07/09/2009
La « Tradition » selon la Sainte Religion chrétienne
L’essence spirituelle des deux « traditions »
ennemies et antagonistes,
d’après saint Augustin
Abel incarne la religion surnaturelle, la tradition sacrée
qui reçoit et attend humblement le don de la grâce de la part de l’Eternel
Il n'y a, en réalité, qu'une seule religion qui puisse légitimement prétendre au titre de “Tradition” en raison des critères propres de l’Ecriture Sainte, à savoir la « Tradition Divine » enseignée et transmise par Dieu à l'homme depuis l’origine des temps : la Sainte Religion chrétienne.
La « Tradition primordiale »
a été brisée et dispersée
après l’épisode de la tour de Babel (Genèse XI, 1-9).
La corruption spirituelle générale survenue au cours du temps, à l’origine des cultes faux, du panthéisme, des religions idolâtres et des initiations magiques, s’explique par la modification qui est advenue chez Adam après sa désobéissance, perdant sa qualité d’être doté de libre-arbitre pour devenir un être mensonger et passif, soumis aux puissances ténébreuses et négatives qui ont aliéné sa volonté et profondément obscurci son intelligence.
Il est donc impératif de bien comprendre, en ces questions fondamentales, que la sainte religion chrétienne est héritière et rattachée non pas à une prétendue « Tradition primordiale », noyée lors du déluge (Genèse VI à IX), brisée et dispersée après l’épisode de la tour de Babel (Genèse XI, 1-9), mais à la « Révélation Divine primitive » et à sa tradition sacerdotale, ce qui est bien différent, et tout à fait autre chose sur le plan spirituel, ce qui rend absolument inacceptables les positions de l’occultiste apostat et antichrétien René Guénon (1886-1951) qui, de façon pernicieuse, place le christianisme sous la dépendance et l’autorité d’une pseudo-tradition véhiculant les scories dégradées des diverses conceptions développées après le Déluge par une humanité enténébrée.
Dans La Cité de Dieu, l'un des ouvrages les plus importants de saint Augustin, il est exposé clairement la nature double des éléments de la Tradition :
- Caïn représente dans l’histoire de l’humanité la religion naturelle, la tradition profane, c'est-à-dire le courant religieux à travers lequel l'être humain tenta de parvenir à Dieu par ses propres forces, les fruits du sol symbolisant le paganisme, issu de l'observation attentive de la nature et de ses mystères.
- Abel incarne, quant à lui, tout au contraire, la religion surnaturelle, la tradition sacrée qui reçoit et attend humblement le don de la grâce de la part de l’Eternel en un esprit de sainte adoration, s’exerçant en de pieuses dévotions et surtout par la célébration du culte authentique fondé sur le sincère repentir et l’expiation réparatrice.
La « Tradition primordiale »
a été noyée lors du déluge (Genèse VI à IX).
Nous croyons donc nécessaire, en une période qui en est si oublieuse, de rappeler les grands principes théoriques de saint Augustin, ceux en particulier contenus dans le Livre quinzième, de La Cité de Dieu, passages où il insistera avec force sur la séparation qui intervînt au tout début de l’histoire entre les deux traditions antagonistes et irréconciliables représentées par Caïn et Abel, établissant ainsi une significative frontière entre ces deux postérités opposées participant de deux finalités « spirituelles » absolument étrangères l’une à l’autre.
*
La Cité de Dieu
Livre XV :
Chapitres I –V ; XVII, XVIII & XXI.
Ch. I :
DE LA SÉPARATION DES HOMMES EN DEUX SOCIÉTÉS,
A PARTIR DES ENFANTS D’ADAM.
On a beaucoup écrit sur le paradis terrestre, sur la félicité dont on y jouissait, sur la vie qu’y menaient les premiers hommes, sur leur crime et leur punition. (…) J’estime avoir déjà éclairci les grandes et difficiles questions du commencement et de la fin du monde, de la création de l’âme et de celle de tout le genre humain, qui a été distingué en deux ordres, l’un composé de ceux qui vivent selon l’homme, et l’autre de ceux qui vivent selon Dieu. Nous donnons encore à ces deux ordres le nom mystique de Cités, par où il faut entendre deux sociétés d’hommes, dont l’une est prédestinée à vivre éternellement avec Dieu, et l’autre à souffrir un supplice éternel avec le diable. Telle est leur fin, dont nous traiterons dans la suite.
Maintenant, puisque nous avons assez parlé de leur naissance, soit dans les anges, soit dans les deux premiers hommes, il est bon, ce me semble, que nous en considérions le cours et le progrès, depuis le moment où les deux premiers hommes commencèrent à engendrer jusqu’à la fin des générations humaines. C’est de tout cet espace de temps, où il se fait une révolution continuelle de personnes qui meurent, et d’autres qui naissent et qui prennent leur place, que se compose la durée des deux cités.
Caïn, qui appartient à la cité des hommes, naquit le premier des deux auteurs du genre humain ; vint ensuite Abel, qui appartient à la cité de Dieu. De même que nous expérimentons dans chaque homme en particulier la vérité de cette parole de l’Apôtre, que ce n’est pas ce qui est spirituel qui est formé le premier, mais ce qui est animal ( I Cor. XV, 46.), d’où vient que nous naissons d’abord méchants et charnels, comme sortant d’une racine corrompue, et ne devenons bons et spirituels qu’en renaissant de Jésus-Christ, ainsi en est-il de tout le genre humain. Lorsque les deux cités commencèrent à prendre leur cours dans l’étendue des siècles, l’homme de la cité de la terre fut celui qui naquit le premier, et, après lui, le membre de la cité de Dieu, prédestiné par la grâce, élu par la grâce, étranger ici-bas par la grâce, et par la grâce citoyen du ciel. Par lui-même, en effet, il sortit de la même masse qui avait été toute condamnée dans son origine ; mais Dieu, comme un potier de terre (car c’est la comparaison dont se sert saint Paul (Saint Paul emprunte cette comparaison à Isaïe (XLV, 9) et à Jérémie (XVIII, 3 et sq.), à dessein, et non pas au hasard), fit d’une même masse un vase d’honneur et un vase d’ignominie (Rom. IX, 21.). Or, le vase d’ignominie a été fait le premier, puis le vase d’honneur, parce que dans chaque homme, comme je viens de le dire, précède ce qui est mauvais, ce par où il faut nécessairement commencer, mais où il n’est pas nécessaire de demeurer; et après vient ce qui est bon, où nous parvenons par notre progrès dans la vertu, et où nous devons demeurer. Il est vrai dès lorsque tous ceux qui sont méchants ne deviendront pas bons; mais il l’est aussi qu’aucun ne sera bon qui n’ait été originairement méchant. L’Ecriture dit donc de Caïn qu’il bâtit une ville(. Gen. IV, 17.); mais Abel, qui était étranger ici-bas, n’en bâtit point. Car la cité des saints est là-haut, quoiqu’elle enfante ici-bas des citoyens en qui elle est étrangère à ce monde, jusqu’à ce que le temps de son règne arrive et qu’elle rassemble tous ses citoyens au jour de la résurrection des corps, quand ils obtiendront le royaume qui leur est promis et où ils régneront éternellement avec le Roi des siècles, leur souverain.
Ch. II :
DES FILS DE LA TERRE ET DES FILS DE PROMISSION.
