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15/02/2009

Saint Augustin et le Tractatus Adversos Judaeos : La doctrine du "Verus Israël"

Le Tractatus Adversos Judaeos de saint Augustin

 ou l'aveuglement des juifs et la doctrine du "Verus Israël"

 

Jésus présenté au peuple.jpg

 

 

« De nouveau, Pilate sortit dehors et leur dit :

‘‘Voyez, je vous l'amène dehors, pour que vous sachiez

que je ne trouve en lui aucun motif de condamnation’’.

Jésus sortit donc dehors, portant la couronne d'épines et le manteau de pourpre ;

et Pilate leur dit : ‘‘Voici l'homme’’.

 Lorsqu'ils le virent, les grands prêtres et les gardes vociférèrent, disant :

‘‘Crucifie-le ! Crucifie-le !’’

Pilate leur dit : ‘‘Prenez-le, vous, et crucifiez-le ;

car moi, je ne trouve pas en lui de motif de condamnation.’’

Les Juifs lui répliquèrent :

‘‘Nous avons une Loi et d'après cette Loi il doit mourir,

parce qu'il s'est fait Fils de Dieu.’’ »

(Jean 19, 4-7)

 

Le « Tractatus Adversos Judaeos » de Saint Augustin, dont nous donnons ici de larges extraits, est l’un des textes de référence, aujourd’hui cependant bien oublié, de nature cependant à nous donner les éléments théologique nécessaires afin de pouvoir penser correctement, sur le plan théologique, le seul qui nous importe, la question de la place, du rôle et de la situation du peuple juif avant et après la venue de Jésus-Christ. La thèse de tous les Pères de l'Eglise fut que les Juifs, qui contituèrent le peuple « élu » de l’Eternel, eurent, hélas ! une évidente responsabilité dans la mort de Jésus, d’où l'accusation de « peuple déicide » et de « peuple perfide », qui sera d’ailleurs reprise par la liturgie elle-même. Or, si le peuple juif est « déicide », toute l'histoire suivante doit être interprétée comme une conséquence de  l’acte extraordinaire qu’il fut perpétré au Golgotha, et doit être expliquée comme participant du « châtiment de Dieu », dont la destruction de Jérusalem est sans doute le symbole le plus impressionnant.

L’idée fondamentale, qui présidera dès  lors à la doctrine de l’Eglise, qui relève du point de vue doctrinal de l’antijudaïsme théologique, est que  l’Ancienne Alliance passée avec les fils d’Israël est devenue caduque, le bénéfice de cette Alliance passant aux chrétiens qui deviennent les héritiers de la Nouvelle Alliance, ceci dans la mesure où Jésus a accompli les prophéties de l’Ancien Testament. De la sorte, le christianisme reste seul fidèle aux écritures anciennes, ce qui a pour conséquence directe que les juifs, qui récusent la messianité de Jésus, perdent leur vocation à l’Alliance, vocation qui revient à l’Eglise, désormais le vrai Israël (Verus Israël) - les critères nationaux s’abolissant en Jésus et l’adhésion à sa Personne unissant tous les peuples et les langues en un nouveau Corps Mystique.

Ceci fut d’ailleurs justement exprimé par Sa Sainteté Pie XII dans son Encyclique Mystici Corporis :

- « D’abord la mort du Rédempteur a fait succéder le Nouveau Testament à l’Ancienne Loi abolie ; c’est alors que la Loi du Christ, avec ses mystères, ses lois, ses institutions et ses rites, fut sanctionnée pour tout l’univers dans le sang de Jésus-Christ. Car tant que le divin Sauveur prêchait sur un territoire restreint - il n’avait été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël - la Loi et l’Evangile marchaient de concert ; mais sur le gibet de sa mort il annula la loi avec ses prescriptions , il cloua à la Croix le ”chirographe” de l’Ancien Testament, établissant une Nouvelle Alliance dans son sang répandu pour tout le genre humain. “Alors, dit saint Léon le Grand en parlant de la Croix du Seigneur, le passage de la Loi à l’Evangile, de la Synagogue à l’Eglise, des sacrifices nombreux à la Victime unique, se produisit avec tant d’évidence qu’au moment où le Seigneur rendit l’esprit, le voile mystique qui fermait aux regards le fond du temple et son sanctuaire secret, se déchira violemment et brusquement du haut en bas.’’ » (Pie XII, Mystici Corporis, 29 juin 1943).

 

 

flagellation.jpg 

 

Alors Pilate entra de nouveau dans le prétoire ;

il appela Jésus et dit : Tu es le roi des Juifs ?’’ Jésus répondit :

‘‘Dis-tu cela de toi-même ou d'autres te l'ont-ils dit de moi ?’’

Pilate répondit : ‘‘Est-ce que je suis Juif, moi ?

Ta nation et les grands prêtres t'ont livré à moi. Qu'as-tu fait ?’’

Jésus répondit : ‘‘Mon royaume n'est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes gens auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs. Mais mon royaume n'est pas d'ici.’’

(…)Pilate lui dit : ‘‘Qu'est-ce que la vérité ?’’

Et, sur ce mot, il sortit de nouveau et alla vers les Juifs.

Et il leur dit : ‘‘Je ne trouve en lui aucun motif de condamnation.

Mais c'est pour vous une coutume que je vous relâche quelqu'un à la Pâque. Voulez-vous que je vous relâche le roi des Juifs ?’’

Alors ils vociférèrent de nouveau, disant : ‘‘Pas lui, mais Barabbas !’’

Or Barabbas était un brigand. Pilate prit alors Jésus et le fit flageller

 

(Jean 18, 33-36 ; 39-40 ; Jean 19, 1)

 

 

T R A C T A T U S   A D V E R S O S   J U D A E O S

saint Augustin

 

 

 

SÉVÉRITÉ DE DIEU MANIFESTÉE PAR LA DESTRUCTION DU PEUPLE JUIF.

SA BONTÉ DANS LA VOCATION DES GENTILS.

L'AVEUGLEMENT DES JUIFS CONDAMNÉ PAR LES TEXTES DE L'ANCIEN TESTAMENT.

