15/01/2009
Réflexions sur le châtiment des Juifs
Réflexions sur le châtiment des Juifs,
et sur les prédictions de Jésus-Christ
Extrait du Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin
pour expliquer la suite de la religion et les changements des empires (1681)
par Jacques Bénigne Bossuet
Rien n’est plus utile à la compréhension des situations actuelles du point de vue religieux et historique, que de se pencher sur les conditions qui les ont créées. A ce titre, il est extrêmement profitable de relire la IIe partie chapitre VIII du « Discours sur l’Histoire universelle » de Bossuet, qui nous présente un tableau très détaillé des châtiments qui s’abattirent sur le peuple élu après la crucifixion de Jésus-Christ. Comme le dit l’évêque de Meaux, après la mise à mort du Messie, « la justice que Dieu fit des Juifs par Nabuchodonosor n’était qu’une ombre de celle dont Tite fut le ministre ». En effet, rien d’extraordinaire dans cette désolation qui fit suite au terrible crime des Juifs. Bossuet poursuit : « Jésus-Christ leur avait prédit. Il avait prédit la ruine entière de Jérusalem et du temple. Il n’y restera pas, dit-il, pierre sur pierre. » Et, effectivement, la destruction totale de Jérusalem par le feu et celle du second Temple réduit à l’état de ruine par Titus, constitua une épouvantable catastrophe pour le peuple Juif. Selon l'historien de l'époque, Flavius Josèphe, des centaines de milliers de juifs périrent durant le siège de Jérusalem, des milliers réduits en esclavage, et la nation entière fut dispersée et définitivement condamnée à l’exil.
La destruction du second Temple
Francesco Hayez (1867)
"Voilà l’histoire des Juifs. Ils ont persécuté leur Messie et en sa personne et en celle des siens :
ils ont remué tout l’univers contre ses disciples,
et ne l’ont laissé en repos dans aucune ville :
ils ont armé les Romains et les empereurs contre l’église naissante :
ils ont lapidé Saint Estienne, tué les deux Jacques que leur sainteté rendait vénérables même parmi eux,
immolé Saint Pierre et Saint Paul par le glaive et par les mains des gentils.
Il faut qu’ils périssent.
Tant de sang mêlé à celui des prophètes qu’ils ont massacrés, crie vengeance devant Dieu."
(Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle)
Je vous prie de considérer avec une attention plus particulière la chute des Juifs, dont toutes les circonstances rendent témoignage à l’évangile. Ces circonstances nous sont expliquées par des auteurs infidèles, par des Juifs, et par des païens, qui sans entendre la suite des conseils de Dieu, nous ont raconté les faits importants par lesquels il lui a plu de la déclarer.
Nous avons Josèphe auteur juif, historien très fidèle, et très instruit des affaires de sa nation, dont aussi il a illustré les antiquités par un ouvrage admirable. Il a écrit la dernière guerre, où elle a péri, après avoir été présent à tout, et y avoir lui-même servi son pays avec un commandement considérable.
Les Juifs nous fournissent encore d’autres auteurs très anciens, dont vous verrez les témoignages. Ils ont d’anciens commentaires sur les livres de l’écriture, et entre autres les paraphrases chaldaïques qu’ils impriment avec leurs bibles. Ils ont leur livre qu’ils nomment talmud, c’est à dire doctrine, qu’ils ne respectent pas moins que l’écriture elle-même. C’est un ramas des traités et des sentences de leurs anciens maîtres ; et encore que les parties dont ce grand ouvrage est composé ne soient pas toutes de la même antiquité, les derniers auteurs qui y sont cités ont vécu dans les premiers siècles de l’église. Là, parmi une infinité de fables impertinentes qu’on voit commencer pour la plupart après les temps de Notre Seigneur, on trouve de beaux restes des anciennes traditions du peuple juif, et des preuves pour le convaincre.
