visites et de lettres, ces artifices de la vanité humaine, cette détestable ambition d'avoir des adorateurs, ces douceurs vraies ou fausses témoignées à un homme mondain, ces habillements immodestes : tout cela n'est rien, dites-vous ; mais la question est de savoir si Dieu en jugera de la sorte, et si vous-mêmes, lorsqu'il faudra comparaître devant son tribunal, vous n'en jugerez pas autrement.

 

Enfin, ce péché nous fait perdre la connaissance de Dieu. On peut dire que les impudiques sont communément des esprits gâtés en matière de créance, et que le progrès de l'impiété suit presque toujours le progrès du vice. La raison est que la vue d'un Dieu troublant le voluptueux dans son plaisir, pour mieux goûter son plaisir il prend le parti de renoncer Dieu ; et ce fut ainsi que Salomon devint idolâtre. Les païens, selon la remarque de saint Augustin, ayant fait eux-mêmes leurs dieux, ils les ont fait selon leur caprice, et tels qu'ils les ont voulus : des dieux passionnés, emportés, adultères. Mais comme notre Dieu est indépendamment des hommes tout ce qu'il est; le voluptueux, désespérant de le changer, et le trouvant toujours contraire à sa passion, le désavoue. Or, y a-t-il rien de plus affreux dans les ténèbres de l'enfer que cet aveuglement ? Les ténèbres de l'enfer ne sont que des ténèbres extérieures: In tenebras exteriores; au lieu que l'aveuglement de l'impudique est tout intérieur.

 

2° Désordre et confusion. Dans le désordre même de l'enfer, il y a un ordre supérieur que la justice divine y a établi, puisque c'est là que Dieu punit ce qui est punissable : au lieu que le désordre de l'impureté est un pur désordre. Il consiste, selon saint Augustin, en ce que l'esprit se laisse gouverner par les sens. Il consiste, selon saint Chrysostome, en ce que l'impureté porte l'homme à des excès où la sensualité même des bêtes ne se porte pas. Exemple de ces villes abominables dont il est parlé au livre de la Genèse, et sur qui Dieu fit éclater sa colère. Enfin, selon Tertullien, il consiste en ce que l'impureté a une liaison presque nécessaire avec tous les autres vices, et que tous les autres vices sont, pour ainsi parler, à ses gages et à sa solde. De là les guerres et les dissensions, les discordes et les haines irréconciliables, les profanations et les sacrilèges, les empoisonnements et les assassinats, les trahisons et les noires impostures, les injustices et les violences, les dépenses excessives et la ruine des familles. C'est ainsi que l'impureté renverse tout.

L'indignité est qu'une femme perdue d'honneur et de conscience, par un renversement autrefois inouï, fasse elle-même les avances les plus criminelles et les plus honteuses. L'excès du désordre est que toutes les bienséances qui servaient de rempart à la pureté soient maintenant bannies comme incommodes. Le comble du désordre est que les devoirs les plus inviolables chez les païens mêmes soient parmi nous des sujets de risée. Un mari sensible au déshonneur de sa maison est le personnage qu'on joue sur le théâtre. Quel désordre encore qu'un mari, pourvu d'une femme prudente et accomplie, mais entêté d'une passion bizarre, aime avec obstination ce qui souvent n'est point aimable, et ne puisse aimer par raison ce qui mérite tout son amour !

 

3° Esclavage. Point de péché qui rende l'homme plus esclave du démon. Dans les premiers siècles de l'Eglise, remarque saint Augustin, cet ennemi de notre salut attaquait les chrétiens par les persécutions : pourquoi? parce que les chrétiens alors vivaient dans une entière pureté de mœurs, et que, ne pouvant s'en rendre maître par l'amour du plaisir, il tâchait à les vaincre par l’horreur des supplices. Mais depuis qu'il a trouvé moyen de s'introduire par les voluptés sensuelles, toutes les persécutions ont cessé. Car cette voie lui a paru bien plus courte et plus assurée. Triste esclavage, où gémit si longtemps saint Augustin !

 

4° Ver de la conscience et trouble. Trouble du côté de Dieu, que l'impudique envisage comme le juge de ses actions et de sa vie. Dans les autres péchés, on peut se faire plus aisément une fausse conscience, et le pécheur dans sa fausse conscience trouve une espèce de repos. Mais l'impureté est un vice trop grossier pour servir de sujet aux illusions d'une conscience erronée. Ainsi, pour peu qu'on ait encore de religion, il n'y a point de péché que le remords suive de plus près. Il est vrai que l'impudique perd assez communément la foi : mais en quelles incertitudes le jette alors son infidélité même ! et cette infidélité ne l'assurant de rien cl lui faisant hasarder tout, de quel secours lui peut-elle être pour avoir la paix ? Trouble encore plus sensible du côté de l'objet qu'il adore. Dans la naissance de cette passion, quel tourment est comparable à celui d'un esprit blessé qui aime, et qui s'aperçoit qu'il n'est pas aimé ! ou si l'on répond à ses assiduités, quelles craintes au moins qu'on n'y réponde pas également, qu’on n'y réponde pas sincèrement, qu'on n'y réponde pas constamment! Dans le progrès de cette même passion, que ne faut-il pas essuyer? caprices, fiertés, hauteurs, légèretés de la part de celle dont on a fait son idole. Surtout si la passion se tourne en jalousie, comme il arrive presque immanquablement ; quel enfer! Et quelle issue enfin, quel dénouement ordinaire ont ces criminelles intrigues? La seule vue de l'avenir n'est-elle pas une peine continuelle et toujours présente, quand on se dit à soi-même il qu'un se le dit avec assurance : Cette passion finira; et le succès le moins fâcheux que j'en puisse attendre, c'est qu'elle finira pas quelque chose de désagréable ? Ah! mon Dieu, nous ne le comprenions pas, mais nous sommes obligés de le reconnaître, que vous ne châtiez jamais plus rigoureusement le pécheur qu'en le livrant à ses appétits déréglés.