 

Le bienheureux apôtre Paul, docteur des Gentils dans la foi et la vérité, nous exhorte à demeurer stables et fermes dans une même croyance, dans la croyance dont il s'est montré le fidèle ministre : en cela, il nous donne un précepte qu'il confirme par un exemple capable de nous effrayer. « Tu vois », nous dit-il, « la sévérité et la bonté de Dieu : sa sévérité envers ceux qui sont tombés; et sa bonté envers toi, si toutefois tu demeures ferme dans cette même bonté ». Il est sûr, qu'en s'exprimant ainsi, il a voulu parler des Juifs pareils aux branches d'olivier, violemment arrachées d'une souche fertile, ils ont été séparés de leurs saints patriarches en raison de leur infidélité : afin que les Gentils fussent, à cause de leur foi, comme un olivier sauvage, greffé sur un olivier fertile, et devinssent participants de la sève à la place des branches naturelles qui en ont été privées.« Mais », dit-il encore, « garde-toi de t'élever par présomption, contre les branches naturelles car, si tu penses t'élever au-dessus d'elles, considère que ce n'est pas toi qui portes la racine, n mais que c'est la racine qui te porte ». Et parce que quelques-uns d'entre les Juifs arrivent au salut, il ajoute : « Autrement, tu seras toi-même retranché comme eux : pour eux, s'ils ne demeurent pas dans leur infidélité, ils seront greffés sur la tige, car Dieu est tout-puissant pour les y enter de nouveau (Rom. XI, 18-23) ». A ceux, au contraire, qui persévèrent dans le mal, s'adresse cette sentence prononcée par l'Eternel : « Les enfants de ce  royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures ; là sera le pleur et le grincement de dents ». Mais aux nations qui persévèrent dans le bien, s'applique ce qui est dit auparavant : « Plusieurs viendront d'orient et d'occident, et prendront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob (Matt. VIII, 12, 11) ». Ainsi, par une juste sévérité de la part de Dieu, l'orgueilleuse infidélité des branches naturelles leur a-t-elle mérité d'être séparées de leur racine, c'est-à-dire des patriarches, tandis que la grâce divine a greffé l'olivier sauvage sur cette racine en récompense de son humble fidélité.

 

Quand on cite aux Juifs ces passages, ils méprisent à la fois l'Evangile et l'Apôtre: ce que nous leur disons, ils rie l'entendent pas, parce qu'ils ne comprennent point ce qu'ils lisent; car, évidemment, s'ils savaient de qui le Prophète a voulu parler en ce passage « Je l'ai établi pour être la lumière des nations et le salut que j'envoie jusqu'aux extrémités de la terre (Isaïe, XLLX, 6) », ils ne seraient ni assez aveugles, ni assez malades pour ne pas reconnaître, dans le Seigneur Jésus, la lumière et le salut. Si encore ils comprenaient à quels hommes s'applique ce verset prophétique qu'ils chantent inutilement et sans profit pour eux : « Leur voix a éclaté dans toute la terre, et leurs paroles se font entendre jusqu'aux extrémités du monde » (Ps. XVIII, 5) ; ils s'éveilleraient à la voix des apôtres : et verraient que leur parole vient de Dieu. Invoquons donc le témoignage des saintes Ecritures, car elles jouissent, aussi chez eux, d'une grande autorité, et si nous ne pouvons les guérir de leur infidélité en leur offrant ce moyen de salut, nous les convaincrons du moins d'erreur par l'évidence de la vérité.

 

LES LIVRES DE L'ANCIEN TESTAMENT NOUS CONCERNENT :

NOUS EN OBSERVONS MIEUX LES PRÉCEPTES QUE LES JUIFS.

 

Nous devons d'abord réfuter une erreur commune parmi les Juifs : à les entendre, les livres de l'Ancien Testament ne nous concerneraient en aucune manière, puisque nous observons, non les anciens .rites, mais des rites nouveaux. A quoi vous sert la lecture de la Loi et des Prophètes, puisque vous ne voulez point en observer les préceptes ? Voilà ce qu'ils nous disent, parce que nous ne pratiquons pas la circoncision du prépuce sur les enfants mâles; parce que nous mangeons des viandes déclarées immondes par la Loi ; parce que nous n'observons point, d'une manière charnelle, leurs sabbats, leurs néoménies, et leurs jours de fêtes ; parce que nous n'immolons à Dieu aucune victime tirée de nos troupeaux, et que nous ne célébrons point la pâque avec un agneau et des pains azymes ; parce qu'enfin nous négligeons d'autres anciens rites, que l'Apôtre désigne sous le nom générique d'ombres des choses futures. Saint Paul les appelait ainsi, car, de leur temps, ils annonçaient la révélation -des mystères à la connaissance desquels nous avons été appelés, afin que, dégagés des ombres anciennes, nous jouissions de leur pure lumière. Il serait trop long d'engager avec eux une discussion sur chacun de ces points en particulier,de leur faire comprendre comment, en nous dépouillant du vieil homme, nous pratiquons la circoncision sans nous dépouiller de la chair de notre corps; de leur dire que nous apportons, dans nos moeurs, la sévérité qu'ils apportent dans le choix de leurs viandes : en un mot, de leur montrer que nous offrons nos corps à Dieu, comme une hostie vivante, sainte et agréable; qu'au lieu du sang des brutes, nous répandons nos âmes intelligentes en de saints désirs, et que nous sommes purifiés de toute souillure par le sang de Jésus-Christ, comme par le sang d'un agneau sans tache. A cause de la ressemblance de son corps avec un corps de péché, le Sauveur a été figuré parles boucs des anciens sacrifices, et celui qui reconnaît en sa personne la plus grande victime, ne fait point difficulté, en face des branches de la croix, de le considérer comme le taureau de la loi mosaïque. Trouvant en lui notre repos, nous observons véritablement le sabbat, et pour nous la célébration de la nouvelle lune n'est autre chose que la sanctification d'une vie nouvelle : notre pâque, c'est le Christ ; la sincérité et la vérité, voilà nos azymes; le vieux levain ne s'y trouve pas, et s'il y a d'autres mystères figurés par les présages antiques, nous ne nous arrêterons pas maintenant à les expliquer; cela est inutile : nous nous bornerons donc à dire qu'ils ont eu leur perfection en Jésus-Christ, dont le règne n'aura pas de fin. Toutes choses devaient, en effet, se trouver accomplies en Celui qui est venu, non pour détruire la Loi et les Prophètes, mais pour les accomplir (Matt. V, 17).

 

 

JÉSUS-CHRIST N'A POINT ABOLI LA LOI EN RAISONNANT :

IL L'A CHANGÉE EN L'ACCOMPLISSANT.

LE CHANGEMENT DES RITES ANCIENS A ÉTÉ PRÉDIT DANS LES PSAUMES.