Il a existé sur la terre, à la vérité, une ombre et une image prophétique de cette cité, pour en être le signe obscur plutôt que la représentation expresse, et cette image a été appelée elle-même la cité sainte, comme le symbole et non comme la réalité de ce qui doit s’accomplir un jour. C’est de cette image inférieure et subordonnée dans son contraste avec la cité libre qu’elle marquait, que l’Apôtre parle ainsi aux Galates: « Dites-moi, je vous prie, vous qui voulez être sous la loi, n’avez-vous point ouï ce que dit la loi? Car il est écrit qu’Abraham a eu deux fils, l’un de la servante et l’autre de la femme libre. Mais celui qui naquit de la servante naquit selon la chair, et celui qui naquit de la femme libre naquit en vertu de la promesse de Dieu. Or, tout ceci est une allégorie. Ces deux femmes sont les deux alliances, dont la première, qui a été établie sur le mont Sina et qui n’engendre que des esclaves, est figurée par Agar. Agar est en figure la même chose que Sina, montagne d’Arabie, et Sina représente la Jérusalem terrestre qui est esclave avec ses enfants, au lieu que la Jérusalem d’en haut est vraiment libre, et c’est elle qui est notre mère; car il est écrit : Réjouissez-vous, stériles qui n’enfantez point ; poussez des cris de joie, vous qui ne concevez point; car celle qui était délaissée a plus d’enfants que celle qui a un mari.
Nous sommes donc, mes frères, les enfants de la promesse, ainsi qu’Isaac. Et comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l’esprit, il en est encore de même aujourd’hui. Mais que dit l’Ecriture? Chassez la servante et son fils; car le fils de la servante ne sera point héritier avec le fils de la femme libre. Or, mes frères, nous ne sommes point les enfants de la servante, mais de la femme libre; et c’est Jésus-Christ qui nous a acquis cette liberté » (Galat. IV, 21-31. — 2. Rom. IX, 21, 23). Cette explication de l’Apôtre nous apprend comment nous devons entendre les deux Testaments. Une partie de la cité de la terre est devenue une image de la cité du ciel. Elle n’a pas été établie pour elle-même, mais pour être le symbole d’une autre; et ainsi la cité de la terre, image de la cité du ciel, a en elle-même une image qui la représentait. En effet, Agar, servante de Sarra, et son fils étaient en quelque façon une image de cette image, une figure de cette figure; et comme, à l’arrivée de la lumière, les ombres devaient s’évanouir, Sarra, qui était la femme libre et signifiait la cité libre, laquelle figurait elle-même la Jérusalem terrestre, dit: « Chassez la servante et son fils; car le fils de la servante ne sera point héritier avec mon fils Isaac », ou, comme dit l’Apôtre: « Avec le fils de la femme libre ». Nous trouvons donc deux choses dans la cité de la terre, d’abord la figure d’elle-même, et puis celle de la cité du ciel qu’elle représentait. Or, la nature corrompue par le péché enfante les citoyens de la cité de la terre, et la grâce, qui délivre la nature du péché, enfante les citoyens de la cité du ciel; d’où vient que ceux-là sont appelés des vases de colère, et ceux-ci des vases de miséricorde. C’est encore ce qui a été figuré dans les deux fils d’Abraham, attendu que l’un d’eux, savoir Ismaël, est né selon la chair, de la servante Agar, et l’autre, Isaac, est né de la femme libre, en exécution de la promesse de Dieu. L’un et l’autre à la vérité sont enfants d’Abraham, mais l’un engendré selon le cours ordinaire des choses, qui marquait la nature, et l’autre donné en vertu de la promesse, qui signifiait la grâce. En l’un paraît l’ordre des choses humaines, et dans l’autre éclate un bienfait particulier de Dieu.
CHAPITRE III :
DE LA STÉRILITÉ DE SARRA QUE DIEU FÉCONDA PAR SA GRÂCE.
Sarra était réellement stérile; et, comme elle désespérait d’avoir des enfants, elle résolut d’en avoir au moins de sa servante qu’elle donna à son mari pour habiter avec elle. De cette sorte, elle exigea de lui le devoir conjugal, usant de son droit en la personne d’une autre. Ismaël naquit comme les autres hommes de l’union des deux sexes, suivant la loi ordinaire de la nature : c’est pour cela que l’Ecriture dit qu’il naquit selon la chair, non que les enfants nés de cette manière ne soient des dons et des ouvrages de Dieu, de ce Dieu dont la sagesse atteint sans aucun obstacle d’une extrémité à l’autre et qui dispose toutes choses avec douceur 1 , mais parce que, pour marquer un don de la grâce de Dieu entièrement gratuit et nullement dû aux hommes, il fallait qu’un enfant naquît contre le cours ordinaire de la nature. En effet, la nature a coutume de refuser des enfants à des personnes aussi âgées que l’étaient Abraham et Sarra quand ils eurent Isaac, outre que Sarra était même naturellement stérile. Or, cette impuissance de la nature à produire des enfants dans cette disposition, est un symbole de la nature humaine, corrompue par le péché et justement condamnée, et désormais déchue de toute véritable félicité. Ainsi Isaac, né en vertu de la promesse de Dieu, figure très-bien les enfants de la grâce, les citoyens de la cité libre, les cohéritiers de l’éternelle paix, où ne règne pas l’amour de la volonté propre, mais une charité humble et soumise, unie dans la jouissance commune du bien immuable, et qui de plusieurs cœurs n’en fait qu’un.
CHAPITRE IV :
DE LA PAIX ET DE LA GUERRE DANS LA CITÉ TERRESTRE.
Mais la cité de la terre, qui ne sera pas éternelle (car elle ne sera plus cité, quand elle sera condamnée au dernier supplice), trouvera-ici-bas son bien, dont la possession lui procure toute la joie que peuvent donner de semblables choses. Comme ce bien n’est pas tel qu’il ne cause quelques traverses à ceux qui l’aiment, il en résulte que cette cité est souvent divisée contre elle-même, que ses citoyens se font la guerre, donnent des batailles et remportent des victoires sanglantes. Là chaque parti veut demeurer le maître, tandis qu’il est lui-même esclave de ses vices. Si, lorsqu’il est vainqueur, il s’enfle de-ce succès, sa victoire lui devient mortelle; si, au contraire, pensant à la condition et aux disgrâces communes, il se modère par la considération des accidents de la fortune, cette victoire lui est plus avantageuse; mais la mort lui en ôte enfin le fruit; car il ne peut pas toujours dominer sur ceux qu’il s’est assujettis. On ne peut pas nier toutefois que les choses dont cette cité fait l’objet de ses désirs ne soient des biens, puisque elle-même, en son genre, est aussi un bien, et de tous les biens de la terre le plus excellent. Or, pour jouir de ces biens terrestres, elle désire une certaine paix, et ce n’est que pour cela qu’elle fait la guerre. Lorsqu’elle demeure victorieuse et qu’il n’y a plus personne qui lui résiste, elle a la paix que n’avaient pas les partis contraires qui se battaient pour posséder des choses qu’ils ne pouvaient posséder ensemble. C’est cette paix qui est le but de toutes les guerres et qu’obtient celui qui remporte la victoire. Or, quand ceux qui combattaient pour la cause la plus juste demeurent vainqueurs, qui doute qu’on ne doive se réjouir de leur victoire et de la paix qui la suit? Ces choses sont bonnes, et viennent sans doute de Dieu; mais si l’on se passionne tellement pour ces moindres biens, qu’on les croie uniques ou qu’on les aime plus que ces autres biens beaucoup plus excellents qui appartiennent à la céleste cité, où il y aura une victoire suivie d’une paix éternelle et souveraine, la misère alors est inévitable et tout se corrompt de plus en plus.
CHAPITRE V :
DU PREMIER FONDATEUR DE LA CITÉ DE LA TERRE,
QUI TUA SON FRÈRE;
EN QUOI IL FUT IMITÉ DEPUIS PAR LE FONDATEUR DE ROME.