Et d’abord il est certain de l’aveu des Juifs que la vengeance divine ne s’est jamais plus terriblement ni plus manifestement déclarée, qu’elle fit dans leur dernière désolation. C’est une tradition constante attestée dans leur talmud, et confirmée par tous leurs rabbins, que quarante ans avant la ruine de Jérusalem, ce qui revient à peu prés au temps de la mort de Jésus-Christ, on ne cessait de voir dans le temple des choses étranges. Tous les jours il y paraissait de nouveaux prodiges, de sorte qu’un fameux rabbin s’écria un jour : Ô temple, ô temple, qu’est-ce qui t’émeut, et pourquoi te fais-tu peur à toi-même ?
Qu’y a-t-il de plus marqué que ce bruit affreux qui fut ouï par les prêtres dans le sanctuaire le jour de la pentecôte, et cette voix manifeste qui sortit du fond de ce lieu sacré, sortons d’ici, sortons d’ici. Les saints anges protecteurs du temple déclarèrent hautement qu’ils l’abandonnaient, parce que Dieu qui y avait établi sa demeure durant tant de siècles, l’avait réprouvé.
Josèphe et Tacite même ont raconté ce prodige. Il ne fut aperçu que des prêtres. Mais voici un autre prodige qui a éclaté aux yeux de tout le peuple ; et jamais aucun autre peuple n’avait rien vu de semblable. Quatre ans devant la guerre déclarée, un paysan, dit Josèphe, se mit à crier, une voix est sortie du côté de l’Orient, une voix est sortie du côté de l’Occident, une voix est sortie du côté des quatre vents : voix contre Jérusalem et contre le temple ; voix contre les nouveaux mariés et les nouvelles mariées ; voix contre tout le peuple. Depuis ce temps, ni jour ni nuit il ne cessa de crier, malheur, malheur à Jérusalem. Il redoublait ses cris les jours de fête. Aucune autre parole ne sortit jamais de sa bouche : ceux qui le plaignaient, ceux qui le maudissaient, ceux qui lui donnaient ses nécessités, n’entendirent jamais de lui que cette terrible parole, malheur à Jérusalem. Il fut pris, interrogé, et condamné au fouet par les magistrats : à chaque demande, et à chaque coup, il répondait, sans jamais se plaindre, malheur à Jérusalem. Renvoyé comme un insensé, il courait tout le pays, en répétant sans cesse sa triste prédiction. Il continua durant sept ans à crier de cette sorte, sans se relâcher, et sans que sa voix s’affaiblît. Au temps du dernier siège de Jérusalem, il se renferma dans la ville, tournant infatigablement autour des murailles, et criant de toute sa force : malheur au temple, malheur à la ville, malheur à tout le peuple. A la fin il ajouta, malheur à moi-même ; et en même temps il fut emporté d’un coup de pierre lancé par une machine.
Ne dirait-on pas, monseigneur, que la vengeance divine s’était comme rendue visible en cet homme qui ne subsistait que pour prononcer ses arrêts ; qu’elle l’avait rempli de sa force, afin qu’il pût égaler les malheurs du peuple par ses cris ; et qu’enfin il devait périr par un effet de cette vengeance qu’il avait si longtemps annoncée, afin de la rendre plus sensible, et plus présente, quand il en serait non seulement le prophète et le témoin, mais encore la victime ?
Ce prophète des malheurs de Jérusalem s’appelait Jésus. Il semblait que le nom de Jésus, nom de salut et de paix, devait tourner aux Juifs qui le méprisaient en la personne de notre Sauveur, à un funeste présage ; et que ces ingrats ayant rejeté un Jésus qui leur annonçait la grâce, la miséricorde et la vie, Dieu leur envoyait un autre Jésus qui n’avait à leur annoncer que des maux irrémédiables, et l’inévitable décret de leur ruine prochaine.
"C'était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s'éclipsant,
l'obscurité se fit sur la terre entière, jusqu'à la neuvième heure.
Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu…"
(Luc 23:4-45)
Pénétrons plus avant dans les jugements de Dieu sous la conduite de ses écritures. Jérusalem et son Temple ont été deux fois détruits ; l’une par Nabuchodonosor, l’autre par Tite. Mais en chacun de ces deux temps, la justice de Dieu s’est déclarée par les mêmes voies, quoique plus à découvert dans le dernier. Pour mieux entendre cet ordre des conseils de Dieu, posons avant toutes choses cette vérité si souvent établie dans les saintes lettres ; que l’un des plus terribles effets de la vengeance divine, est lors qu’en punition de nos péchés précédents, elle nous livre à notre sens réprouvé, en sorte que nous sommes sourds à tous les sages avertissements, aveugles aux voies de salut qui nous sont montrées, prompts à croire tout ce qui nous perd pourvu qu’il nous flatte, et hardis à tout entreprendre, sans jamais mesurer nos forces avec celles des ennemis que nous irritons. Ainsi périrent la première fois sous la main de Nabuchodonosor roi de Babylone, Jérusalem et ses princes. Faibles et toujours battus par ce roi victorieux, ils avaient souvent éprouvé qu’ils ne faisaient contre lui que de vains efforts, et avaient été obligés à lui jurer fidélité. Le prophète Jérémie leur déclarait de la part de Dieu, que Dieu même les avait livrés à ce prince, et qu’il n’y avait de salut pour eux qu’à subir le joug. Il disait à Sédécias roi de Judée et à tout son peuple, etc. Ils ne crurent point à sa parole. Pendant que Nabuchodonosor les tenait étroitement enfermés par les prodigieux travaux dont il avait entouré leur ville, ils se laissaient enchanter par leurs faux prophètes qui leur remplissaient l’esprit de victoires imaginaires, et leur disaient au nom de Dieu, quoique Dieu ne les eût point envoyés, etc.
Le peuple séduit par ces promesses, souffrait la faim et la soif et les plus dures extrémités, et fit tant par son audace insensée, qu’il n’y eût plus pour lui de miséricorde. La ville fut renversée, le temple fut brûlé, tout fut perdu.
Le Siège et la destruction de Jérusalem
David Roberts (1850)
À ces marques les Juifs connurent que la main de Dieu était sur eux. Mais afin que la vengeance divine leur fut aussi manifeste dans la dernière ruine de Jérusalem qu’elle l’avait été dans la première, on a vu dans l’une et dans l’autre la même séduction, la même témérité, et le même endurcissement.
Quoique leur rébellion eût attiré sur eux les armes romaines, et qu’ils secouassent témérairement un joug sous lequel tout l’univers avait ployé, Tite ne voulait pas les perdre : au contraire, il leur fit souvent offrir le pardon, non seulement au commencement de la guerre, mais encore lors qu’ils ne pouvaient plus échapper de ses mains. Il avait déjà élevé autour de Jérusalem une longue et vaste muraille munie de tours et de redoutes aussi fortes que la ville même, quand il leur envoya Josèphe leur concitoyen, un de leurs capitaines, un de leurs prêtres qui avait été pris dans cette guerre en défendant son pays. Que ne leur dit-il pas pour les émouvoir ? Par combien de fortes raisons les invita-t-il à rentrer dans l’obéissance ? Il leur fit voir le ciel et la terre conjurés contre eux, leur perte inévitable dans la résistance, et tout ensemble leur salut dans la clémence de Tite. Sauvez, leur disait-il, la cité sainte ; etc. mais le moyen de sauver des gens si obstinés à se perdre ? Séduits par leurs faux prophètes, ils n’écoutaient pas ces sages discours. Ils étaient réduits à l’extrémité : la faim en tuait plus que la guerre, et les mères mangeaient leurs enfants.