 

 

Jésus-Christ n'a point aboli par le raisonnement les anciens signes des choses futures, mais il les a changés en faisant ce qu'ils prédisaient : car il voulait, pour annoncer que le Christ était déjà venu, des rites différents de ceux qui annonçaient sa venue future. Mais que signifie ce titre : « Pour ce qui doit être changé », placé en tête de certains psaumes que les Juifs ont entre les mains, auxquels ils reconnaissent l'autorité des saintes lettres ? (Le texte de ces mêmes psaumes a trait au Christ.) Evidemment il annonce le changement futur par le Christ de rites que nous savons aujourd'hui, parce que nous le voyons, avoir été changés par lui. De cette manière, le peuple dé Dieu, qui est maintenant le peuple chrétien, n'est point obligé d'observer les lois des temps prophétiques, non qu'elles aient été condamnées, mais parce qu'elles ont subi une transformation. Les mystères prédits par les anciens rites ne devaient point non plus disparaître, mais il fallait que les signes de ces mystères fussent appropriés aux époques diverses auxquelles ils étaient destinés.

 

 […]  

 

ISAÏE A PRÉDIT QUE DIEU ABANDONNERAIT LES JUIFS.

 

Mais veuillez porter, pendant quelques instants, votre attention sur des passages plus précis que je vais vous citer. Lorsque vous entendez parler du bon Israël, vous dites C'est nous; quand il est question du bon Jacob, vous dites encore : Nous voilà. Et si l'on vous en demande la raison, vous répondez c'est que le patriarche, de qui nous descendons, s'appelait indifféremment Jacob et Israël voilà pourquoi on nous désigne avec justice par le nom de notre père. Vous êtes plongés dans un lourd et profond sommeil; aussi ne voulons-nous point vous insinuer des choses spirituelles qui dépassent les limites de votre intelligence. Nous ne prétendons point maintenant vous apprendre le sens spirituel de ces deux mots, à cause de votre surdité et de votre cécité d'âme. Comme vous l'avouez, en effet, et comme on le voit clairement en lisant le livre de la Genèse, le même homme s'appelait tout à la fois Jacob et Israël; aussi vous glorifiez-vous de ce que la maison de Jacob est en même temps la maison d'Israël.

 

Expliquez -nous donc ceci : le Prophète annonce d'abord qu'une montagne sera placée sur la cime des monts, et que toutes les nations se dirigeront vers elle, parce que la parole et la loi du Seigneur doivent sortir, non du Sinaï pour éclairer un seul peuple, mais de Sion et de Jérusalem pour illuminer tous les peuples: ce qui a eu lieu évidemment en Jésus-Christ, et pour les chrétiens. Un peu plus loin, le même prophète dit encore : « Et maintenant, ô maison de Jacob, venez : marchons à la lumière du Seigneur ». Selon votre habitude, vous allez certainement dire Nous voilà. Mais arrêtez-vous un peu à ce qui suit : de la sorte vous entendrez ce que vous ne voulez pas entendre, après avoir dit ce que vous vouliez dire. Le prophète ajoute immédiatement ces paroles : « Car il a rejeté son peuple, la maison d'Israël (Isaïe, II, 5, 6.) ». Ici, dites : Nous voilà : ici, reconnaissez-vous, et pardonnez-nous de vous avoir rappelé ces passages. Si, en effet, vous les entendez volontiers, ils serviront à vous attirer : si, au contraire, ils vous irritent, ils tourneront à votre honte.

 

Consentez-y, n'y consentez pas, il faut que vous les entendiez. Ce n'est pas moi qui vous parle; c'est un prophète dont vous lisez les écrits : par son organe, le Seigneur vous a certainement parlé; sols livre jouit de l'autorité des saintes Ecritures, et vous ne pouvez l'en dépouiller. Suivant le commandement du Seigneur, il crie avec véhémence ; pareil à une trompette, il élève la voix ; il vous réprimande en ces termes (Id. LXVIII, 1) : « Et maintenant, ô maison de Jacob, venez; marchons à la lumière du Seigneur». Dans la personne de vos ancêtres, vous avez mis le Christ à mort. Depuis lors, vous avez refusé de croire en lui vous êtes restés en opposition avec lui; mais vous n'êtes point encore condamnés sans remède, parce que vous n'êtes pas encore sortis de ce monde : vous avez maintenant facilité de vous repentir; venez donc maintenant vous deviez le faire autrefois; faites-le aujourd'hui. Le temps propice n'est pas écoulé pour celui qui n'a pas encore entendu sonner sa dernière heure. Mais si en qualité de maison de Jacob, vous avez suivi le prophète, et qu'à votre sens, vous marchiez dans la lumière du Seigneur, montrez-nous la maison d'Israël qu'il a abandonnée. Pour nous, nous vous montrons, d'une part, ceux que le Seigneur a appelés et séparés de cette maison, et de l'autre, ceux qui ont voulu y rester et qu'il a rejetés. Du milieu d'Israël il a appelé non seulement les Apôtres, mais aussi, après la résurrection du Christ, un peuple immense : nous en avons déjà parlé plus haut; mais il a rejeté ceux dont vous suivez les traces, en refusant de croire; il vous a rejetés vous-mêmes, car, en les imitant, vous persévérez dans le même égarement. Ou bien, si vous êtes vraiment ceux qu'il a appelés, où sont ceux qu'il a rejetés? Vous ne pouvez pas dire qu'il a rejeté une autre maison quelconque, car le Prophète dit clairement : « Il a rejeté son peuple, la maison d'Israël ». Voilà ce que vous êtes, et vous n'êtes pas ce que vous prétendez être.

 

Il a rejeté aussi la vigne dont il attendait des raisins et qui ne lui a donné que des épines, et il a défendu à ses nuées de laisser tomber sur elle une seule goutte de pluie. Mais il en a aussi appelé d'autres du même lieu, ce sont ceux auxquels il dit : « Jugez entre moi et ma vigne (Isaïe, V, 2-6) ». Le Seigneur parle d'eux en ces termes : « Si c'est par Belzébuth que je chasse les démons, par qui vos enfants les chasseront-ils ? C'est pourquoi ils seront eux-mêmes vos juges (Matt. XII, 27) ». Puis il leur fait cette promesse: « Vous serez aussi assis sur douze trônes , et vous jugerez les douze tribus d'Israël (Id. XIX, 28)». La maison de Jacob, qui par fidélité à la vocation divine a marché dans la lumière du Seigneur, s'assoira donc pour juger Israël, c'est-à-dire son peuple abandonné par lui. Comment d'ailleurs peut-il se faire que, selon le même prophète, « la pierre rejetée par ceux qui bâtissaient ait été placée à la tête de l'angle (Isaïe, XXVIII, 16 ; Ps. CXVII, 22) », sinon, parce que des peuples circoncis et des peuples incirconcis , semblables à des murs élevés en sens divers, viennent se réunir dans l'angle comme dans un baiser de paix ? Aussi l'Apôtre dit-il « C'est lui qui est notre paix, et qui, des deux peuples, n'en a fait qu'un (Eph. II, 14) ». Ceux d'entre les enfants de Jacob ou d'Israël qui ont écouté la voix qui les appelait, sont donc adhérents à la pierre angulaire, et marchent dans la lumière du Seigneur; mais ceux qui édifient des ruines et rejettent la pierre angulaire, sont ceux dont le Prophète a prédit l'abandon.