C’est ainsi que le premier fondateur de la cité de la terre fut fratricide. Transporté de jalousie, il tua son frère, qui était citoyen de la cité éternelle et étranger ici-bas. Il n’y a donc rien d’étonnant que ce crime primordial et, comme diraient les Grecs, ce type du crime, ait été imité si longtemps après, lors de la fondation de cette ville qui devait être la maîtresse de tant de peuples et la capitale de la cité de la terre. Ainsi que l’a dit un de leurs poètes : « Les premiers murs de Rome furent teints du sang d’un frère tué par son frère » (Lucain, Pharsale, livre I, V. 95).
En effet, l’histoire- rapporte que Romulus tua son frère Rémus, et il n’y a 1’autre différence entre ce crime et celui de Caïn, sinon qu’ici les frères étaient tous deux citoyens de la cité de la terre, et que tous deux prétendaient être les fondateurs de la république romaine. Or, tous deux ne pouvaient avoir autant de gloire qu’un seul; car une puissance partagée est toujours moindre. Afin donc qu’un seul la possédât tout entière, il se défit de son compétiteur et accrut par son crime un empire qui autrement aurait été moins grand, mais plus juste. Caïn et Abel n’étaient pas touchés d’une pareille ambition, et ce- n’était pas pour régner seul que l’un des deux tua l’autre. Abel ne se souciait pas, en effet, de dominer sur la ville que son frère bâtissait; en sorte qu’il ne fut tué que par cette malignité diabolique qui fait que les méchants portent envie aux gens de bien, sans autre raison sinon que les uns sont bons et les autres méchants.
La bonté ne se diminue pas pour être possédée par plusieurs; au contraire, elle devient d’autant plus grande, que ceux qui la possèdent sont plus unis; pour tout dire en un mot, le moyen de la perdre est de la posséder tout seul, et l’on ne la possède jamais plus entière que quand on est bien aise de la posséder avec plusieurs. Or, ce qui arriva entre Rémus et Romulus montre comment la cité de la terre se divise contre elle-même; et ce qui survint entre Caïn et Abel fait voir la division qui existe entre les deux cités, celle de Dieu et celle des hommes. Les méchants combattent donc les uns contre les autres, et les méchants combattent aussi contre les bons; mais les bons, s’ils sont parfaits, ne peuvent avoir aucun différend entre eux. Ils en peuvent avoir, quand ils n’ont pas encore atteint cette perfection; comme un homme peut n’être pas d’accord avec soi-même, puisque dans le même homme la chair convoite souvent contre l’esprit et l’esprit contre la chair (Galat. V, 12). Les inclinations spirituelles de l’un peuvent dès lors combattre les inclinations charnelles de l’autre, et réciproquement, de même que les bons et les méchants se font la guerre les uns aux autres; ou encore, les inclinations charnelles de deux hommes de bien, mais qui ne sont pas encore parfaits, peuvent se combattre l’une l’autre, comme font entre eux les méchants, jusqu’à ce que la grâce victorieuse de Jésus-Christ les ait entièrement guéris de ces faiblesses.
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CHAPITRE XVII :
DES DEUX CHEFS DE L’UNE ÉT L’AUTRE CITÉ ISSUS DU MÊME PÈRE.
Comme Adam était le père de ces deux sortes d’hommes, tant de ceux qui appartiennent à la cité de la terre que de ceux qui composent la Cité du ciel, après la mort d’Abel, qui figurait un grand mystère (Ce mystère est sans doute la mort du Christ), il y eut deux chefs de chaque cité, Caïn et Seth, dans la postérité de qui l’on voit paraître des marques plus évidentes de ces deux cités. En effet, Caïn engendra Enoch et bâtit une cité de son nom, laquelle n’était pas étrangère ici-bas, mais citoyenne du monde, et mettait son bonheur dans la possession paisible des biens temporels. Or, Caïn veut dire Possession, d’où vient que quand il fut né, son père ou sa mère dit: « J’ai acquis 5 un homme parla grâce de Dieu » (Gen. VI, 1.); et Enoch signifie Dédicace, à cause que la cité de la terre est dédiée en ce monde même où elle est fondée, parce que dès ce monde elle atteint le but de ses désirs et de ses espérances. Seth, au contraire, veut dire Résurrection, et Enos, son fils, signifie Homme, non comme Adam qui, en hébreu, est un nom commun à l’homme et à la femme, suivant cette parole de l’Ecriture : «Il les créa homme et femme, et les bénit et les nomma Adam » (Gen. V, 2) ; ce qui fait voir qu’Eve s’appelait aussi Adam, d’un nom commun aux deux sexes. Mais Enos signifie tellement un homme, que ceux qui sont versés dans la langue hébraïque assurent qu’il ne peut pas être dit d’une femme; Enos est en effet le fils de la résurrection, où il n’y au-ra plus de mariage (Luc, XX, 35) ; car il n’y aura point de génération dans l’endroit où la génération nous aura conduits. Je crois, pour cette raison, devoir remarquer ici que, dans la généalogie de Seth, il n’est fait nommément mention d’aucune femme (Camp. Théodoret in Genesim, quaest. 47), au lieu que, dans celle de Caïn, il est dit: « Mathusalem engendra Lamech, et Lamech épousa deux femmes, l’une appelée Ada, et l’autre Sella, et Ada enfanta Jobel. Celui-ci fut le père des bergers, le premier qui habita dans des cabanes. Son frère s’appelait Jubal, l’inventeur de la harpe et de la cithare. Sella eut à son tour Thobel, qui travaillait en fer et en cuivre. Sa sœur s’appelait Noéma » (Gen. IV, 18-22). Là finit la généalogie de Caïn, qui est toute comprise en huit générations en comptant Adam, sept jusqu’à Lamech, qui épousa deux femmes, et la huitième dans ses enfants, parmi lesquels l’Ecriture fait mention d’une femme. Elle insinue par là qu’il y aura des générations charnelles et des mariages jusqu’à la fin dans la cité de la terre; et de là vient aussi que les femmes de Lamech, le dernier de la lignée de Caïn, sont désignées par leurs noms, distinction qui n’est point faite pour d’autres que pour Eve avant le déluge. Or, comme Caïn, fondateur de la cité de la terre, et son fils Enoch, qui nomma cette cité, marquent par leurs noms, dont l’un signifie possession et l’autre dédicace, que cette même cité a un commencement et une fin, et qu’elle borne ses espérances à ce monde-ci, de même Seth, qui signifie résurrection, étant le père d’une postérité dont la généalogie est rapportée à part, il est bon de voir ce que l’Histoire sainte dit de son fils.
CHAPITRE XVIII :
FIGURE DE JÉSUS-CHRIST ET DE SON ÉGLISE DANS ADAM, SETH ET ÉNOS.
« Seth », dit la Genèse, «eut un fils, qu’il appela Enos; celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur » (. Gen. IV, 26). Voilà le témoignage que rend la Vérité. L’homme donc, fils de la résurrection, vit en espérance tant que la Cité de Dieu, qui naît de la foi dans la résurrection de Jésus-Christ, est étrangère en ce monde. La mort et la résurrection du Sauveur sont figurées par ces deux hommes, par Abel, qui signifie deuil, et par Seth, son frère, qui veut dire résurrection. C’est par la foi en Jésus ressuscité qu’est engendrée ici-bas la Cité de Dieu, c’est-à-dire l’homme qui a mis son espérance à invoquer le nom du Seigneur. « Car nous sommes sauvés par l’espérance, dit l’Apôtre: or, quand on voit ce qu’on avait espéré voir, il n’y a plus d’espérance; car qui espère voir ce qu’il voit déjà? Que si nous espérons voir ce que nous ne voyons pas encore, c’est la patience qui nous le fait attendre » (Rom. VIII, 24, 25). En effet, qui ne jugerait qu’il y a ici quelque grand mystère? Abel n’a-t-il pas mis son espérance à invoquer le nom du Seigneur, lui dont le sacrifice fut si agréable à Dieu, selon le témoignage de l’Ecriture? Seth n’a-t-il pas fait aussi la même chose, lui dont il est dit : « Dieu m’a donné un autre fils à la place d’Abel ? » (Gen. IV, 25). Pourquoi donc attribuer particulièrement à Enos ce qui est commun à tous les gens de bien, sinon parce qu’il fallait que celui qui naquit le premier du père des prédestinés à la Cité de Dieu figurât l’assemblée des hommes qui ne vivent pas selon l’homme dans la possession d’une félicité passagère, mais dans l’espérance d’un bonheur éternel? Il n’est pas dit: Celui-ci espéra dans le Seigneur; ou: Celui-ci invoqua le nom du Seigneur; mais: « Celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur». Que signifie: «Mit son espérance à invoquer » si ce n’est l’annonce prophétique de la naissance d’un peuple qui, selon l’élection de la grâce, invoquerait le nom de Dieu? C’est ce qui a été dit par un autre prophète; et l’Apôtre l’explique de ce peuple qui appartient à la grâce de Dieu: « Tous ceux qui invoqueront le nom du Seigneur seront sauvés » (Rom. X, 15 ; Joel, 71, 32).