Tite touché de leurs maux prenait ses dieux à témoin, qu’il n’était pas cause de leur perte. Durant ces malheurs, ils ajoutaient foi aux fausses prédictions qui leur promettaient l’empire de l’univers. Bien plus, la ville était prise ; le feu y était déjà de tous côté : et ces insensés croyaient encore les faux prophètes qui les assuraient que le jour de salut était venu, afin qu’ils résistassent toujours, et qu’il n’y eût plus pour eux de miséricorde. En effet, tout fut massacré, la ville fut renversée de fonds en comble, et à la réserve de quelques restes de tours que Tite laissa pour servir de monument à la postérité, il n’y demeura pas pierre sur pierre. Vous voyez donc, monseigneur, éclater sur Jérusalem la même vengeance qui avait autrefois paru sous Sédécias. Tite n’est pas moins envoyé de Dieu que Nabuchodonosor : les Juifs périssent de la même sorte. On voit dans Jérusalem la même rébellion, la même famine, les mêmes extrémités, les mêmes voies de salut ouvertes, la même séduction, le même endurcissement, la même chute ; et afin que tout soit semblable, le second temple est brûlé sous Tite le même mois et le même jour que l’avait été le premier sous Nabuchodonosor : il fallait que tout fut marqué, et que le peuple ne pût douter de la vengeance divine. Il y a pourtant entre ces deux chutes de Jérusalem et des Juifs de mémorables différences, mais qui toutes vont à faire voir dans la dernière une justice plus rigoureuse et plus déclarée. Nabuchodonosor fit mettre le feu dans le temple : Tite n’oublia rien pour le sauver, quoique ses conseillers lui représentassent que tant qu’il subsisterait, les Juifs qui y attachaient leur destinée, ne cesseraient jamais d’être rebelles. Mais le jour fatal était venu : c’était le dixième d’août qui avait déjà vu brûler le temple de Salomon. Malgré les défenses de Tite prononcées devant les Romains et devant les Juifs, et malgré l’inclination naturelle des soldats qui devait les porter plutôt à piller qu’à consumer tant de richesses, un soldat, poussé, dit Josèphe, par une inspiration divine, se fait lever par ses compagnons à une fenêtre, et met le feu dans ce temple auguste. Tite accourt, Tite commande qu’on se haste d’éteindre la flamme naissante. Elle prend par tout en un instant, et cet admirable édifice est réduit en cendres.
Que si l’endurcissement des Juifs sous Sédécias était l’effet le plus terrible et la marque la plus assurée de la vengeance divine, que dirons-nous de l’aveuglement qui a paru du temps de Tite ?
Dans la première ruine de Jérusalem les Juifs s’entendaient du moins entre eux : dans la dernière, Jérusalem assiégée par les Romains était déchirée par trois factions ennemies. Si la haine qu’elles avaient toutes pour les Romains allait jusqu’à la fureur ; elles n’étaient pas moins acharnées les unes contre les autres : les combats du dehors coûtaient moins de sang aux Juifs que ceux du dedans. Un moment après les assauts soutenus contre l’étranger, les citoyens recommençaient leur guerre intestine ; la violence et le brigandage régnait par tout dans la ville. Elle périssait, elle n’était plus qu’un grand champ couvert de corps morts, et les chefs des factions y combattaient pour l’empire. N’était-ce pas une image de l’enfer où les damnés ne se haïssent pas moins les uns les autres qu’ils haïssent les démons qui sont leurs ennemis communs, et où tout est plein d’orgueil, de confusion et de rage ?
Confessons donc, monseigneur, que la justice que Dieu fit des Juifs par Nabuchodonosor n’était qu’une ombre de celle dont Tite fut le ministre. Quelle ville a jamais vu périr onze cent mille hommes en sept mois de temps et dans un seul siège ? C’est ce que virent les Juifs au dernier siège de Jérusalem. Les chaldéens ne leur avaient rien fait souffrir de semblable. Sous les chaldéens leur captivité ne dura que soixante et dix ans : il y a seize cent ans qu’ils sont esclaves par tout l’univers, et ils ne trouvent encore aucun adoucissement à leur esclavage. Il ne faut plus s’étonner si Tite victorieux, après la prise de Jérusalem, ne voulait pas recevoir les congratulations des peuples voisins, ni les couronnes qu’ils lui envoyaient pour honorer sa victoire. Tant de mémorables circonstances, la colère de Dieu si marquée, et sa main qu’il voyait encore si présente, le tenaient dans un profond étonnement ; et c’est ce qui lui fit dire ce que vous avez ouï, qu’il n’était pas le vainqueur, qu’il n’était qu’un faible instrument de la vengeance divine.