 

ABANDON DES JUIFS PLUS CLAIREMENT PRÉDIT PAR MALACHIE.

 

      Le sacrifice des chrétiens est offert partout, sur la terre et dans le ciel. Enfin, ô Juifs, voulez-vous compromettre votre salut en résistant au Fils de Dieu, et détourner de leur vrai sens ces paroles prophétiques pour les expliquer suivant les inclinations de votre cœur? Voulez-vous, dis-je, entendre ces paroles en ce sens que la maison de Jacob et d'Israël désigne un même peuple, tout à la fois appelé et rejeté de Dieu, non un peuple dont certains membres auraient été appelés, tandis que les autres auraient été rejetés, mais un peuple appelé dans tous ses membres, pour marcher dans la lumière du Seigneur, après avoir été rejeté pour n'y avoir pas marché : ou bien, une nation, de telle sorte appelée dans les uns et rejetée dans les autres, que nulle division relative au sacrifice du Christ n'ayant eu lieu dans la table du Seigneur, on voit réunis, dans l'observance uniforme des anciens rites, ceux qui marchent dans la lumière du Seigneur et observent ses préceptes, et ceux qui ont méprisé sa justice et mérité d'en être abandonnés? Si vous prétendez interpréter ainsi ces prophéties, que direz-vous? Comment comprendrez-vous cet autre prophète qui vous coupe entièrement la parole, quand il vous adresse ces mots si clairs : « Mon affection n'est point en vous, dit le Seigneur tout-puissant; et je ne recevrai point de sacrifice de votre main, car, depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, mon nom est devenu grand parmi les nations et l'on me sacrifie en tous lieux; et l'on offre à mon nom une ablation toute pure, parce que mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant (Malach. I,10,11 )». A ce témoignage d'une évidence palpable, quel autre témoignage aussi éclatant pouvez-vous opposer? Pourquoi vous élever encore avec une intolérable impudence ? Est-ce que vous n'en périrez pas d'une manière plus malheureuse ? Votre chute n'en sera que plus lourde.

 

 « Mon affection n'est pas en vous, dit », non pas le premier venu, mais « le Seigneur tout-puissant». Toutes les fois que vous entendez parler, d'une manière quelque peu avantageuse, de Jacob ou d'Israël, de la maison de Jacob ou de celle d'Israël, il semblerait, à vous croire, qu'il a été impossible de parler d'autres que de vous. Pourquoi donc vous enorgueillir ainsi d'appartenir à la race d'Abraham, quand le Seigneur tout-puissant vous dit : « Mon affection n'est point en vous, et je ne recevrai pas de sacrifice de votre main? » Certes, vous ne pouvez le nier non-seulement il ne reçoit point de sacrifice de votre main, mais vos mains ne lui en offrent pas même un. D'après la loi de Dieu, l'endroit où vous devez offrir des sacrifices a été formellement désigné : cet endroit est unique, hors de là, tout sacrifice vous est interdit : aussi, parce que vos fautes vous ont mérité d'en être exclus, vous n'osez, nulle part ailleurs, offrir le sacrifice qu'il vous était permis d'offrir en ce seul endroit, et ainsi s'accomplit parfaitement la prédiction du Prophète : « Et je ne recevrai point de sacrifice de votre main ». Car, si dans la Jérusalem terrestre il vous restait un temple et un autel, vous pourriez dire que l'oracle de Malachie a été accompli à l'égard de ceux d'entre vous dont Dieu rejette les sacrifices à cause de leurs iniquités, tandis qu'il accepte les offrandes de ceux qui, parmi vous, observent ses commandements. Aucun motif ne vous autorise à tenir ce langage, puisqu'aucun de vous ne peut offrir de sa main un sacrifice selon la loi donnée sur le mont Sinaï. La prédiction et son accomplissement ne vous permettent pas non plus d'opposer à la sentence du Prophète cette réponse : Nous n'offrons fias de nos mains la chair des animaux, mais nous offrons, de coeur et de bouche, le tribut de nos louanges, selon cette parole du Psalmiste  : « Immolez à Dieu un sacrifice de louange (Ps. XLIX, 14) ». Ici encore, vous êtes démentis par Celui qui a dit : « Mon affection n'est pas en vous ».

 

Ensuite, de ce que vous n'offrez à Dieu aucun sacrifice, et de ce qu'il n'en reçoit pas de votre main, il ne suit nullement qu'on ne lui en offre aucun. Celui qui n'a besoin d'aucun de nos biens, n'a pas, à la vérité, plus besoin de nos offrandes; elles lui sont inutiles, mais elles nous procurent de grands avantages. Cependant, comme on lui fait de ces offrandes, le Seigneur ajoute ces paroles « Parce que, depuis le lever du soleil jusqu'à son couchant, mon nom est devenu grand parmi les nations, et l'on me sacrifie en tous lieux, et l'on offre à mon nom une oblation toute pure, car mon nom est grand parmi les nations, dit le Seigneur tout-puissant ». A cela que répondrez-vous? Ouvrez donc enfin les yeux et voyez : on offre le sacrifice des chrétiens partout, et non pas en un seul endroit, comme on vous l'avait commandé : on l'offre, non à un Dieu quelconque, mais à Celui quia fait cette prédiction, au Dieu d'Israël. C'est pourquoi il dit ailleurs, en parlant à son Eglise : « Celui qui vous a sauvée, c'est le Dieu d'Israël qui sera appelé le Dieu de toute la terre (Isa. LIV, 5) ». Vous lisez avec soin les Ecritures, parce que vous croyez y trouver la vie (Jean, V, 39). Vous l'y trouveriez, en effet, si vous compreniez qu'il est question du Christ, si elles servaient à vous le faire reconnaître. Mais lisez-les avec plus d'attention encore; elles rendent témoignage de ce sacrifice pur offert au Dieu d'Israël, non par votre seul peuple, des mains duquel il a prédit qu'il n'en accepterait point, mais par toutes les nations qui disent : « Venez, montons à la montagne du Seigneur (Isa. II, 3) » : non en un seul endroit, dans la Jérusalem terrestre, comme cela vous était prescrit, mais par toute la terre et jusque dans la Jérusalem véritable : non selon l'ordre d'Aaron, mais selon l'ordre de Melchisédech, car il a été dit au Christ, et, aussi longtemps d'avance, il a été prédit du Christ: «Le Seigneur a juré, et son serment demeurera immuable: Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4.) ». Qu'est-ce à dire : « Le Seigneur a juré », sinon qu'il a affirmé sur son indéfectible vérité? « Et il ne se repentira pas », si ce n'est qu'il ne changera jamais, pour aucun motif, ce sacerdoce? Car Dieu ne se repent pas comme l'homme. On dit que Dieu se repent quand il change une chose établie par lui, et qui paraissait devoir durer. Aussi, lorsqu'il dit: «Il ne se repentira pas: Vous êtes le prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech », il montre suffisamment qu'il s'est repenti, c'est-à-dire, qu'il a voulu changer le sacerdoce établi par lui selon l'ordre d'Aaron. Nous avons sous les yeux  l'accomplissement de la prophétie relative à ces deux sacerdoces : dans aucun temple, en effet, il n'y a plus trace du sacerdoce d'Aaron, et celui du Christ subsiste éternellement dans le ciel.

