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24/12/2008

Le Mystère de l’Enfance de Jésus de Bérulle

Pierre de Bérulle et le Mystère de l’Enfance de Jésus

 

 

 

 

 

 

 

 

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 Pierre de Bérulle  (1575-1629)

 

 

 

Pierre de Bérulle, fondateur de la congrégation de l'Oratoire en 1611,  est l’une des plus grandes figures de la spiritualité française du XVIIe siècle. Il établira, par exemple, en France l'ordre des Carmélites en 1604, dont on sait, évidemment, le rayonnement prodigieux. Cependant l'Oratoire a de son côté profondément marqué plusieurs personnalités importantes, en premier lieu Saint-Cyran (1581-1643) dont on ignore souvent que les idées sur le Salut sont quasi identiques à celle de Bérulle et qui assura, non officiellement, sa succession à l'Oratoire, mais aussi Condren (1588-1641), saint Vincent de Paul (1581-1660), Jean-Jacques Olier (1608-1657) ou encore saint Jean Eudes (1601-1681). Toutefois, il faut surtout noter l’intense dévotion de Bérulle pour la Sainte Enfance de Jésus qui deviendra l’un des thèmes principaux de sa pensée théologique : « Bérulle constate que  l'état d'enfance est l'état le plus vil et le plus abject de la nature humaine après celui de la mort » (In. Bérulle, Oeuvres complètes, Paris, Éd. Migne, 1856). Pour Bérulle, le Christ n'a pas échappé à cette condition d’enfance : « la vie de gloire se cache et s'abaisse dans l'enfance, dans l'impuissance, dans la souffrance [...] et enfin dans l'opprobre de la Croix où il est destiné » (P. Cochois, Bérule et l'École française, Paris, Seuil, 1960, p. 17).

  

 

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Oblation au Sainct enfant Jesus, par Monseig. le Cardin. de Berulle, gravure, 1671.
Texte :

Oblation au Saint Enfant Jésus
par Monseigneur le Cardinal de Bérulle.

« Je vous Regarde, Je vous révère, Je vous adore En votre Sainte Enfance, O Jésus, mon Sauveur ; Je m'applique a vous en cet Etat, comme en un état auquel Je m'offre, Je me voue, Je me dédie, pour vous rendre un hommage particulier, pour en tirer grâce, direction, protection, Influence, et opération Singulière ; et m'être comme un Etat fondamental a l'Etat de mon Âme ; tirant vie, dépendance, Subsistance et fonction de la conduite de cette Enfance divine, comme de l'Etat de mon Etat, et vie de ma vie. »

 

 

L’homme est composé de pièces toutes différentes. Il est miracle d’une part, et de l’autre un néant. Il est céleste d’une part et terrestre de l’autre. Il est spirituel d’une part et corporel de l’autre. C’est un ange, c’est un animal, c’est un centre, c’est un monde, c’est un Dieu, c’est un néant environné de Dieu, indigent de Dieu, capable de Dieu et rempli de Dieu s’il veut. L’être, le péché et la grâce, c’est-à-dire tout ce qui est en nous (car tout le reste n’est rien, quoique nous le considérions pour un temps), concourent à nous réduire en état de servitude, même au regard de Dieu, l’être nous rendant dépendant de sa puissance, le péché de sa justice, et la grâce de sa miséricorde. Comme l’âme en la terre et en ce corps ne se sent pas elle-même, elle ne sent pas le mouvement qui est en sa propre essence, elle est ensevelie dans le corps et dans les sens, elle n’aperçoit que le mouvement des sens vers les choses corporelles qui devraient servir à nous faire connaître quel serait le mouvement de l’esprit vers les choses spirituelles, s’il était dégagé des sens, et quel serait le mouvement de l’esprit vers l’esprit des esprits qui est Dieu, si la terre n’empêchait cette source d’eau vive. Et le combat qui sera dans l’enfer entre le mouvement imprimé naturellement par le Créateur dans la créature, et le mouvement volontaire de la créature s’éloignant du Créateur, sera un des tourments principaux et perpétuels des damnés.