Il n’en savait pas tout le secret : l’heure n’était pas encore venue où les empereurs devaient reconnaître Jésus-Christ. C’était le temps des humiliations et des persécutions de l’église. C’est pourquoi Tite assez éclairé pour connaître que la Judée périssait par un effet manifeste de la justice de Dieu, ne connut pas quel crime Dieu avait voulu punir si terriblement. C’était le plus grand de tous les crimes ; crime jusque alors inouï, c’est à dire le déicide, qui aussi a donné lieu à une vengeance dont le monde n’avait vu encore aucun exemple.
Mais si nous ouvrons un peu les yeux, et si nous considérons la suite des choses, ni ce crime des Juifs, ni son châtiment ne pourront nous être cachés.
Souvenons-nous seulement de ce que Jésus-Christ leur avait prédit. Il avait prédit la ruine entière de Jérusalem et du temple. Il n’y restera pas, dit-il, pierre sur pierre. Il avait prédit la manière dont cette ville ingrate serait assiégée, et cette effroyable circonvallation qui la devait environner : il avait prédit cette faim horrible qui devait tourmenter ses citoyens, et n’avait pas oublié les faux prophètes, par lesquels ils devaient être séduits. Il avait averti les Juifs que le temps de leur malheur était proche : il avait donné les signes certains qui devaient en marquer l’heure précise : il leur avait expliqué la longue suite des crimes qui devait leur attirer un tel châtiment : en un mot, il avait fait toute l’histoire du siège et de la désolation de Jérusalem.
Et remarquez, monseigneur, qu’il leur fit ces prédictions vers le temps de sa passion, afin qu’ils connussent mieux la cause de tous leurs maux. Sa passion approchait quand il leur dit : la sagesse divine vous a envoyé des prophètes, etc.
Voilà l’histoire des Juifs. Ils ont persécuté leur Messie et en sa personne et en celle des siens : ils ont remué tout l’univers contre ses disciples, et ne l’ont laissé en repos dans aucune ville : ils ont armé les Romains et les empereurs contre l’église naissante : ils ont lapidé Saint Estienne, tué les deux Jacques que leur sainteté rendait vénérables même parmi eux, immolé Saint Pierre et Saint Paul par le glaive et par les mains des gentils. Il faut qu’ils périssent. Tant de sang mêlé à celui des prophètes qu’ils ont massacrés, crie vengeance devant Dieu : leurs maisons, et leur ville va être déserte : leur désolation ne sera pas moindre que leur crime : Jésus-Christ les en avertit : le temps est proche : etc., c’est à dire que les hommes qui vivaient alors en devaient être les témoins. Mais écoutons la suite des prédictions de notre Sauveur. Comme il faisait son entrée dans Jérusalem quelques jours avant sa mort, touché des maux que cette mort devait attirer à cette malheureuse ville, il la regarde en pleurant : ha, dit-il, ville infortunée, etc.
C’était marquer assez clairement et la manière du siège et les derniers effets de la vengeance. Mais il ne fallait pas que Jésus allât au supplice sans dénoncer à Jérusalem combien elle serait un jour punie de l’indigne traitement qu’elle lui faisait. Comme il allait au calvaire portant sa croix sur ses épaules, il était suivi d’une grande multitude de peuple etc. Si l’innocent, si le juste souffre un si rigoureux supplice, que doivent attendre les coupables ?
Jérémie a-t-il jamais plus amèrement déploré la perte des Juifs ? Quelles paroles plus fortes pouvait employer le Sauveur pour leur faire entendre leurs malheurs et leur désespoir, et cette horrible famine funeste aux enfants, funeste aux mères qui voyaient sécher leurs mamelles, qui n’avaient plus que des larmes à donner à leurs enfants, et qui mangèrent le fruit de leurs entrailles ?
[ Bossuet, Extrait du Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin (1681), IIe partie, ch. VIII.]