Ces paroles de l’Ecriture : « Il l’appela Enos, c’est-à-dire l’homme », et ensuite: « Celui-ci mit son espérance à invoquer le nom du Seigneur », montrent bien que l’homme ne doit pas placer son espérance en lui-même. Comme il est écrit ailleurs « Maudit est quiconque met son espérance en l’homme » (Jérém. XVII, 5). Personne par conséquent ne doit non plus la mettre en soi-même, afin de devenir citoyen de cette autre cité qui n’est pas dédiée sur la terre par le fils de Caïn, c’est-à-dire pendant le cours de ce monde périssable, mais dans l’immortalité de la béatitude éternelle.
CHAPITRE XIX :
CE QUE FIGURE LE RAVISSEMENT D’ÉNOCH.
Cette lignée, dont Seth est le père, a aussi un nom qui signifie dédicace dans la septième génération depuis Adam, en y comprenant Adam lui-même. En effet, Enoch, qui signifie dédicace, est né le septième depuis lui; mais c’est cet Enoch, si agréable à Dieu, qui fut transporté hors du monde , et qui, dans l’ordre des générations, tient un rang remarquable, en ce qu’il désigne le jour consacré au repos. Il est aussi le sixième, à compter depuis Seth, c’est-à-dire depuis le père de ces générations qui sont séparées de la lignée de Caïn. Or, c’est le sixième jour que l’homme fut créé et que Dieu acheva tous ses ouvrages. Mais le ravissement d’Enoch marque le délai de notre dédicace; il est vrai qu’elle est déjà faite en Jésus-Christ, notre chef, qui est ressuscité pour ne plus mourir et qui a été lui-même transporté; mais il reste une autre dédicace, celle de toute la maison dont Jésus-Christ est le fondateur, et celle-là est différée jusqu’à la fin des siècles, où se fera la résurrection de tous ceux qui ne mourront plus. Il n’importe au fond qu’on l’appelle la maison de Dieu, ou son temple, ou sa cité; car nous voyons Virgile donner à la cité dominatrice par excellence le nom de la maison d’Assaracus, désignant ainsi les Romains, qui tirent leur origine de ce prince par les Troyens. Il les appelle aussi la maison d’Enée, parce que les Troyens, qui bâtirent dans la suite la ville de Rome, arrivèrent en Italie sous la conduite d’Enée (Énéide, livre I, v. 284; livre III, v. 97). Le poète a imité en cela les saintes lettres qui nomment le peuple nombreux des Israélites la maison de Jacob.
CHAPITRE XXI :
L’ÉCRITURE NE PARLE QU’EN PASSANT DE LA CITÉ DE LA TERRE,
ET SEULEMENT EN VUE DE CELLE DU CIEL.
Il faut considérer d’abord pourquoi, dans le dénombrement des générations de Caïn, après que l’Ecriture a fait mention d’Enoch, qui donna son nom à la ville que son père -bâtit, elle les continue tout de suite jusqu’au déluge, où finit entièrement toute cette branche, au lieu qu’après avoir parlé d’Enos, fils de Seth, elle interrompt le fil de cette généalogie, en disant: « Voici la généalogie des hommes. Lorsque Dieu créa l’homme, il le créa à son image. Il les créa homme et femme, les bénit, et les appela Adam » (Gen. V, 1, 2). Il me semble que cette interruption a eu pour objet de recommencer le dénombrement des temps par Adam; ce que l’Ecriture n’a pas voulu faire à l’égard de la cité de la terre, comme si Dieu en parlait en passant plutôt qu’il n’en tient compte. Mais d’où vient qu’après avoir déjà nommé le fils de Seth, cet homme qui mit sa confiance à invoquer le nom du Seigneur, elle y revient encore, sinon de ce qu’il fallait représenter ainsi ces deux cités, l’une descendant d’un homicide jusqu’à un homicide, car Lamech avoue à ses deux femmes qu’il a tué un homme (Gen. IV, 23), et l’autre, fondée par celui qui mit sa confiance à invoquer le nom de Dieu? Voilà, en effet, quelle doit être l’unique occupation de la Cité de Dieu, étrangère en ce monde pendant le cours de cette vie mortelle, et ce qu’il a fallu lui recommander par un homme engendré de celui en qui revivait Abel assassiné. Cet homme marque l’unité de toute la Cité céleste, qui recevra, un jour son accomplissement, après avoir été représentée ici-bas par cette figure prophétique. D’où le fils de Caïn, c’est-à-dire le fils de possession, pouvait-il prendre son nom, si ce n’est des biens de la terre dans la cité de la terre à qui il a donné le sien? Il est de ceux dont il est dit dans le psaume : « Ils ont donné leurs noms à leurs terres » (Ps. XLVIII, 12) ; aussi tombent-ils dans le malheur dont il est parlé en un autre psaume: « Seigneur, vous anéantirez leur image dans votre cité » (Ps. LXXII, 20). Pour le fils de Seth, c’est-à-dire le fils de la résurrection, qu’il mette sa confiance à invoquer le nom du Seigneur; c’est lui qui figure cette société d’hommes qui dit : « Je serai comme un olivier fertile en la maison du Seigneur, parce que j’ai espéré en sa miséricorde » (Ps. LI, 10) . Qu’il n’aspire point à la vaine gloire d’acquérir un nom célèbre sur la terre; car « heureux celui qui met son espérance au nom du Seigneur, et qui ne tourne point ses regards vers les vanités et les folies du monde » (Ps. XXXIX, 5). Après avoir proposé ces deux cités, l’une établie dans la jouissance des biens du siècle, l’autre mettant son espérance en Dieu , mais toutes deux sorties d’Adam comme d’une même barrière pour fournir leur course et arriver chacune à sa fin, I’Ecriture commence le dénombrement des temps, auquel elle ajoute d’autres générations en reprenant depuis Adam, de la postérité de qui, comme d’une masse juste-ment réprouvée, Dieu a fait des vases de colère et d’ignominie, et des vases d’honneur et de miséricorde (Rom. IX, 23) traitant les uns avec justice et les autres avec bonté, afin que la Cité céleste, étrangère ici-bas, apprenne, aux dépens des vases de colère, à ne pas se fier en son libre arbitre, mais à mettre sa confiance à invoquer le nom du Seigneur.
La volonté a été créée bonne, mais muable, parce qu’elle a été tirée du néant : ainsi, elle peut se détourner du bien et du mal; mais elle n’a besoin pour le fuit que de son libre arbitre et ne saurait faire le bien sans le secours de la grâce.
