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16/10/2008

Le Dogme de la grâce

 

Le Dogme de la grâce

de

Jean-Martin Moye [1]

(1730-1793)

Chapitre I

Définition de la Grâce

Il y a peu de personnes qui aient une juste idée de la Grâce. On la confond avec les faveurs temporelles ou avec les dons et les talents naturels. On dit en parlant de ces sortes d'avantages : " Dieu m'a fait une grâce... ". Mais ce ne sont pas là des grâces. Il y a une grande différence entre la Grâce et les biens de ce monde.

La Grâce est un don surnaturel accordé gratuitement à l'homme en vertu des mérites de Jésus-Christ pour l'aider à faire le bien et éviter le mal, le sanctifier, et lui faire mériter la vie éternelle.

1° La Grâce est un don de Dieu, une faveur, un bienfait accordé à la créature.

2° C'est un don surnaturel ; il est au-dessus de la nature ; il ne vient point de la nature ; il n'est point dû à la nature.

3° Il est gratuit, parce qu'on ne peut point le mériter. Car si on pouvait la mériter la Grâce serait une justice et une récompense, et non pas une grâce : Si autem gratia, jam non ex operibus, alioqui gratia jam non esset gratia (Rm 11,6). Ce n'est donc point pour nos mérites que la Grâce nous est accordée, mais par les mérites de Jésus-Christ, qui nous a mérité toutes les Grâces du salut par sa Mort et sa Passion.

4° La Grâce nous est donnée pour nous aider à éviter le mal et faire le bien, parce que la nature étant tombée par le péché d'Adam, elle est trop faible pour surmonter ce penchant qui l'entraîne vers le mal, et pour vaincre la difficulté qu'elle a pour le bien. Il faut pour cela que Dieu la soutienne et qu'il lui donne une force divine qui l'élève au-dessus de sa faiblesse naturelle, la rende capable d'agir d'une manière surnaturelle, et faire des œuvres dignes de lui et méritoires de la vie éternelle. Et c'est cette aide, ce secours, cette force divine que l'on nomme proprement Grâce. Sans cette Grâce nous ne pouvons rien par rapport au salut ; avec cette Grâce nous pouvons tout. Ce n'est qu'avec cette Grâce que nous pouvons mériter le Ciel. Les Grâces ont pour fin le salut éternel, au lieu que les biens temporels ne sont donnés prochainement que pour les besoins du corps et les nécessités de la vie présente.

5° Pour le sanctifier et lui faire mériter la vie éternelle : car quoique la seule Grâce habituelle puisse nous justifier et nous mériter le Ciel, cependant toute Grâce tend à la justification et au salut éternel.

Chapitre II

Explication du terme Surnaturel

Comme c'est de l'intelligence de ce terme de surnaturel que dépend la juste idée que l'on doit se former de la Grâce, il est nécessaire d'en donner une explication plus étendue. Pour mieux comprendre la signification du terme de surnaturel que l'on donne à la Grâce il faut remarquer qu'il y a trois sortes de biens que Dieu peut accorder à ses créatures, savoir : les biens temporels, qui sont les biens de ce monde, les richesses, les honneurs, et les plaisirs ; les biens naturels, qui sont les talents que nous avons reçus de la nature, l'esprit, le jugement, la mémoire, la santé, la force, la beauté, ou ceux que nous avons acquis par l'art, comme la science, l'éloquence, l'adresse ; et les biens surnaturels sont ceux qui viennent immédiatement de Dieu, et qui nous sont donnés pour la sanctification de notre âme et pour nous faire mériter la vie éternelle, comme les inspirations, les pieux sentiments, et toutes les grâces du salut.

On appelle la Grâce un don surnaturel pour la distinguer des avantages temporels et des dons naturels. On nomme naturel ce qui est attaché à la nature, et surnaturel ce qui est au-dessus de la nature ; on nomme naturel ce qui vient de l'homme, et surnaturel ce qui vient de Dieu.

L'Écriture sainte nomme quelquefois la Grâce simplement l'esprit, parce que c'est le Saint-Esprit qui est l'auteur et le distributeur de la Grâce, et que c'est dans l'âme qu'elle opère. Elle donne à la nature le nom de chair, parce que c'est surtout dans la chair que les impressions de la nature se font sentir, selon ces paroles de saint Paul : " Je ressens dans mes membres une loi qui s'oppose à celle de mon esprit " (Rm 7, 23). Ainsi Jésus-Christ disait à ses Apôtres : " L'esprit est prompt, mais la chair est faible " (Mt 26, 41). C'est encore dans ce sens qu'il est dit que les enfants de Dieu ne sont point ceux qui sont " nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais qui sont nés de Dieu " (Jn 1, 13).