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24/12/2008
Le Mystère de l’Enfance de Jésus de Bérulle
Pierre de Bérulle et le Mystère de l’Enfance de Jésus
Pierre de Bérulle (1575-1629)
Pierre de Bérulle, fondateur de la congrégation de l'Oratoire en 1611, est l’une des plus grandes figures de la spiritualité française du XVIIe siècle. Il établira, par exemple, en France l'ordre des Carmélites en 1604, dont on sait, évidemment, le rayonnement prodigieux. Cependant l'Oratoire a de son côté profondément marqué plusieurs personnalités importantes, en premier lieu Saint-Cyran (1581-1643) dont on ignore souvent que les idées sur le Salut sont quasi identiques à celle de Bérulle et qui assura, non officiellement, sa succession à l'Oratoire, mais aussi Condren (1588-1641), saint Vincent de Paul (1581-1660), Jean-Jacques Olier (1608-1657) ou encore saint Jean Eudes (1601-1681). Toutefois, il faut surtout noter l’intense dévotion de Bérulle pour la Sainte Enfance de Jésus qui deviendra l’un des thèmes principaux de sa pensée théologique : « Bérulle constate que l'état d'enfance est l'état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort » (In. Bérulle, Oeuvres complètes, Paris, Éd. Migne, 1856). Pour Bérulle, le Christ n'a pas échappé à cette condition d’enfance : « la vie de gloire se cache et s'abaisse dans l'enfance, dans l'impuissance, dans la souffrance [...] et enfin dans l'opprobre de la Croix où il est destiné » (P. Cochois, Bérule et l'École française, Paris, Seuil, 1960, p. 17).
Oblation au Sainct enfant Jesus, par Monseig. le Cardin. de Berulle, gravure, 1671.
Texte :
Oblation au Saint Enfant Jésus
par Monseigneur le Cardinal de Bérulle.
« Je vous Regarde, Je vous révère, Je vous adore En votre Sainte Enfance, O Jésus, mon Sauveur ; Je m'applique a vous en cet Etat, comme en un état auquel Je m'offre, Je me voue, Je me dédie, pour vous rendre un hommage particulier, pour en tirer grâce, direction, protection, Influence, et opération Singulière ; et m'être comme un Etat fondamental a l'Etat de mon Âme ; tirant vie, dépendance, Subsistance et fonction de la conduite de cette Enfance divine, comme de l'Etat de mon Etat, et vie de ma vie. »
L’homme est composé de pièces toutes différentes. Il est miracle d’une part, et de l’autre un néant. Il est céleste d’une part et terrestre de l’autre. Il est spirituel d’une part et corporel de l’autre. C’est un ange, c’est un animal, c’est un centre, c’est un monde, c’est un Dieu, c’est un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu s’il veut. L’être, le péché et la grâce, c’est-à-dire tout ce qui est en nous (car tout le reste n’est rien, quoique nous le considérions pour un temps), concourent à nous réduire en état de servitude, même au regard de Dieu, l’être nous rendant dépendant de sa puissance, le péché de sa justice, et la grâce de sa miséricorde. Comme l’âme en la terre et en ce corps ne se sent pas elle-même, elle ne sent pas le mouvement qui est en sa propre essence, elle est ensevelie dans le corps et dans les sens, elle n’aperçoit que le mouvement des sens vers les choses corporelles qui devraient servir à nous faire connaître quel serait le mouvement de l’esprit vers les choses spirituelles, s’il était dégagé des sens, et quel serait le mouvement de l’esprit vers l’esprit des esprits qui est Dieu, si la terre n’empêchait cette source d’eau vive. Et le combat qui sera dans l’enfer entre le mouvement imprimé naturellement par le Créateur dans la créature, et le mouvement volontaire de la créature s’éloignant du Créateur, sera un des tourments principaux et perpétuels des damnés.