Source : "Oeuvres complètes de Saint Augustin", Traduites pour la première fois, sous la direction de M. Raulx, Bar-le-Duc, 1869.
10:23 Publié dans Religion | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tradition, histoire sainte, christianisme, histoire
15/02/2009
Saint Augustin et le Tractatus Adversos Judaeos : La doctrine du "Verus Israël"
Le Tractatus Adversos Judaeos de saint Augustin
ou l'aveuglement des juifs et la doctrine du "Verus Israël"
« De nouveau, Pilate sortit dehors et leur dit :
‘‘Voyez, je vous l'amène dehors, pour que vous sachiez
que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation’’.
Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre ;
et Pilate leur dit : ‘‘Voici l'homme’’.
Lorsqu'ils le virent, les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant :
‘‘Crucifie-le ! Crucifie-le !’’
Pilate leur dit : ‘‘Prenez-le, vous, et crucifiez-le ;
car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation.’’
Les Juifs lui répliquèrent :
‘‘Nous avons une Loi et d'après cette Loi il doit mourir,
parce qu'il s'est fait Fils de Dieu.’’ »
(Jean 19, 4-7)
Le « Tractatus Adversos Judaeos » de Saint Augustin, dont nous donnons ici de larges extraits, est l’un des textes de référence, aujourd’hui cependant bien oublié, de nature cependant à nous donner les éléments théologique nécessaires afin de pouvoir penser correctement, sur le plan théologique, le seul qui nous importe, la question de la place, du rôle et de la situation du peuple juif avant et après la venue de Jésus-Christ. La thèse de tous les Pères de l'Eglise fut que les Juifs, qui contituèrent le peuple « élu » de l’Eternel, eurent, hélas ! une évidente responsabilité dans la mort de Jésus, d’où l'accusation de « peuple déicide » et de « peuple perfide », qui sera d’ailleurs reprise par la liturgie elle-même. Or, si le peuple juif est « déicide », toute l'histoire suivante doit être interprétée comme une conséquence de l’acte extraordinaire qu’il fut perpétré au Golgotha, et doit être expliquée comme participant du « châtiment de Dieu », dont la destruction de Jérusalem est sans doute le symbole le plus impressionnant.
L’idée fondamentale, qui présidera dès lors à la doctrine de l’Eglise, qui relève du point de vue doctrinal de l’antijudaïsme théologique, est que l’Ancienne Alliance passée avec les fils d’Israël est devenue caduque, le bénéfice de cette Alliance passant aux chrétiens qui deviennent les héritiers de la Nouvelle Alliance, ceci dans la mesure où Jésus a accompli les prophéties de l’Ancien Testament. De la sorte, le christianisme reste seul fidèle aux écritures anciennes, ce qui a pour conséquence directe que les juifs, qui récusent la messianité de Jésus, perdent leur vocation à l’Alliance, vocation qui revient à l’Eglise, désormais le vrai Israël (Verus Israël) - les critères nationaux s’abolissant en Jésus et l’adhésion à sa Personne unissant tous les peuples et les langues en un nouveau Corps Mystique.
Ceci fut d’ailleurs justement exprimé par Sa Sainteté Pie XII dans son Encyclique Mystici Corporis :
- « D’abord la mort du Rédempteur a fait succéder le Nouveau Testament à l’Ancienne Loi abolie ; c’est alors que la Loi du Christ, avec ses mystères, ses lois, ses institutions et ses rites, fut sanctionnée pour tout l’univers dans le sang de Jésus-Christ. Car tant que le divin Sauveur prêchait sur un territoire restreint - il n’avait été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël - la Loi et l’Evangile marchaient de concert ; mais sur le gibet de sa mort il annula la loi avec ses prescriptions , il cloua à la Croix le ”chirographe” de l’Ancien Testament, établissant une Nouvelle Alliance dans son sang répandu pour tout le genre humain. “Alors, dit saint Léon le Grand en parlant de la Croix du Seigneur, le passage de la Loi à l’Evangile, de la Synagogue à l’Eglise, des sacrifices nombreux à la Victime unique, se produisit avec tant d’évidence qu’au moment où le Seigneur rendit l’esprit, le voile mystique qui fermait aux regards le fond du temple et son sanctuaire secret, se déchira violemment et brusquement du haut en bas.’’ » (Pie XII, Mystici Corporis, 29 juin 1943).
Alors Pilate entra de nouveau dans le prétoire ;
il appela Jésus et dit : Tu es le roi des Juifs ?’’ Jésus répondit :
‘‘Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ?’’
Pilate répondit : ‘‘Est-ce que je suis Juif, moi ?
Ta nation et les grands prêtres t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait ?’’
Jésus répondit : ‘‘Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici.’’
(…)Pilate lui dit : ‘‘Qu'est-ce que la vérité ?’’
Et, sur ce mot, il sortit de nouveau et alla vers les Juifs.
Et il leur dit : ‘‘Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.
Mais c'est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu'un à la Pâque. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?’’
Alors ils vociférèrent de nouveau, disant : ‘‘Pas lui, mais Barabbas !’’
Or Barabbas était un brigand. Pilate prit alors Jésus et le fit flageller
(Jean 18, 33-36 ; 39-40 ; Jean 19, 1)
T R A C T A T U S A D V E R S O S J U D A E O S
saint Augustin
SÉVÉRITÉ DE DIEU MANIFESTÉE PAR LA DESTRUCTION DU PEUPLE JUIF.
SA BONTÉ DANS LA VOCATION DES GENTILS.
L'AVEUGLEMENT DES JUIFS CONDAMNÉ PAR LES TEXTES DE L'ANCIEN TESTAMENT.
Le bienheureux apôtre Paul, docteur des Gentils dans la foi et la vérité, nous exhorte à demeurer stables et fermes dans une même croyance, dans la croyance dont il s'est montré le fidèle ministre : en cela, il nous donne un précepte qu'il confirme par un exemple capable de nous effrayer. « Tu vois », nous dit-il, « la sévérité et la bonté de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés; et sa bonté envers toi, si toutefois tu demeures ferme dans cette même bonté ». Il est sûr, qu'en s'exprimant ainsi, il a voulu parler des Juifs pareils aux branches d'olivier, violemment arrachées d'une souche fertile, ils ont été séparés de leurs saints patriarches en raison de leur infidélité : afin que les Gentils fussent, à cause de leur foi, comme un olivier sauvage, greffé sur un olivier fertile, et devinssent participants de la sève à la place des branches naturelles qui en ont été privées.« Mais », dit-il encore, « garde-toi de t'élever par présomption, contre les branches naturelles car, si tu penses t'élever au-dessus d'elles, considère que ce n'est pas toi qui portes la racine, n mais que c'est la racine qui te porte ». Et parce que quelques-uns d'entre les Juifs arrivent au salut, il ajoute : « Autrement, tu seras toi-même retranché comme eux : pour eux, s'ils ne demeurent pas dans leur infidélité, ils seront greffés sur la tige, car Dieu est tout-puissant pour les y enter de nouveau (Rom. XI, 18-23) ». A ceux, au contraire, qui persévèrent dans le mal, s'adresse cette sentence prononcée par l'Eternel : « Les enfants de ce royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures ; là sera le pleur et le grincement de dents ». Mais aux nations qui persévèrent dans le bien, s'applique ce qui est dit auparavant : « Plusieurs viendront d'orient et d'occident, et prendront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob (Matt. VIII, 12, 11) ». Ainsi, par une juste sévérité de la part de Dieu, l'orgueilleuse infidélité des branches naturelles leur a-t-elle mérité d'être séparées de leur racine, c'est-à-dire des patriarches, tandis que la grâce divine a greffé l'olivier sauvage sur cette racine en récompense de son humble fidélité.