Il est à propos de remarquer que par le terme de nature on entend assez ordinairement la passion, parce qu'on parle de la nature, non pas comme elle était en sortant des mains de Dieu, car elle était bonne et parfaite, mais comme elle est depuis le péché d'Adam, viciée et corrompue.

Cependant en parlant dans l'exactitude, la nature est distinguée de la passion. La nature est notre corps et notre âme avec ses facultés, l'entendement, la mémoire, et la volonté. La passion est le penchant que notre volonté a pour le mal. Ainsi la nature est bonne en elle-même, et la passion n'a rien de bon.

Mais comme la nature infectée par le péché originel est presque toujours passionnée, on confond la nature avec la passion.

Chapitre III

Que la Grâce est le principe de tous les sentiments

et de toutes les opérations surnaturelles

La Grâce est le principe de toutes les opérations surnaturelles qui se font en nous, comme la nature est le principe des opérations naturelles. Ainsi tout ce qui se fait par le principe et le mouvement de la Grâce est surnaturel et divin, et tout ce qui se fait par le principe et le seul mouvement de la nature est naturel et humain. C'est ce que le Sauveur disait à Nicodème : Quod natum est ex carne caro est, et quod natum est ex spiritu spiritus est (Jn 7, 6). " Tout ce qui est né de la chair est chair, et tout ce qui né de l'esprit est esprit ".

Quand l'homme n'agit que de lui-même et par ses propres forces, toutes ses actions ne sont que des actions humaines et naturelles. Mais quand c'est Dieu qui agit en lui et avec lui par sa Grâce, ses actions deviennent surnaturelles. Ainsi les lumières qui viennent de la Grâce sont surnaturelles, et celles qui viennent de l'esprit humain ne sont que naturelles. La science des Philosophes était naturelle, parce qu'elle venait de la raison humaine, au lieu que la science des Saints était surnaturelle, parce qu'elle venait de la Grâce.

Les connaissances naturelles s'acquièrent par l'étude et le raisonnement, et les connaissances surnaturelles sont celles qui viennent dans nous par l'infusion du Saint-Esprit qui les répand dans nos âmes. C'est de ces lumières surnaturelles dont l'auteur de l'Imitation parle lorsqu'il dit : Quanto aliquis magis unitus et interius simplicatus fuerit, tanto plura et altiora sine labore intelligit, quia desuper lumen intelligentiæ accipit (Imitation I, ch. 3, 14). " Plus un homme est recueilli et simple de cœur, plus il comprendra de choses sans peines, parce qu'il reçoit d’en-haut la lumière de l'intelligence ". Un seul rayon de cette lumière surnaturelle vaut mieux que toutes les sciences profanes. Dieu peut en seul instant et d'une seule vue, d'un seul coup d’œil, nous faire voir plus de vérités que les hommes ne peuvent nous en apprendre pendant des années entières. On l'a vu cent fois, et on le voit encore tous les jours, que des âmes simples et ignorantes dans les sciences du monde sont plus spirituelles et plus éclairées dans la science du salut et dans les voies de Dieu que les plus grands Philosophes.

Les vérités que la Foi nous apprend sont surnaturelles, parce qu'elles sont au-dessus de la raison et de la portée de l'esprit humain, et que c'est Dieu qui nous les a révélées.

Lorsque saint Pierre eut confessé la Divinité de Jésus-Christ, il lui adressa ces paroles : " Vous êtes bienheureux, Simon, parce que ce n'est point la chair ni le sang qui vous l’a révélé, mais mon Père qui est dans les Cieux " (Mt 16, 17).

Les sentiments que la Grâce nous inspire sont surnaturels, et ceux que la nature excite en nous ne sont que naturels. La dévotion qui ne vient que du tempérament ou des efforts de l'imagination n'est qu'une dévotion naturelle, et celle que la Grâce anime est surnaturelle.

La contrition qui n'est excitée que par des motifs humains, comme par honte ou le châtiment et la peine que nous craignons de la part des hommes, n'est qu'une contrition naturelle, qui ne peut point nous disposer prochainement au Sacrement de Pénitence ; il faut que la douleur de nos péchés soit inspirée par les principes de la Grâce, et excitée par les motifs surnaturels que la Foi nous propose.