Bérulle introduit un christocentrisme qu’on peut dire mystique; passif même, à condition de ne pas l’imaginer inerte. D’après cette doctrine, pour arriver à la perfection, il faut adhérer aux états du Verbe incarné. Les mystères du Christ s’imprimeront d’eux-mêmes en notre âme, car le Christ n’est pas seulement un modèle, il façonne lui-même en nous son image. Nous devenons pour lui une humanité de surcroît où sa vie s’épanche à nouveau. Comme Dieu a voulu employer sa puissance à tirer l’âme du néant par création, il veut aussi employer sa puissance suprême à la réduire à un autre néant, afin qu’elle ne soit plus qu’une capacité de Dieu qui veut être désormais tout en elle par grâce, en quelque manière approchante de celle par laquelle il sera tout à tous en sa gloire. La pauvreté intérieure est à l’âme un autre bien qui lui est fort difficile à recevoir. C’est que la créature a une imperfection quais comme essentielle, en qualité de chose créée, se joignant et attachant facilement à ce qui est créé, comme étant une chose de même nature et extraction (car tout ce qui est créé a quelque ressemblance en tant qu’il est créé et qu’il est tiré du même néant), et par cette inclination, comme essentielle, l’âme s’attache défectueusement, même aux grâces de Dieu, et prend un moyen de désunion ou de moindre union avec Dieu, par les grâces et dons de Dieu même. Et Dieu, par cette voie inconnue et par cette pauvreté inconnue, guérit l’âme de cette imperfection qui lui est comme essentielle, et lui ôte cet attachement, ne lui laissant rien à quoi elle se puisse attacher, et la dispose à être unie à Dieu même plus intimement et parfaitement.
« Notre premier pas à la vie est le premier pas à la mort (…) Cela est dû à la misère et condition de cette vie, qui prend son origine dans le péché; car nous naissons en péché et nous sommes conçus en péché; nous sommes enfants d’ire avant qu’on nous puisse nommer enfants de l’homme; nous portons les ténèbres du péché avant que de voir la lumière de la vie; nous sommes engagés par le titre de notre naissance à une double mort, à cette mort présente et à une mort éternelle. »
Le Verbe Incarné, comme les prophètes de la Loi ancienne, vient nous communiquer les secrets divins. Il le fait dans ses discours. Mais à vrai dire, il est lui-même parole du Père, Dieu vivant parmi les hommes, accessible aux regards et aux curiosités de l’homme, il traduit en mots et en gestes humains ce que Dieu conçoit d’une manière qui, en elle-même, nous échappe. Quand Jésus marche, quand Jésus parle, c’est Dieu qui parle et qui marche. Et ainsi « Dieu incompréhensible se fait comprendre en cette humanité; Dieu ineffable se fait ouïr en la voix de son Verbe Incarné; et Dieu invisible se fait voir en la chair qu’il a unie avec la nature de l’éternité; et Dieu épouvantable en l’éclat de sa grandeur se fait sentir en sa douceur, en sa bénignité et en son humanité. » On pense au mot de Jésus : « Philippe, qui me voit voit aussi le Père. »
En Jésus se manifeste « la puissance vraie et sainte d’un amour ineffable et incompréhensible, qui enchaîne Dieu et les hommes, qui fait un réel et véritable abaissement du Fils de Dieu, lequel est Dieu lui-même, et le fait homme pour nous faire dieux, et par lui comme par une chaîne forte et puissante, le Père éternel nous enlève et attire jusqu’au ciel, et jusqu’au ciel de sa divinité; chaîne d’amour, car il en parle ainsi lui-même; chaîne qui nous attire et nous tient unis au Père par le Fils, et au Fils par soi-même et par ses sacrés mystères; chaîne précieuse, excédant toute estime et valeur; chaîne sacrée, saintement et religieusement constituée des principaux mystères de la religion chrétienne; chaîne divine et inviolable d’unité et de charité; de charité du Père et du Fils envers les hommes, et de l’unité du Fils avec la nature humaine ne l’Incarnation, et de l’unité du corps de Jésus-Christ avec nous en l’Eucharistie. » (Grandeurs 248)
Comme le Fils éternel de Dieu en sa nature humaine n’a point de personne humaine, c’est-à-dire n’a point de moi humain, substantiellement et personnellement, aussi le fils adoptif de Dieu, conduit par sa grâce, n’en doit point avoir moralement et spirituellement. J’honore donc ce dénuement que l’humanité de Jésus a de sa propre subsistance… Je renonce à toute la puissance, autorité et liberté que j’ai de disposer de moi… je m’en démets entièrement entre les mains de Jésus… pour l’accomplissement de tous ses vouloirs et de tous ses pouvoirs sur moi. Je passe outre, et je veux qu’il n’y ait plus de moi en moi; et je veux pouvoir dire, selon saint Paul : « …je vis moi et non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi » (Galates II, 20)
[Cf. Cardinal de Bérulle, Opuscules de Piété, Introduction de G. Rotureau, prêtre de l’Oratoire, Aubier, 1944).