Quand on cite aux Juifs ces passages, ils méprisent à la fois l'Evangile et l'Apôtre: ce que nous leur disons, ils rie l'entendent pas, parce qu'ils ne comprennent point ce qu'ils lisent; car, évidemment, s'ils savaient de qui le Prophète a voulu parler en ce passage « Je l'ai établi pour être la lumière des nations et le salut que j'envoie jusqu'aux extrémités de la terre (Isaïe, XLLX, 6) », ils ne seraient ni assez aveugles, ni assez malades pour ne pas reconnaître, dans le Seigneur Jésus, la lumière et le salut. Si encore ils comprenaient à quels hommes s'applique ce verset prophétique qu'ils chantent inutilement et sans profit pour eux : « Leur voix a éclaté dans toute la terre, et leurs paroles se font entendre jusqu'aux extrémités du monde » (Ps. XVIII, 5) ; ils s'éveilleraient à la voix des apôtres : et verraient que leur parole vient de Dieu. Invoquons donc le témoignage des saintes Ecritures, car elles jouissent, aussi chez eux, d'une grande autorité, et si nous ne pouvons les guérir de leur infidélité en leur offrant ce moyen de salut, nous les convaincrons du moins d'erreur par l'évidence de la vérité.
LES LIVRES DE L'ANCIEN TESTAMENT NOUS CONCERNENT :
NOUS EN OBSERVONS MIEUX LES PRÉCEPTES QUE LES JUIFS.
Nous devons d'abord réfuter une erreur commune parmi les Juifs : à les entendre, les livres de l'Ancien Testament ne nous concerneraient en aucune manière, puisque nous observons, non les anciens .rites, mais des rites nouveaux. A quoi vous sert la lecture de la Loi et des Prophètes, puisque vous ne voulez point en observer les préceptes ? Voilà ce qu'ils nous disent, parce que nous ne pratiquons pas la circoncision du prépuce sur les enfants mâles; parce que nous mangeons des viandes déclarées immondes par la Loi ; parce que nous n'observons point, d'une manière charnelle, leurs sabbats, leurs néoménies, et leurs jours de fêtes ; parce que nous n'immolons à Dieu aucune victime tirée de nos troupeaux, et que nous ne célébrons point la pâque avec un agneau et des pains azymes ; parce qu'enfin nous négligeons d'autres anciens rites, que l'Apôtre désigne sous le nom générique d'ombres des choses futures. Saint Paul les appelait ainsi, car, de leur temps, ils annonçaient la révélation -des mystères à la connaissance desquels nous avons été appelés, afin que, dégagés des ombres anciennes, nous jouissions de leur pure lumière. Il serait trop long d'engager avec eux une discussion sur chacun de ces points en particulier,de leur faire comprendre comment, en nous dépouillant du vieil homme, nous pratiquons la circoncision sans nous dépouiller de la chair de notre corps; de leur dire que nous apportons, dans nos moeurs, la sévérité qu'ils apportent dans le choix de leurs viandes : en un mot, de leur montrer que nous offrons nos corps à Dieu, comme une hostie vivante, sainte et agréable; qu'au lieu du sang des brutes, nous répandons nos âmes intelligentes en de saints désirs, et que nous sommes purifiés de toute souillure par le sang de Jésus-Christ, comme par le sang d'un agneau sans tache. A cause de la ressemblance de son corps avec un corps de péché, le Sauveur a été figuré parles boucs des anciens sacrifices, et celui qui reconnaît en sa personne la plus grande victime, ne fait point difficulté, en face des branches de la croix, de le considérer comme le taureau de la loi mosaïque. Trouvant en lui notre repos, nous observons véritablement le sabbat, et pour nous la célébration de la nouvelle lune n'est autre chose que la sanctification d'une vie nouvelle : notre pâque, c'est le Christ ; la sincérité et la vérité, voilà nos azymes; le vieux levain ne s'y trouve pas, et s'il y a d'autres mystères figurés par les présages antiques, nous ne nous arrêterons pas maintenant à les expliquer; cela est inutile : nous nous bornerons donc à dire qu'ils ont eu leur perfection en Jésus-Christ, dont le règne n'aura pas de fin. Toutes choses devaient, en effet, se trouver accomplies en Celui qui est venu, non pour détruire la Loi et les Prophètes, mais pour les accomplir (Matt. V, 17).
JÉSUS-CHRIST N'A POINT ABOLI LA LOI EN RAISONNANT :
IL L'A CHANGÉE EN L'ACCOMPLISSANT.
LE CHANGEMENT DES RITES ANCIENS A ÉTÉ PRÉDIT DANS LES PSAUMES.
Jésus-Christ n'a point aboli par le raisonnement les anciens signes des choses futures, mais il les a changés en faisant ce qu'ils prédisaient : car il voulait, pour annoncer que le Christ était déjà venu, des rites différents de ceux qui annonçaient sa venue future. Mais que signifie ce titre : « Pour ce qui doit être changé », placé en tête de certains psaumes que les Juifs ont entre les mains, auxquels ils reconnaissent l'autorité des saintes lettres ? (Le texte de ces mêmes psaumes a trait au Christ.) Evidemment il annonce le changement futur par le Christ de rites que nous savons aujourd'hui, parce que nous le voyons, avoir été changés par lui. De cette manière, le peuple dé Dieu, qui est maintenant le peuple chrétien, n'est point obligé d'observer les lois des temps prophétiques, non qu'elles aient été condamnées, mais parce qu'elles ont subi une transformation. Les mystères prédits par les anciens rites ne devaient point non plus disparaître, mais il fallait que les signes de ces mystères fussent appropriés aux époques diverses auxquelles ils étaient destinés.
[…]
ISAÏE A PRÉDIT QUE DIEU ABANDONNERAIT LES JUIFS.
Mais veuillez porter, pendant quelques instants, votre attention sur des passages plus précis que je vais vous citer. Lorsque vous entendez parler du bon Israël, vous dites C'est nous; quand il est question du bon Jacob, vous dites encore : Nous voilà. Et si l'on vous en demande la raison, vous répondez c'est que le patriarche, de qui nous descendons, s'appelait indifféremment Jacob et Israël voilà pourquoi on nous désigne avec justice par le nom de notre père. Vous êtes plongés dans un lourd et profond sommeil; aussi ne voulons-nous point vous insinuer des choses spirituelles qui dépassent les limites de votre intelligence. Nous ne prétendons point maintenant vous apprendre le sens spirituel de ces deux mots, à cause de votre surdité et de votre cécité d'âme. Comme vous l'avouez, en effet, et comme on le voit clairement en lisant le livre de la Genèse, le même homme s'appelait tout à la fois Jacob et Israël; aussi vous glorifiez-vous de ce que la maison de Jacob est en même temps la maison d'Israël.
Expliquez -nous donc ceci : le Prophète annonce d'abord qu'une montagne sera placée sur la cime des monts, et que toutes les nations se dirigeront vers elle, parce que la parole et la loi du Seigneur doivent sortir, non du Sinaï pour éclairer un seul peuple, mais de Sion et de Jérusalem pour illuminer tous les peuples: ce qui a eu lieu évidemment en Jésus-Christ, et pour les chrétiens. Un peu plus loin, le même prophète dit encore : « Et maintenant, ô maison de Jacob, venez : marchons à la lumière du Seigneur ». Selon votre habitude, vous allez certainement dire Nous voilà. Mais arrêtez-vous un peu à ce qui suit : de la sorte vous entendrez ce que vous ne voulez pas entendre, après avoir dit ce que vous vouliez dire. Le prophète ajoute immédiatement ces paroles : « Car il a rejeté son peuple, la maison d'Israël (Isaïe, II, 5, 6.) ». Ici, dites : Nous voilà : ici, reconnaissez-vous, et pardonnez-nous de vous avoir rappelé ces passages. Si, en effet, vous les entendez volontiers, ils serviront à vous attirer : si, au contraire, ils vous irritent, ils tourneront à votre honte.