L'amour du prochain n'est aussi très souvent que naturel ; et c'est quand on ne suit en l'aimant que son inclination, au lieu que l'amour surnaturel consiste à l'aimer en vue de Dieu, par principe de Grâce et de Religion. C'est de cet amour naturel que Jésus-Christ disait : " Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, et si vous ne faites du bien qu'à ceux qui vous en font, quelle récompense avez-vous droit d'attendre ? Les Païens en font autant " (Lc 6, 32-33).

[…]

Les mêmes actions sont naturelles dans les uns et surnaturelles dans les autres selon la différence du motif et du principe qui les fait agir. Car les actions les plus communes et les plus ordinaires, comme le boire, le manger, et le travail, si elles sont faites par un principe de grâce et en vue de Dieu, elles deviennent surnaturelles et méritoires. " Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez quelqu’autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu ", dit saint Paul. (1 Co 10, 3).

Les actions les plus saintes en elles-mêmes ne sont qu'humaines quand elles ne partent que d'un sentiment humain. Telle est par exemple l'aumône qui ne se fait que par une compassion naturelle et humaine, une Confession qui ne se fait que par une envie de décharger son cœur, pour communiquer ses peines, pour s'ouvrir à son Confesseur comme à un ami plutôt que comme à un Ministre de Dieu, une Communion faite pour se satisfaire, en se cherchant soi-même plutôt que Dieu, etc.

On voit par là la différence qu'il y a entre les bonnes œuvres naturelles et les bonnes œuvres surnaturelles, entre les vertus purement morales et les vertus Chrétiennes, entre les dons de la Grâce et ceux de la nature, entre les qualités humaines et les qualités divinement infuses ou acquises par le secours Divin.

 

*

 

 

[1] Ordonné prêtre le 9 mars 1754 par Louis de Montmorency-Laval, évêque de Metz, et soucieux d’aider les laïcs des paroisses à développer leur vie spirituelle, il se mit à écrire et à publier. Vers la fin de l’année 1762 Jean-Martin et un ami plus jeune, l’abbé Louis Jobal de Pagny (1737-1766), prêtre depuis septembre 1761, faisaient imprimer un manifeste anonyme de quelques pages sur le baptême des petits enfants, et spécialement des fœtus qui seraient en danger de mort. Cette feuille tirait certaines conclusions pastorales d’un ouvrage sorti à Paris en 1762, Abrégé de l’Embryologie sacrée, qui présentait la doctrine d’un moraliste sicilien, François Cangiamiglia.

Sa seconde publication, parue en 1764, était une réimpression avec commentaire d’un opuscule du cardinal de Bérulle (1575-1629), Élévation à Dieu sur le mystère de l’Incarnation. Moye composa ensuite un livre de taille, qui sortit à Metz en 1767, Recueil de diverses pratiques de piété. Une cabale qui se montait à Metz contre les initiatives de Jean-Martin Moye amena cependant le nouvel évêque, Louis de Montmorency-Laval, évêque depuis 1761, à intervenir. On accusait Moye d’imprudence dans son envoi de jeunes femmes dans des hameaux perdus, de rigorisme dans sa pratique du sacrement de pénitence, et d’injuste critique du clergé et des sages-femmes dans son pamphlet sur le baptême.

Par son grand vicaire, Mgr Bertin, l’évêque fit ordonner à Jean-Martin, en mai 1762, de suspendre les envois d’enseignantes volontaires dans les campagnes, sans pour autant renvoyer celles qui s’y trouvaient déjà. En même temps il nommait Moye vicaire à la paroisse de Dieuze. On lui reprochait d’interdire les bals campagnards qui étaient de coutume à l’occasion des fêtes de villages. On taxa d’hypocrisie sa pratique de prier quelque temps les bras en croix, chaque vendredi, devant des calvaires érigés le long des chemins. Son refus de l’absolution à des pénitents qu’il estimait sans contrition ou sans ferme propos était d’autant moins fait pour éloigner de lui le soupçon de jansénisme que, du temps de Henri-Charles de Coislin, évêque de Metz de 1697 à 1730, dont la famille était liée à Port-Royal, le diocèse avait toléré une morale rigoriste qui poussait à la sévérité dans l’administration des sacrements.