Philippe de Champaigne, la Nativité.
- LXVII. –
Combat admirable en Jésus-Christ,
entre sa naissance éternelle et sa mission temporelle.
La vie de l’homme est un combat continuel, et cela se retrouve en Jésus-Christ, mais divinement. Il y a deux appétits en l’humanité de Jésus, l’un procédant de l’humanité même, et l’autre de la divinité : l’un qui le porte à nous, l’autre qui le retire en son Père. Et cela est fondé sur la différence de sa naissance et de sa mission, de laquelle ayant accompli les devoirs, il s’en retournera à son Père et sera traité comme son Fils.
Comme le propre de la vie est d’être en mouvement, et mouvement par un principe interne, moveri a se ipso; le propre de la vie de l’homme est d’être en mouvements et exercices contraires; car il a en son être des principes contraires, qui lui donnent ses mouvements différents, tellement que, comme son être et sa nature est composé de principes contraires, aussi sa vie est composée de mouvements différents et d’exercices contraires; ce qui a fait dire à Job : Militia est vita hominis super terram. (Job VII, 1). Et quand l’Écriture ne nous le dirait pas, l’expérience nous le fait assez connaître, et ne nous permet pas, ni d’en douter, ni de l’ignorer : et ce point n’a besoin d’aucune sorte de preuve, ni d’étendue de paroles pour être déclaré. Serait-il bien possible que le nouvel homme fût sujet à cet exercice, et eût divers mouvements en son état, et que nous puissions dire de sa vie comme de la nôtre : Militai est vita ejus super terram? Vu principalement que Dieu avait remédié à ce combat dans le paradis terrestre, mettant la paix et le repos en Adam par le moyen de la justice originelle; et le second Adam mérite bien plus de privilèges que le premier, et a une grâce bien plus haute et plus relevée que la sienne. Et toutefois il est vrai et très vrai de dire que sa vie est un combat et exercice continuel sur la terre : mais ce combat est tout saint et tout divin, et est fondé en sa divinité même, et est d’autant plus grand qu’il est puissant et divin de toutes parts. Et nous qui sommes misérables et pervers, nous sommes la cause de ces combats; et comme nous faisons partie de ses victoires, nous faisons aussi partie de ses combats.
Comme Jésus-Christ Notre-Seigneur est composé de l’Être divin et de la nature humaine, il a aussi deux inclinations et appétits différents, et tous deux imprimés dans la nature humaine. L’un imprimé par la divinité, qui donne être, vie, forme et état à cette nature, qui ressent sa grandeur et sa dignité par son origine céleste, et par sa constitution divine, et par sa subsistance incréée; l’autre imprimé et exprimé par la condition créée, terrestre et humaine de sa nature nouvelle; tout ainsi que l’homme étant composé de deux substances diverses, l’une spirituelle et l’autre corporelle, a deux sentiments différents, l’un provenant de l’esprit, et l’autre provenant du corps.
Au Fils de Dieu il y a sa naissance de son Père, et sa mission de son Père; sa naissance le tire et le tient dans son Père, car il est né de lui en lui, et sa mission le pousse dehors, et lui fait prendre naissance et vie hors de son Père, en la Vierge et au monde. Et toutefois sa mission est dérivée de sa naissance, et sa mission est purement divine, comme sa naissance est purement divine; et sa mission est de son Père seul, comme sa naissance est de son Père seul. Et ce combat sera entre sa naissance et sa mission pendant toute sa vie voyagèrent en la terre, et jusqu’au temps heureux et glorieux auquel il tirera son humanité dans sa gloire et dans le sein de son Père.
Cardinal de Bérulle, Opuscules de Piété
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