Consentez-y, n'y consentez pas, il faut que vous les entendiez. Ce n'est pas moi qui vous parle; c'est un prophète dont vous lisez les écrits : par son organe, le Seigneur vous a certainement parlé; sols livre jouit de l'autorité des saintes Ecritures, et vous ne pouvez l'en dépouiller. Suivant le commandement du Seigneur, il crie avec véhémence ; pareil à une trompette, il élève la voix ; il vous réprimande en ces termes (Id. LXVIII, 1) : « Et maintenant, ô maison de Jacob, venez; marchons à la lumière du Seigneur». Dans la personne de vos ancêtres, vous avez mis le Christ à mort. Depuis lors, vous avez refusé de croire en lui vous êtes restés en opposition avec lui; mais vous n'êtes point encore condamnés sans remède, parce que vous n'êtes pas encore sortis de ce monde : vous avez maintenant facilité de vous repentir; venez donc maintenant vous deviez le faire autrefois; faites-le aujourd'hui. Le temps propice n'est pas écoulé pour celui qui n'a pas encore entendu sonner sa dernière heure. Mais si en qualité de maison de Jacob, vous avez suivi le prophète, et qu'à votre sens, vous marchiez dans la lumière du Seigneur, montrez-nous la maison d'Israël qu'il a abandonnée. Pour nous, nous vous montrons, d'une part, ceux que le Seigneur a appelés et séparés de cette maison, et de l'autre, ceux qui ont voulu y rester et qu'il a rejetés. Du milieu d'Israël il a appelé non seulement les Apôtres, mais aussi, après la résurrection du Christ, un peuple immense : nous en avons déjà parlé plus haut; mais il a rejeté ceux dont vous suivez les traces, en refusant de croire; il vous a rejetés vous-mêmes, car, en les imitant, vous persévérez dans le même égarement. Ou bien, si vous êtes vraiment ceux qu'il a appelés, où sont ceux qu'il a rejetés? Vous ne pouvez pas dire qu'il a rejeté une autre maison quelconque, car le Prophète dit clairement : « Il a rejeté son peuple, la maison d'Israël ». Voilà ce que vous êtes, et vous n'êtes pas ce que vous prétendez être.
Il a rejeté aussi la vigne dont il attendait des raisins et qui ne lui a donné que des épines, et il a défendu à ses nuées de laisser tomber sur elle une seule goutte de pluie. Mais il en a aussi appelé d'autres du même lieu, ce sont ceux auxquels il dit : « Jugez entre moi et ma vigne (Isaïe, V, 2-6) ». Le Seigneur parle d'eux en ces termes : « Si c'est par Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos enfants les chasseront-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges (Matt. XII, 27) ». Puis il leur fait cette promesse: « Vous serez aussi assis sur douze trônes , et vous jugerez les douze tribus d'Israël (Id. XIX, 28)». La maison de Jacob, qui par fidélité à la vocation divine a marché dans la lumière du Seigneur, s'assoira donc pour juger Israël, c'est-à-dire son peuple abandonné par lui. Comment d'ailleurs peut-il se faire que, selon le même prophète, « la pierre rejetée par ceux qui bâtissaient ait été placée à la tête de l'angle (Isaïe, XXVIII, 16 ; Ps. CXVII, 22) », sinon, parce que des peuples circoncis et des peuples incirconcis , semblables à des murs élevés en sens divers, viennent se réunir dans l'angle comme dans un baiser de paix ? Aussi l'Apôtre dit-il « C'est lui qui est notre paix, et qui, des deux peuples, n'en a fait qu'un (Eph. II, 14) ». Ceux d'entre les enfants de Jacob ou d'Israël qui ont écouté la voix qui les appelait, sont donc adhérents à la pierre angulaire, et marchent dans la lumière du Seigneur; mais ceux qui édifient des ruines et rejettent la pierre angulaire, sont ceux dont le Prophète a prédit l'abandon.
ABANDON DES JUIFS PLUS CLAIREMENT PRÉDIT PAR MALACHIE.
Le sacrifice des chrétiens est offert partout, sur la terre et dans le ciel. Enfin, ô Juifs, voulez-vous compromettre votre salut en résistant au Fils de Dieu, et détourner de leur vrai sens ces paroles prophétiques pour les expliquer suivant les inclinations de votre cœur? Voulez-vous, dis-je, entendre ces paroles en ce sens que la maison de Jacob et d'Israël désigne un même peuple, tout à la fois appelé et rejeté de Dieu, non un peuple dont certains membres auraient été appelés, tandis que les autres auraient été rejetés, mais un peuple appelé dans tous ses membres, pour marcher dans la lumière du Seigneur, après avoir été rejeté pour n'y avoir pas marché : ou bien, une nation, de telle sorte appelée dans les uns et rejetée dans les autres, que nulle division relative au sacrifice du Christ n'ayant eu lieu dans la table du Seigneur, on voit réunis, dans l'observance uniforme des anciens rites, ceux qui marchent dans la lumière du Seigneur et observent ses préceptes, et ceux qui ont méprisé sa justice et mérité d'en être abandonnés? Si vous prétendez interpréter ainsi ces prophéties, que direz-vous? Comment comprendrez-vous cet autre prophète qui vous coupe entièrement la parole, quand il vous adresse ces mots si clairs : « Mon affection n'est point en vous, dit le Seigneur tout-puissant; et je ne recevrai point de sacrifice de votre main, car, depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, mon nom est devenu grand parmi les nations et l'on me sacrifie en tous lieux; et l'on offre à mon nom une ablation toute pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant (Malach. I,10,11 )». A ce témoignage d'une évidence palpable, quel autre témoignage aussi éclatant pouvez-vous opposer? Pourquoi vous élever encore avec une intolérable impudence ? Est-ce que vous n'en périrez pas d'une manière plus malheureuse ? Votre chute n'en sera que plus lourde.
« Mon affection n'est pas en vous, dit », non pas le premier venu, mais « le Seigneur tout-puissant». Toutes les fois que vous entendez parler, d'une manière quelque peu avantageuse, de Jacob ou d'Israël, de la maison de Jacob ou de celle d'Israël, il semblerait, à vous croire, qu'il a été impossible de parler d'autres que de vous. Pourquoi donc vous enorgueillir ainsi d'appartenir à la race d'Abraham, quand le Seigneur tout-puissant vous dit : « Mon affection n'est point en vous, et je ne recevrai pas de sacrifice de votre main? » Certes, vous ne pouvez le nier non-seulement il ne reçoit point de sacrifice de votre main, mais vos mains ne lui en offrent pas même un. D'après la loi de Dieu, l'endroit où vous devez offrir des sacrifices a été formellement désigné : cet endroit est unique, hors de là, tout sacrifice vous est interdit : aussi, parce que vos fautes vous ont mérité d'en être exclus, vous n'osez, nulle part ailleurs, offrir le sacrifice qu'il vous était permis d'offrir en ce seul endroit, et ainsi s'accomplit parfaitement la prédiction du Prophète : « Et je ne recevrai point de sacrifice de votre main ». Car, si dans la Jérusalem terrestre il vous restait un temple et un autel, vous pourriez dire que l'oracle de Malachie a été accompli à l'égard de ceux d'entre vous dont Dieu rejette les sacrifices à cause de leurs iniquités, tandis qu'il accepte les offrandes de ceux qui, parmi vous, observent ses commandements. Aucun motif ne vous autorise à tenir ce langage, puisqu'aucun de vous ne peut offrir de sa main un sacrifice selon la loi donnée sur le mont Sinaï. La prédiction et son accomplissement ne vous permettent pas non plus d'opposer à la sentence du Prophète cette réponse : Nous n'offrons fias de nos mains la chair des animaux, mais nous offrons, de coeur et de bouche, le tribut de nos louanges, selon cette parole du Psalmiste : « Immolez à Dieu un sacrifice de louange (Ps. XLIX, 14) ». Ici encore, vous êtes démentis par Celui qui a dit : « Mon affection n'est pas en vous ».