Cette fois, Mgr de Montmorency-Laval semble avoir pris l’accusation très au sérieux. En pleine semaine sainte de 1767, il suspendait Moye de toutes fonctions sacerdotales dans la paroisse de Dieuze, sans lui assigner un nouveau poste, mais aussi sans toucher à l’œuvre des campagnes. l’abbé Moye forma le dessein de quitter aussi bien la Lorraine que la France, de s’engager dans la Société des Missions étrangères de Paris, laquelle se spécialisait dans les missions d’Extrême-Orient, et de se porter volontaire pour la Chine. Il se rendit donc à Paris, où, à la date du 1 octobre 1768, on trouve son nom sur les registres de la Société des Missions étrangères.

En attendant son départ pour la Chine, Jean-Martin Moye retourna en Lorraine au printemps 1769. Il visita les religieuses, généralement appelées alors les Sœurs de Providence. Il prêcha des missions paroissiales dans le diocèse de Metz et dans la Grande Prévôté. N’ayant pas l’intention de revenir de Chine, il renonça, le 20 juin 1769, à sa part du futur héritage paternel. Avant de quitter la région, il remit au chanoine Raulin, avec mission de le faire publier, son ouvrage le plus théologique, Le Dogme de la grâce, travail qu’il avait sans doute composé à Dieuze et Saint-Dié, et dont il avait obtenu l’imprimatur de la Sorbonne en octobre 1768. Il lui laissa également un manuscrit plus court, Traité de l’esprit du monde. Tous deux furent publiés en 1774 à Nancy, sous une même reliure. Jean-Martin prêcha beaucoup dans toute la région des lacs, non loin de Dieuze. Dans les Vosges il prêcha à Ramberviller, à Charmes et dans les environs, notamment à Essegney, Chamagne, Rugney. Il prêcha aussi dans la région de Bitche, et à Chaligny, à Thésey, entre Nancy et Metz, où le jeune séminariste, Jacques Louyot, lui rendit visite, à Emberménil, au nord-est de Lunéville, où était curé Henri Grégoire (1750-1831), futur député aux États généraux, qui allait devenir évêque constitutionnel de Blois, et fut une grande figure chrétienne de la Révolution. Entre ses prêches dans les paroisses et ses entretiens avec les religieuses, Jean-Martin fit imprimer le texte de plusieurs causeries qu’il avait coutume de faire dans ses missions paroissiales : Instruction sur la manière de bien faire ses actions, Instruction pour les hommes, ...pour les garçons, ...pour les filles..., et sans doute d’autres qui ont disparu. Il traduisit en français quelques-uns de ses écrits chinois, notamment Trente-trois réflexions sur les trente-trois années que passa Jésus-Christ sur la terre, une Vie de Marie, un certain nombre de litanies, et quelques prières, notamment une Prière pour honorer les cinq plaies du Sauveur. Il meurt, le 4 mai 1793.

(Cf. Georges Tavard)

 

 

 

22/06/2008

DE LA FREQUENTE COMMUNION

 
 
 
 
 
où le sentiment des Pères, des papes et des conciles,
touchant à l’usage des sacrements de pénitence et d’eucharistie,
sont fidèlement exposés.

 

 
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« La préparation nécessaire pour communier souvent,
est de mépriser de tout son cœur le siècle et le monde,
et d’offrir à Dieu tous les jours des sacrifices de larmes
avant que de lui offrir celui de son corps et de son sang.
»

(De la Fréquente communion)

 


Combien de scandales actuels, de communions sacrilèges et indignes, de célébrations honteuses, d’outrages incroyables, auraient été évités si les sages et judicieux rappels d’Antoine Arnauld (1612-1694), exposés dans son ouvrage essentiel « De la Fréquente communion »(1643), rappels fondés sur les pères de l’église, les saints et les docteurs de la foi, avaient été écoutés et surtout suivis d’effets au moment où se faisaient déjà entendre, en plein XVIIe siècle et sous la plume des auteurs Jésuites, peu inspirés promoteurs d’un laxisme théologique aberrant aux fruits délétères, les sirènes du relâchement moral et de la désorientation doctrinale au sein même de l’église, sirènes justement dénoncées dans ses célèbres « Provinciales », (Lettres écrites par Louis de Montalte à un Provincial de ses amis et aux R.R. Pères Jésuites), par Pascal (1623-1662).