 

Le Prophète vous appelle donc à cette lumière du Seigneur lorsqu'il dit : « Et main« tenant, vous, maison de Jacob, venez, marchons dans la lumière du Seigneur : Vous, maison de Jacob », qu'il a appelée et choisie, non pas « vous », qu'il a rejetés. « Car il a rejeté son peuple, la maison d'Israël (Isa. II, 5,6) ». Tous ceux d'entre vous qui voudront venir de cette maison d'Israël , appartiendront à celle que le Seigneur a appelée : ils seront séparés de celle qu'il a rejetée. En effet, la lumière du Seigneur, dans laquelle marchent les nations, est celle dont le même Prophète a parlé en disant : « Voilà que je Vous ai établi pour être la lumière des nations, et le salut que j'envoie jusqu'aux extrémités de la terre (Id. XLIX, 6.) ». A qui ces paroles ont-elles été adressées, si ce n'est au Christ? En qui ont-elles reçu leur accomplissement, si ce n'est dans le Christ? Cette lumière ne se trouve point en vous, car il est encore écrit de vous « Dieu leur a donné, jusqu'à ce jour, un esprit d'assoupissement , des yeux qui ne voient point, et des oreilles qui n'entendent pas (Rom. XI, 8)». Non, dis-je, cette lumière n'est point en vous : aussi, par excès d'aveuglement, vous rejetez la pierre qui est devenue la tête de l'angle. «Approchez-vous donc de lui, afin que vous en soyez éclairés (Ps. XXXIII, 6) ». Qu'est-ce à dire : « Approchez-vous », sinon, croyez; car, pour vous approcher de lui, où irez-vous, puisqu'il est cette pierre dont parle le prophète Daniel, et qui, en grossissant est devenue une montagne si grande, qu'elle a rempli toute la terre (Daniel, II, 35)? De là vient que les nations mêmes qui disent : « Venez, montons à la montagne du Seigneur », ne font nulle part aucun effort pour marcher et parvenir au but : elles montent là où elles se trouvent, car en tout lieu on offre un sacrifice selon l'ordre de Melchisédech ; et, selon ce passage d'un autre prophète : « Dieu anéantit tous les dieux des nations, et il est adoré par tout homme en tout pays (Soph. II, 11) ». Lors donc qu'on vous dit «Approchez-vous de lui », on ne vous dit pas : préparez vos vaisseaux ou vos bêtes de somme, chargez-les de vos victimes, venez d'une contrée si lointaine, et arrivez à l'endroit où le Seigneur agréera les sacrifices offerts par votre piété. Mais on vous dit : Approchez-vous de Celui que vos oreilles entendent annoncer; approchez-vous de Celui dont la gloire éclate à vos yeux : vous ne vous fatiguerez point à marcher, car dès que vous croirez, vous serez près de lui.

 

 

AVEC QUELLE CHARITÉ IL FAUT ATTIRER LES JUIFS A LA FOI.

 

       Que les Juifs écoutent volontiers ces divers témoignages, ou qu'ils en ressentent de l'indignation, nous devons, très chers frères, quand nous le pouvons, les leur rappeler en leur montrant que nous les aimons. Ne nous élevons point avec orgueil contre les branches séparées du tronc; souvenons-nous plutôt de la racine sur laquelle nous avons été greffés rappelons-nous par la grâce dé qui, et avec quelle miséricordieuse bonté, et sur quelle racine nous avons été entés . ne nous élevons pas, mais tenons-nous dans l'humilité (Bède ou Florus , sur l'ép. aux Rom. XI). Ne les insultons pas présomptueusement , mais tressaillons d'une joie mêlée de crainte, et disons-leur : « Venez et marchons dans la lumière du Seigneur, parce que son nom est grand parmi les nations (Ps. II, 11) ». S'ils nous entendent et qu'ils nous écoutent, ils auront place parmi ceux à qui il a été dit : « Approchez-vous de lui, et il vous éclairera. Et vos visages ne rougiront point de honte (Rom. XI) ». Si, au contraire, ils nous entendent et ne nous écoutent pas, s'ils nous voient et nous portent envie, ils sont du nombre de ceux dont il a été dit : « Le pécheur verra et il en sera irrité; il grincera des dents et séchera de dépit (Ps. CXI, 10) ». « Pour moi », dit l'Eglise au Christ, «je serai dans la maison du Seigneur comme un olivier qui porte du fruit : j'ai mis mon espérance dans la miséricorde de Dieu pour l'éternité et pour les siècles des siècles (Ps. LI, 10) ».

 

 

Traduction de M. l'abbé AUBERT, in Oeuvres complètes de saint Augustin traduites pour la première fois en français, sous la direction de M. Raulx, Bar-Le-Duc, L. Guérin & Cie, éditeurs, 1869, Tome 14,p. 23-32.