Ensuite, de ce que vous n'offrez à Dieu aucun sacrifice, et de ce qu'il n'en reçoit pas de votre main, il ne suit nullement qu'on ne lui en offre aucun. Celui qui n'a besoin d'aucun de nos biens, n'a pas, à la vérité, plus besoin de nos offrandes; elles lui sont inutiles, mais elles nous procurent de grands avantages. Cependant, comme on lui fait de ces offrandes, le Seigneur ajoute ces paroles « Parce que, depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant, mon nom est devenu grand parmi les nations, et l'on me sacrifie en tous lieux, et l'on offre à mon nom une oblation toute pure, car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant ». A cela que répondrez-vous? Ouvrez donc enfin les yeux et voyez : on offre le sacrifice des chrétiens partout, et non pas en un seul endroit, comme on vous l'avait commandé : on l'offre, non à un Dieu quelconque, mais à Celui quia fait cette prédiction, au Dieu d'Israël. C'est pourquoi il dit ailleurs, en parlant à son Eglise : « Celui qui vous a sauvée, c'est le Dieu d'Israël qui sera appelé le Dieu de toute la terre (Isa. LIV, 5) ». Vous lisez avec soin les Ecritures, parce que vous croyez y trouver la vie (Jean, V, 39). Vous l'y trouveriez, en effet, si vous compreniez qu'il est question du Christ, si elles servaient à vous le faire reconnaître. Mais lisez-les avec plus d'attention encore; elles rendent témoignage de ce sacrifice pur offert au Dieu d'Israël, non par votre seul peuple, des mains duquel il a prédit qu'il n'en accepterait point, mais par toutes les nations qui disent : « Venez, montons à la montagne du Seigneur (Isa. II, 3) » : non en un seul endroit, dans la Jérusalem terrestre, comme cela vous était prescrit, mais par toute la terre et jusque dans la Jérusalem véritable : non selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech, car il a été dit au Christ, et, aussi longtemps d'avance, il a été prédit du Christ: «Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable: Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4.) ». Qu'est-ce à dire : « Le Seigneur a juré », sinon qu'il a affirmé sur son indéfectible vérité? « Et il ne se repentira pas », si ce n'est qu'il ne changera jamais, pour aucun motif, ce sacerdoce? Car Dieu ne se repent pas comme l'homme. On dit que Dieu se repent quand il change une chose établie par lui, et qui paraissait devoir durer. Aussi, lorsqu'il dit: «Il ne se repentira pas: Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech », il montre suffisamment qu'il s'est repenti, c'est-à-dire, qu'il a voulu changer le sacerdoce établi par lui selon l'ordre d'Aaron. Nous avons sous les yeux l'accomplissement de la prophétie relative à ces deux sacerdoces : dans aucun temple, en effet, il n'y a plus trace du sacerdoce d'Aaron, et celui du Christ subsiste éternellement dans le ciel.
Le Prophète vous appelle donc à cette lumière du Seigneur lorsqu'il dit : « Et main« tenant, vous, maison de Jacob, venez, marchons dans la lumière du Seigneur : Vous, maison de Jacob », qu'il a appelée et choisie, non pas « vous », qu'il a rejetés. « Car il a rejeté son peuple, la maison d'Israël (Isa. II, 5,6) ». Tous ceux d'entre vous qui voudront venir de cette maison d'Israël , appartiendront à celle que le Seigneur a appelée : ils seront séparés de celle qu'il a rejetée. En effet, la lumière du Seigneur, dans laquelle marchent les nations, est celle dont le même Prophète a parlé en disant : « Voilà que je Vous ai établi pour être la lumière des nations, et le salut que j'envoie jusqu'aux extrémités de la terre (Id. XLIX, 6.) ». A qui ces paroles ont-elles été adressées, si ce n'est au Christ? En qui ont-elles reçu leur accomplissement, si ce n'est dans le Christ? Cette lumière ne se trouve point en vous, car il est encore écrit de vous « Dieu leur a donné, jusqu'à ce jour, un esprit d'assoupissement , des yeux qui ne voient point, et des oreilles qui n'entendent pas (Rom. XI, 8)». Non, dis-je, cette lumière n'est point en vous : aussi, par excès d'aveuglement, vous rejetez la pierre qui est devenue la tête de l'angle. «Approchez-vous donc de lui, afin que vous en soyez éclairés (Ps. XXXIII, 6) ». Qu'est-ce à dire : « Approchez-vous », sinon, croyez; car, pour vous approcher de lui, où irez-vous, puisqu'il est cette pierre dont parle le prophète Daniel, et qui, en grossissant est devenue une montagne si grande, qu'elle a rempli toute la terre (Daniel, II, 35)? De là vient que les nations mêmes qui disent : « Venez, montons à la montagne du Seigneur », ne font nulle part aucun effort pour marcher et parvenir au but : elles montent là où elles se trouvent, car en tout lieu on offre un sacrifice selon l'ordre de Melchisédech ; et, selon ce passage d'un autre prophète : « Dieu anéantit tous les dieux des nations, et il est adoré par tout homme en tout pays (Soph. II, 11) ». Lors donc qu'on vous dit «Approchez-vous de lui », on ne vous dit pas : préparez vos vaisseaux ou vos bêtes de somme, chargez-les de vos victimes, venez d'une contrée si lointaine, et arrivez à l'endroit où le Seigneur agréera les sacrifices offerts par votre piété. Mais on vous dit : Approchez-vous de Celui que vos oreilles entendent annoncer; approchez-vous de Celui dont la gloire éclate à vos yeux : vous ne vous fatiguerez point à marcher, car dès que vous croirez, vous serez près de lui.
AVEC QUELLE CHARITÉ IL FAUT ATTIRER LES JUIFS A LA FOI.
Que les Juifs écoutent volontiers ces divers témoignages, ou qu'ils en ressentent de l'indignation, nous devons, très chers frères, quand nous le pouvons, les leur rappeler en leur montrant que nous les aimons. Ne nous élevons point avec orgueil contre les branches séparées du tronc; souvenons-nous plutôt de la racine sur laquelle nous avons été greffés rappelons-nous par la grâce dé qui, et avec quelle miséricordieuse bonté, et sur quelle racine nous avons été entés . ne nous élevons pas, mais tenons-nous dans l'humilité (Bède ou Florus , sur l'ép. aux Rom. XI). Ne les insultons pas présomptueusement , mais tressaillons d'une joie mêlée de crainte, et disons-leur : « Venez et marchons dans la lumière du Seigneur, parce que son nom est grand parmi les nations (Ps. II, 11) ». S'ils nous entendent et qu'ils nous écoutent, ils auront place parmi ceux à qui il a été dit : « Approchez-vous de lui, et il vous éclairera. Et vos visages ne rougiront point de honte (Rom. XI) ». Si, au contraire, ils nous entendent et ne nous écoutent pas, s'ils nous voient et nous portent envie, ils sont du nombre de ceux dont il a été dit : « Le pécheur verra et il en sera irrité; il grincera des dents et séchera de dépit (Ps. CXI, 10) ». « Pour moi », dit l'Eglise au Christ, «je serai dans la maison du Seigneur comme un olivier qui porte du fruit : j'ai mis mon espérance dans la miséricorde de Dieu pour l'éternité et pour les siècles des siècles (Ps. LI, 10) ».
Traduction de M. l'abbé AUBERT, in Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome 14,p. 23-32.
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