 

L’abbé Henri Bremond (1865-1933), que l’on ne peut suspecter d’une sympathie excessive à l’égard de Port-Royal, déclarait à propos de cet ouvrage d’Antoine Arnauld :  « Dire que La Fréquente Communion d’Arnauld - un des livres sacrés du jansénisme - avait pour objet de rendre la Sainte Table inaccessible, non seulement aux grands pécheurs non convertis, mais à tous les fidèles en état de grâce (…) cela n'est pas exact. Je ne dis pas, d'ailleurs, que le livre d'Arnauld soit irréprochable, bien qu'après un mûr examen, Rome ait refusé de le condamner, mais je dis que, bien loin de défendre la communion fréquente aux personnes pieuses - et c'est là présentement la seule question qui nous intéresse, - Arnauld en recommande expressément la pratique. Tous ceux qui conduisent les âmes, lisons-nous dans la préface, doivent avoir pour but et pour fin de les mettre dans une telle disposition qu'elles puissent commencer à communier, si elles ne communient pas encore; ou souvent, si elles ne communient que rarement; ou même communier tous les jours, si elles .peuvent déjà communier souvent.... Nous voudrions, s'il était possible, porter les chrétiens à communier (quatre fois par jour), tant s'en faut que nous leur voulussions ôter cette unique communion de tous les jours, à laquelle tout le monde doit tendre, puisque la perfection d'un chrétien consiste à pouvoir s'approcher chaque jour du Fils de Dieu, comme ont fait les chrétiens au commencement de l'Eglise… » (H. Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux, t. XI, Chapitre II, § 1, 1942).

 

 
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Antoine Arnauld (1612-1694)
dit le « Grand Arnauld »
auteur « De la Fréquente communion » (1643)

 

Ainsi, contrairement à ce qui fut dit, et selon une opinion générale encore aujourd’hui fort répandue et entretenue à dessein, la volonté de Port-Royal ne fut point de pousser les chrétiens à s’éloigner de la Sainte Table et de l’eucharistie, mais de les engager à s’en approcher saintement, avec un sincère repentir et une vraie contrition, et surtout un très ferme regret de leurs fautes et un vif sentiment de leur indignité, de sorte de pouvoir aller à la « Table du Seigneur » (1 Corinthiens 10, 21) en un état moral convenable et conforme à la Sainteté de Dieu. De les inviter à se mettre en Sa présence avec un esprit de sincère pureté - car l’activité pernicieuse et malsaine de la « chair » en nous, qui nous souille et nous conduit à pécher constamment, alors que nous sommes plongés dans les ténèbres, égarés dans nos pensées, nos affections et désirs impurs, n’ayant aucune idée juste de Dieu ni de nous-mêmes, aucun sentiment de notre état réel de chute, de misère et de mort, notre coeur cherchant à se rendre heureux dans la gratification de ses infectes convoitises, fasciné par « le monde et les choses qui sont dans le monde », toutes ces "choses" sont de redoutables et puissantes entraves à la communion avec le Seigneur - Il est Saint, et il est indispensable de se savoir misérable pécheur face à Lui, faute de quoi il est impossible d'avoir part avec Lui (Jean 13, 8). L'Esprit de Dieu nous y exhorte clairement : « Ôtez le vieux levain, afin que vous soyez une nouvelle pâte, comme vous êtes sans levain. Car aussi notre pâque, Christ, a été sacrifiée: c'est pourquoi célébrons la fête, non avec du vieux levain, ni avec un levain de malice et de méchanceté, mais avec des pains sans levain de sincérité et de vérité. » (1 Corinthiens 5, 7-8).

 

+

 

Lisons donc avec attention ce texte important, malheureusement bien oublié par un catholicisme moderne enivré par ses passions charnelles et son infâme sensualisme, qui nous fournit pourtant de bien précieux conseils, et offre au chrétien de comprendre le sens réel de l’acte de communion, en se fondant sur l’affirmation de Paul aux Corinthiens : « Celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur (…) celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même » (1 Corinthiens 11, 27 & 29), et lui évite de s’égarer grandement en se livrant à des actes religieux impies dans une ignorance coupable des conditions requises afin de s’approcher du Saint Sanctuaire où Dieu se donne, aux âmes éprises des vérités du Ciel, par son Corps et par son Sang :

 


     « Nous apprenons bien de Saint Paul, qu’il faut prendre un extrême soin pour se disposer à la participation de ces saints mystères, de peur d’y participer à notre condamnation, et de là nous avons raison d’inférer contre les hérétiques de notre temps, que puisqu’il faut apporter à cette table une conscience pure ; ceux à qui des péchés mortels ont fait perdre la pureté de leur âme, la doivent premièrement recouvrer par les moyens institués par Jésus-Christ, c’est à dire, en s’adressant au tribunal qu’il a établi dans son église, pour recevoir par l’entremise des prêtres la rémission de leurs péchés.