 

 

Deuxième partie. Impureté, principe de la réprobation.

 

Opérer la réprobation dans une âme, c'est la conduire à l'impénitence finale. Or, il n'y a point de péché qui semble plus éloigné de la pénitence que l'impureté, et qui par conséquent, dans le cours ordinaire, soit plus irrémissible. Je ne dis pas irrémissible dans le sens que l'a entendu Tertullien, lorsqu'il prétendait que ce péché était absolument sans remède, et que quelque marque de pénitence que donnât le pécheur, l'Eglise ne le devait et ne le pouvait jamais recevoir ; mais j'entends qu'entre les péchés, il n'y en a point de plus difficile a guérir, et que par ses engagements criminels l'impudique se fait, pour ainsi parler, à lui-même un état d'impénitence, d'où il pourrait et d'où il ne veut presque jamais sortir. Voilà en quoi la vérité que j'établis est différente de l'hérésie de Tertullien. Hérésie qui, tout insoutenable qu'elle est, nous fait toujours connaître de quelle horreur on était alors prévenu contre le péché que je combats, et combien à l’égard de ce crime la discipline de l'Eglise était rigoureuse. Hérésie fondée sur des raisons en elles-mêmes très solides, mais dont Tertullien tira des conséquences outrées.

 

Sans donc porter la chose si loin,je dis que l'impureté conduit à l'impénitence finale : comment ?

 

-          1° parce qu'il n'est point de péché qui rende le pécheur plus sujet à la rechute ;

-          2° point de péché qui expose plus le pécheur à la tentation du désespoir ;

-          3° point de péché qui tienne le pécheur plus étroitement lié par l'habitude.

 

1° Rechute. Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti, dit l'esprit impur : je reprendrai dans cette âme tons les avantages que j'y ai perdus, et le dernier état où elle se trouvera sera pire que le premier. J'en appelle, Chrétiens, à votre expérience : et n'est ce pas là ce qui nous rend vos confessions suspectes quand vous avez recours à nous dans le sacré tribunal?

 

2° Désespoir. Desperantes semetipsos tradiderunt impudicitiœ. Mais de quoi surtout désespère l'impudique? il désespère de sa conversion, où il voit des difficultés presque insurmontables. Il désespère de sa persévérance, témoin qu'il est de ses légèretés passées. Il désespère de Dieu, et il désespère de lui-même : de Dieu, parce qu'il a si souvent abusé de sa miséricorde ; de lui-même, parce qu'il a de si sensibles convictions de sa faiblesse.

 

3° Habitude. Tout y contribue : les occasions beaucoup plus fréquentes, la facilité de commettre le péché beaucoup plus grande, les impressions qu'il laisse beaucoup plus fortes, le penchant beaucoup plus violent. Aussi combien voyons-nous d'impudiques par habitude et par profession qui se convertissent? une Madeleine, un Augustin pénitent, ce sont des espèces de prodiges. Ce n'est pas que ces voluptueux ne se présentent quelquefois au sacrement de la pénitence; mais de la manière dont ils s'y comportent, c'est plus pour leur condamnation qu'ils s'y présentent, que pour leur justification. Quand donc feront-ils pénitence? Dans cette vie? ils ne s'y déterminent jamais. Dans l'autre? elle est inutile. A la mort? c'est le péché qui les quitte, et non pas eux qui quittent le péché.

Cela seul me fait comprendre la vérité de cette terrible parole de Jésus-Christ : Beaucoup d'appelés et peu, d'élus. Car l'Apôtre nous apprend que les impudiques ne seront jamais héritiers du royaume de Dieu, et nous voyons d'ailleurs que le monde est plein de ces hommes sensuels et esclaves de leur plaisir.

 

C'est à vous, Chrétiens, a y prendre garde tandis qu'il est encore temps : car il est temps encore après tout, et je n'ai point prétendu dans ce discours vous ôter toute espérance, mais vous engager a une vigilance plus exacte, et vous porter a faire de nouveaux efforts.

 

Nous avons besoin pour cela, Seigneur, d'une grâce victorieuse et toute-puissante. Grâce que je vous demanderai sans cesse, à laquelle je me disposerai, a laquelle je répondrai, et que je conserverai avec soin :

 

 

« Lorsque l'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides,

cherchant du repos, et il n'en trouve point. Alors il dit :

Je retournerai dans ma maison d'où je suis sorti ;

et à son retour il la trouve vide, balayée et ornée.

Il part aussitôt, et il va prendre avec soi sept autres esprits plus méchants que lui ;

 ils rentrent dans cette maison, et ils y habitent. »

 

(Saint Matthieu , chap. XII, 43-45.)