 

15/01/2009

Réflexions sur le châtiment des Juifs

Réflexions sur le châtiment des Juifs,

et sur les prédictions de Jésus-Christ

 

Extrait du Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin

pour expliquer la suite de la religion et les changements des empires (1681)

par Jacques Bénigne Bossuet

 

Rien n’est plus utile à la compréhension des situations actuelles du point de vue religieux et historique, que de se pencher sur les conditions qui les ont créées. A ce titre, il est extrêmement profitable de relire la IIe partie chapitre VIII du « Discours sur l’Histoire universelle » de Bossuet, qui nous présente un tableau très détaillé des châtiments qui s’abattirent sur le peuple élu après la crucifixion de Jésus-Christ. Comme le dit l’évêque de Meaux, après la mise à mort du Messie, « la justice que Dieu fit des Juifs par Nabuchodonosor n’était qu’une ombre de celle dont Tite fut le ministre ». En effet, rien d’extraordinaire dans cette désolation qui fit suite au terrible crime des Juifs.  Bossuet poursuit : «  Jésus-Christ leur avait prédit. Il avait prédit la ruine entière de Jérusalem et du temple. Il n’y restera pas, dit-il, pierre sur pierre. »  Et, effectivement, la destruction totale de Jérusalem par le feu et celle du second Temple réduit à l’état de ruine par Titus, constitua une épouvantable catastrophe pour le peuple Juif. Selon l'historien de l'époque, Flavius Josèphe, des centaines de milliers de juifs périrent durant le siège de Jérusalem, des milliers réduits en esclavage, et la nation entière fut dispersée et définitivement condamnée à  l’exil.

 

 

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La destruction du second Temple

Francesco Hayez (1867)

 

"Voilà l’histoire des Juifs. Ils ont persécuté leur Messie et en sa personne et en celle des siens :

ils ont remué tout l’univers contre ses disciples,

et ne l’ont laissé en repos dans aucune ville :

ils ont armé les Romains et les empereurs contre l’église naissante :

ils ont lapidé Saint Estienne, tué les deux Jacques que leur sainteté rendait vénérables même parmi eux,

immolé Saint Pierre et Saint Paul par le glaive et par les mains des gentils.

Il faut qu’ils périssent.

Tant de sang mêlé à celui des prophètes qu’ils ont massacrés, crie vengeance devant Dieu."

 

(Bossuet, Discours sur l'Histoire universelle)

 

 

 

Je vous prie de considérer avec une attention plus particulière la chute des Juifs, dont toutes les circonstances rendent témoignage à l’évangile. Ces circonstances nous sont expliquées par des auteurs infidèles, par des Juifs, et par des païens, qui sans entendre la suite des conseils de Dieu, nous ont raconté les faits importants par lesquels il lui a plu de la déclarer.

Nous avons Josèphe auteur juif, historien très fidèle, et très instruit des affaires de sa nation, dont aussi il a illustré les antiquités par un ouvrage admirable. Il a écrit la dernière guerre, où elle a péri, après avoir été présent à tout, et y avoir lui-même servi son pays avec un commandement considérable.

Les Juifs nous fournissent encore d’autres auteurs très anciens, dont vous verrez les témoignages. Ils ont d’anciens commentaires sur les livres de l’écriture, et entre autres les paraphrases chaldaïques qu’ils impriment avec leurs bibles. Ils ont leur livre qu’ils nomment talmud, c’est à dire doctrine, qu’ils ne respectent pas moins que l’écriture elle-même. C’est un ramas des traités et des sentences de leurs anciens maîtres ; et encore que les parties dont ce grand ouvrage est composé ne soient pas toutes de la même antiquité, les derniers auteurs qui y sont cités ont vécu dans les premiers siècles de l’église. Là, parmi une infinité de fables impertinentes qu’on voit commencer pour la plupart après les temps de Notre Seigneur, on trouve de beaux restes des anciennes traditions du peuple juif, et des preuves pour le convaincre.

 

Et d’abord il est certain de l’aveu des Juifs que la vengeance divine ne s’est jamais plus terriblement ni plus manifestement déclarée, qu’elle fit dans leur dernière désolation. C’est une tradition constante attestée dans leur talmud, et confirmée par tous leurs rabbins, que quarante ans avant la ruine de Jérusalem, ce qui revient à peu prés au temps de la mort de Jésus-Christ, on ne cessait de voir dans le temple des choses étranges. Tous les jours il y paraissait de nouveaux prodiges, de sorte qu’un fameux rabbin s’écria un jour : Ô temple, ô temple, qu’est-ce qui t’émeut, et pourquoi te fais-tu peur à toi-même ?

 

Qu’y a-t-il de plus marqué que ce bruit affreux qui fut ouï par les prêtres dans le sanctuaire le jour de la pentecôte, et cette voix manifeste qui sortit du fond de ce lieu sacré, sortons d’ici, sortons d’ici. Les saints anges protecteurs du temple déclarèrent hautement qu’ils l’abandonnaient, parce que Dieu qui y avait établi sa demeure durant tant de siècles, l’avait réprouvé.

 

Josèphe et Tacite même ont raconté ce prodige. Il ne fut aperçu que des prêtres. Mais voici un autre prodige qui a éclaté aux yeux de tout le peuple ; et jamais aucun autre peuple n’avait rien vu de semblable. Quatre ans devant la guerre déclarée, un paysan, dit Josèphe, se mit à crier, une voix est sortie du côté de l’Orient, une voix est sortie du côté de l’Occident, une voix est sortie du côté des quatre vents : voix contre Jérusalem et contre le temple ; voix contre les nouveaux mariés et les nouvelles mariées ; voix contre tout le peuple. Depuis ce temps, ni jour ni nuit il ne cessa de crier, malheur, malheur à Jérusalem. Il redoublait ses cris les jours de fête. Aucune autre parole ne sortit jamais de sa bouche : ceux qui le plaignaient, ceux qui le maudissaient, ceux qui lui donnaient ses nécessités, n’entendirent jamais de lui que cette terrible parole, malheur à Jérusalem. Il fut pris, interrogé, et condamné au fouet par les magistrats : à chaque demande, et à chaque coup, il répondait, sans jamais se plaindre, malheur à Jérusalem. Renvoyé comme un insensé, il courait tout le pays, en répétant sans cesse sa triste prédiction. Il continua durant sept ans à crier de cette sorte, sans se relâcher, et sans que sa voix s’affaiblît. Au temps du dernier siège de Jérusalem, il se renferma dans la ville, tournant infatigablement autour des murailles, et criant de toute sa force : malheur au temple, malheur à la ville, malheur à tout le peuple. A la fin il ajouta, malheur à moi-même ; et en même temps il fut emporté d’un coup de pierre lancé par une machine.

 

Ne dirait-on pas, monseigneur, que la vengeance divine s’était comme rendue visible en cet homme qui ne subsistait que pour prononcer ses arrêts ; qu’elle l’avait rempli de sa force, afin qu’il pût égaler les malheurs du peuple par ses cris ; et qu’enfin il devait périr par un effet de cette vengeance qu’il avait si longtemps annoncée, afin de la rendre plus sensible, et plus présente, quand il en serait non seulement le prophète et le témoin, mais encore la victime ?