 
      Voila de quelle sorte la confession est enfermée dans le commandement que Saint Paul fait de s’éprouver soi-même, avant que de manger ce pain du ciel : mais que ce commandement ne contienne autre chose, c’est ce qui ne se peut soutenir sans ravaler indignement la révérence que l’on doit à ce sacrement auguste, et ce qu’il est aisé de réfuter par l’apôtre même, pour ne rien dire maintenant de tous les pères. Car comme l’auteur du commentaire attribué à Saint Anselme, et avant lui Saint Augustin ont remarqué excellemment, Saint Paul ne reprend pas les Corinthiens de s’être approchés indignement de l’eucharistie, pour y avoir apporté une conscience chargée de crimes, sans s’être confessés auparavant ; mais pour n’avoir pas assez bien distingué cette viande sainte des viandes communes, par la révérence particulière qui lui est due.

     Ce que nous voyons, disent-ils, en ce qu’ayant dit qu’un tel homme mange et boit sa condamnation, il ajoute aussitôt ces paroles, ne discernant pas le corps du Seigneur ; de sorte qu’il est manifeste, que le principal dessein de l’apôtre n’est pas, que l’on soit hors de l’état du péché mortel lors que l’on communie, comme la plupart des Corinthiens étaient sans doute : mais qu’il demande bien davantage ; et qu’outre une plus grande pureté de l’âme, que celle d’être délivré simplement des péchés mortels, il veut que l’on y apporte une circonspection merveilleuse, et un respect extraordinaire.


[…]

   Pour ramener les choses à leur source, comme Saint Paul nous assure, qu’il a appris de la bouche du seigneur ce qu’il nous enseigne ; toutes ces préparations de l’eucharistie sont renfermées en ce précepte de Jésus-Christ, de célébrer ce mystère en mémoire de sa mort. (...). Est-ce là n’obliger les hommes qu’à se confesser pour manger ce corps, et boire ce sang, selon les enseignements de Jésus-Christ et de Saint Paul, après avoir tant de fois foulé aux pieds ce même sang, par des offenses mortelles ?


[…]

   La préparation nécessaire pour communier souvent, est de mépriser de tout son cœur le siècle et le monde, et d’offrir à Dieu tous les jours des sacrifices de larmes avant que de lui offrir celui de son corps et de son sang. Comment est-ce après cela que vous prétendez vous servir de cette êpitre pour porter à la fréquente communion ceux dont la vie est toute païenne ; qui sont attachez prodigieusement au monde, et qui ne respirent que ses délices ?


[…]

   Contre les hérétiques de ce temps [rappelons qu’] il ne faut point approcher de l’eucharistie, sans avoir découvert le fonds de sa conscience au prêtre, et sans avoir contrition de son péché (…) on ne peut communier, que lors qu’il n’intervient aucun péché mortel ; [car] tous les péchés qui tuent l’âme, portent avec eux la séparation de l’autel ; il faut faire pénitence (Saint Augustin ne dit pas seulement qu’il faut confesser son péché, mais qu’il en faut faire pénitence) avant que de recevoir ce remède salutaire : et enfin que c’est recevoir indignement le corps de Jésus-Christ, que de le recevoir durant le temps où l’on doit faire pénitence. Ce qui marque clairement qu’après les offenses mortelles, on doit être [dans] un espace de temps raisonnable, comme Saint Cyprien en parle, à se purifier par les bonnes œuvres, avant que d’approcher de l’eucharistie.


[…]

   Il ne faut recevoir ce sacrement qu’avec une grande révérence, et sainteté ; suivant le précepte de Saint Paul de s’éprouver soi-même, avant que de manger ce pain, et boire ce sang. »

 

De la Fréquente communion,
où le sentiment des Pères, des papes et des conciles,
touchant à l’usage des sacrements de pénitence et d’eucharistie,
sont fidèlement exposés,
Antoine Arnauld, 1643, Chapitre II, § 2.