 

Ce prophète des malheurs de Jérusalem s’appelait Jésus. Il semblait que le nom de Jésus, nom de salut et de paix, devait tourner aux Juifs qui le méprisaient en la personne de notre Sauveur, à un funeste présage ; et que ces ingrats ayant rejeté un Jésus qui leur annonçait la grâce, la miséricorde et la vie, Dieu leur envoyait un autre Jésus qui n’avait à leur annoncer que des maux irrémédiables, et l’inévitable décret de leur ruine prochaine.

 

 

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"C'était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s'éclipsant,

 l'obscurité se fit sur la terre entière, jusqu'à la neuvième heure.

Le voile du Sanctuaire se déchira par le milieu…"

(Luc 23:4-45)

 

 

Pénétrons plus avant dans les jugements de Dieu sous la conduite de ses écritures. Jérusalem et son Temple ont été deux fois détruits ; l’une par Nabuchodonosor, l’autre par Tite. Mais en chacun de ces deux temps, la justice de Dieu s’est déclarée par les mêmes voies, quoique plus à découvert dans le dernier. Pour mieux entendre cet ordre des conseils de Dieu, posons avant toutes choses cette vérité si souvent établie dans les saintes lettres ; que l’un des plus terribles effets de la vengeance divine, est lors qu’en punition de nos péchés précédents, elle nous livre à notre sens réprouvé, en sorte que nous sommes sourds à tous les sages avertissements, aveugles aux voies de salut qui nous sont montrées, prompts à croire tout ce qui nous perd pourvu qu’il nous flatte, et hardis à tout entreprendre, sans jamais mesurer nos forces avec celles des ennemis que nous irritons. Ainsi périrent la première fois sous la main de Nabuchodonosor roi de Babylone, Jérusalem et ses princes. Faibles et toujours battus par ce roi victorieux, ils avaient souvent éprouvé qu’ils ne faisaient contre lui que de vains efforts, et avaient été obligés à lui jurer fidélité. Le prophète Jérémie leur déclarait de la part de Dieu, que Dieu même les avait livrés à ce prince, et qu’il n’y avait de salut pour eux qu’à subir le joug. Il disait à Sédécias roi de Judée et à tout son peuple, etc. Ils ne crurent point à sa parole. Pendant que Nabuchodonosor les tenait étroitement enfermés par les prodigieux travaux dont il avait entouré leur ville, ils se laissaient enchanter par leurs faux prophètes qui leur remplissaient l’esprit de victoires imaginaires, et leur disaient au nom de Dieu, quoique Dieu ne les eût point envoyés, etc.

 

Le peuple séduit par ces promesses, souffrait la faim et la soif et les plus dures extrémités, et fit tant par son audace insensée, qu’il n’y eût plus pour lui de miséricorde. La ville fut renversée, le temple fut brûlé, tout fut perdu.

 

 

 

 

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Le Siège et la destruction de Jérusalem

David Roberts (1850)

 

 

À ces marques les Juifs connurent que la main de Dieu était sur eux. Mais afin que la vengeance divine leur fut aussi manifeste dans la dernière ruine de Jérusalem qu’elle l’avait été dans la première, on a vu dans l’une et dans l’autre la même séduction, la même témérité, et le même endurcissement.

Quoique leur rébellion eût attiré sur eux les armes romaines, et qu’ils secouassent témérairement un joug sous lequel tout l’univers avait ployé, Tite ne voulait pas les perdre : au contraire, il leur fit souvent offrir le pardon, non seulement au commencement de la guerre, mais encore lors qu’ils ne pouvaient plus échapper de ses mains. Il avait déjà élevé autour de Jérusalem une longue et vaste muraille munie de tours et de redoutes aussi fortes que la ville même, quand il leur envoya Josèphe leur concitoyen, un de leurs capitaines, un de leurs prêtres qui avait été pris dans cette guerre en défendant son pays. Que ne leur dit-il pas pour les émouvoir ? Par combien de fortes raisons les invita-t-il à rentrer dans l’obéissance ? Il leur fit voir le ciel et la terre conjurés contre eux, leur perte inévitable dans la résistance, et tout ensemble leur salut dans la clémence de Tite. Sauvez, leur disait-il, la cité sainte ; etc. mais le moyen de sauver des gens si obstinés à se perdre ? Séduits par leurs faux prophètes, ils n’écoutaient pas ces sages discours. Ils étaient réduits à l’extrémité : la faim en tuait plus que la guerre, et les mères mangeaient leurs enfants.

Tite touché de leurs maux prenait ses dieux à témoin, qu’il n’était pas cause de leur perte. Durant ces malheurs, ils ajoutaient foi aux fausses prédictions qui leur promettaient l’empire de l’univers. Bien plus, la ville était prise ; le feu y était déjà de tous côté : et ces insensés croyaient encore les faux prophètes qui les assuraient que le jour de salut était venu, afin qu’ils résistassent toujours, et qu’il n’y eût plus pour eux de miséricorde. En effet, tout fut massacré, la ville fut renversée de fonds en comble, et à la réserve de quelques restes de tours que Tite laissa pour servir de monument à la postérité, il n’y demeura pas pierre sur pierre. Vous voyez donc, monseigneur, éclater sur Jérusalem la même vengeance qui avait autrefois paru sous Sédécias. Tite n’est pas moins envoyé de Dieu que Nabuchodonosor : les Juifs périssent de la même sorte. On voit dans Jérusalem la même rébellion, la même famine, les mêmes extrémités, les mêmes voies de salut ouvertes, la même séduction, le même endurcissement, la même chute ; et afin que tout soit semblable, le second temple est brûlé sous Tite le même mois et le même jour que l’avait été le premier sous Nabuchodonosor : il fallait que tout fut marqué, et que le peuple ne pût douter de la vengeance divine. Il y a pourtant entre ces deux chutes de Jérusalem et des Juifs de mémorables différences, mais qui toutes vont à faire voir dans la dernière une justice plus rigoureuse et plus déclarée. Nabuchodonosor fit mettre le feu dans le temple : Tite n’oublia rien pour le sauver, quoique ses conseillers lui représentassent que tant qu’il subsisterait, les Juifs qui y attachaient leur destinée, ne cesseraient jamais d’être rebelles. Mais le jour fatal était venu : c’était le dixième d’août qui avait déjà vu brûler le temple de Salomon. Malgré les défenses de Tite prononcées devant les Romains et devant les Juifs, et malgré l’inclination naturelle des soldats qui devait les porter plutôt à piller qu’à consumer tant de richesses, un soldat, poussé, dit Josèphe, par une inspiration divine, se fait lever par ses compagnons à une fenêtre, et met le feu dans ce temple auguste. Tite accourt, Tite commande qu’on se haste d’éteindre la flamme naissante. Elle prend par tout en un instant, et cet admirable édifice est réduit en cendres.

 

Que si l’endurcissement des Juifs sous Sédécias était l’effet le plus terrible et la marque la plus assurée de la vengeance divine, que dirons-nous de l’aveuglement qui a paru du temps de Tite ?

 

Dans la première ruine de Jérusalem les Juifs s’entendaient du moins entre eux : dans la dernière, Jérusalem assiégée par les Romains était déchirée par trois factions ennemies. Si la haine qu’elles avaient toutes pour les Romains allait jusqu’à la fureur ; elles n’étaient pas moins acharnées les unes contre les autres : les combats du dehors coûtaient moins de sang aux Juifs que ceux du dedans. Un moment après les assauts soutenus contre l’étranger, les citoyens recommençaient leur guerre intestine ; la violence et le brigandage régnait par tout dans la ville. Elle périssait, elle n’était plus qu’un grand champ couvert de corps morts, et les chefs des factions y combattaient pour l’empire. N’était-ce pas une image de l’enfer où les damnés ne se haïssent pas moins les uns les autres qu’ils haïssent les démons qui sont leurs ennemis communs, et où tout est plein d’orgueil, de confusion et de rage ?

 

Confessons donc, monseigneur, que la justice que Dieu fit des Juifs par Nabuchodonosor n’était qu’une ombre de celle dont Tite fut le ministre. Quelle ville a jamais vu périr onze cent mille hommes en sept mois de temps et dans un seul siège ? C’est ce que virent les Juifs au dernier siège de Jérusalem. Les chaldéens ne leur avaient rien fait souffrir de semblable. Sous les chaldéens leur captivité ne dura que soixante et dix ans : il y a seize cent ans qu’ils sont esclaves par tout l’univers, et ils ne trouvent encore aucun adoucissement à leur esclavage. Il ne faut plus s’étonner si Tite victorieux, après la prise de Jérusalem, ne voulait pas recevoir les congratulations des peuples voisins, ni les couronnes qu’ils lui envoyaient pour honorer sa victoire. Tant de mémorables circonstances, la colère de Dieu si marquée, et sa main qu’il voyait encore si présente, le tenaient dans un profond étonnement ; et c’est ce qui lui fit dire ce que vous avez ouï, qu’il n’était pas le vainqueur, qu’il n’était qu’un faible instrument de la vengeance divine.

 

Il n’en savait pas tout le secret : l’heure n’était pas encore venue où les empereurs devaient reconnaître Jésus-Christ. C’était le temps des humiliations et des persécutions de l’église. C’est pourquoi Tite assez éclairé pour connaître que la Judée périssait par un effet manifeste de la justice de Dieu, ne connut pas quel crime Dieu avait voulu punir si terriblement. C’était le plus grand de tous les crimes ; crime jusque alors inouï, c’est à dire le déicide, qui aussi a donné lieu à une vengeance dont le monde n’avait vu encore aucun exemple.

 

Mais si nous ouvrons un peu les yeux, et si nous considérons la suite des choses, ni ce crime des Juifs, ni son châtiment ne pourront nous être cachés.

 

Souvenons-nous seulement de ce que Jésus-Christ leur avait prédit. Il avait prédit la ruine entière de Jérusalem et du temple. Il n’y restera pas, dit-il, pierre sur pierre. Il avait prédit la manière dont cette ville ingrate serait assiégée, et cette effroyable circonvallation qui la devait environner : il avait prédit cette faim horrible qui devait tourmenter ses citoyens, et n’avait pas oublié les faux prophètes, par lesquels ils devaient être séduits. Il avait averti les Juifs que le temps de leur malheur était proche : il avait donné les signes certains qui devaient en marquer l’heure précise : il leur avait expliqué la longue suite des crimes qui devait leur attirer un tel châtiment : en un mot, il avait fait toute l’histoire du siège et de la désolation de Jérusalem.

Et remarquez, monseigneur, qu’il leur fit ces prédictions vers le temps de sa passion, afin qu’ils connussent mieux la cause de tous leurs maux. Sa passion approchait quand il leur dit : la sagesse divine vous a envoyé des prophètes, etc.

 

Voilà l’histoire des Juifs. Ils ont persécuté leur Messie et en sa personne et en celle des siens : ils ont remué tout l’univers contre ses disciples, et ne l’ont laissé en repos dans aucune ville : ils ont armé les Romains et les empereurs contre l’église naissante : ils ont lapidé Saint Estienne, tué les deux Jacques que leur sainteté rendait vénérables même parmi eux, immolé Saint Pierre et Saint Paul par le glaive et par les mains des gentils. Il faut qu’ils périssent. Tant de sang mêlé à celui des prophètes qu’ils ont massacrés, crie vengeance devant Dieu : leurs maisons, et leur ville va être déserte : leur désolation ne sera pas moindre que leur crime : Jésus-Christ les en avertit : le temps est proche : etc., c’est à dire que les hommes qui vivaient alors en devaient être les témoins. Mais écoutons la suite des prédictions de notre Sauveur. Comme il faisait son entrée dans Jérusalem quelques jours avant sa mort, touché des maux que cette mort devait attirer à cette malheureuse ville, il la regarde en pleurant : ha, dit-il, ville infortunée, etc.

 

C’était marquer assez clairement et la manière du siège et les derniers effets de la vengeance. Mais il ne fallait pas que Jésus allât au supplice sans dénoncer à Jérusalem combien elle serait un jour punie de l’indigne traitement qu’elle lui faisait. Comme il allait au calvaire portant sa croix sur ses épaules, il était suivi d’une grande multitude de peuple etc. Si l’innocent, si le juste souffre un si rigoureux supplice, que doivent attendre les coupables ?

 

Jérémie a-t-il jamais plus amèrement déploré la perte des Juifs ? Quelles paroles plus fortes pouvait employer le Sauveur pour leur faire entendre leurs malheurs et leur désespoir, et cette horrible famine funeste aux enfants, funeste aux mères qui voyaient sécher leurs mamelles, qui n’avaient plus que des larmes à donner à leurs enfants, et qui mangèrent le fruit de leurs entrailles ?

 

 

[ Bossuet, Extrait du Discours sur l'histoire universelle à Monseigneur le Dauphin (1681), IIe partie, ch. VIII.]