Bérulle introduit un christocentrisme qu’on peut dire mystique; passif même, à condition de ne pas l’imaginer inerte. D’après cette doctrine, pour arriver à la perfection, il faut adhérer aux états du Verbe incarné. Les mystères du Christ s’imprimeront d’eux-mêmes en notre âme, car le Christ n’est pas seulement un modèle, il façonne lui-même en nous son image. Nous devenons pour lui une humanité de surcroît où sa vie s’épanche à nouveau. Comme Dieu a voulu employer sa puissance à tirer l’âme du néant par création, il veut aussi employer sa puissance suprême à la réduire à un autre néant, afin qu’elle ne soit plus qu’une capacité de Dieu qui veut être désormais tout en elle par grâce, en quelque manière approchante de celle par laquelle il sera tout à tous en sa gloire. La pauvreté intérieure est à l’âme un autre bien qui lui est fort difficile à recevoir. C’est que la créature a une imperfection quais comme essentielle, en qualité de chose créée, se joignant et attachant facilement à ce qui est créé, comme étant une chose de même nature et extraction (car tout ce qui est créé a quelque ressemblance en tant qu’il est créé et qu’il est tiré du même néant), et par cette inclination, comme essentielle, l’âme s’attache défectueusement, même aux grâces de Dieu, et prend un moyen de désunion ou de moindre union avec Dieu, par les grâces et dons de Dieu même. Et Dieu, par cette voie inconnue et par cette pauvreté inconnue, guérit l’âme de cette imperfection qui lui est comme essentielle, et lui ôte cet attachement, ne lui laissant rien à quoi elle se puisse attacher, et la dispose à être unie à Dieu même plus intimement et parfaitement.

 

 « Notre premier pas à la vie est le premier pas à la mort (…) Cela est dû à la misère et condition de cette vie, qui prend son origine dans le péché; car nous naissons en péché et nous sommes conçus en péché; nous sommes enfants d’ire avant qu’on nous puisse nommer enfants de l’homme; nous portons les ténèbres du péché avant que de voir la lumière de la vie; nous sommes engagés par le titre de notre naissance à une double mort, à cette mort présente et à une mort éternelle. »

 

 

Le Verbe Incarné, comme les prophètes de la Loi ancienne, vient nous communiquer les secrets divins. Il le fait dans ses discours. Mais à vrai dire, il est lui-même parole du Père, Dieu vivant parmi les hommes, accessible aux regards et aux curiosités de l’homme, il traduit en mots et en gestes humains ce que Dieu conçoit d’une manière qui, en elle-même, nous échappe. Quand Jésus marche, quand Jésus parle, c’est Dieu qui parle et qui marche. Et ainsi « Dieu incompréhensible se fait comprendre en cette humanité; Dieu ineffable se fait ouïr en la voix de son Verbe Incarné; et Dieu invisible se fait voir en la chair qu’il a unie avec la nature de l’éternité; et Dieu épouvantable en l’éclat de sa grandeur se fait sentir en sa douceur, en sa bénignité et en son humanité. » On pense au mot de Jésus : « Philippe, qui me voit voit aussi le Père. »

 

En Jésus se manifeste « la puissance vraie et sainte d’un amour ineffable et incompréhensible, qui enchaîne Dieu et les hommes, qui fait un réel et véritable abaissement du Fils de Dieu, lequel est Dieu lui-même, et le fait homme pour nous faire dieux, et par lui comme par une chaîne forte et puissante, le Père éternel nous enlève et attire jusqu’au ciel, et jusqu’au ciel de sa divinité; chaîne d’amour, car il en parle ainsi lui-même; chaîne qui nous attire et nous tient unis au Père par le Fils, et au Fils par soi-même et par ses sacrés mystères; chaîne précieuse, excédant toute estime et valeur; chaîne sacrée, saintement et religieusement constituée des principaux mystères de la religion chrétienne; chaîne divine et inviolable d’unité et de charité; de charité du Père et du Fils envers les hommes, et de l’unité du Fils avec la nature humaine ne l’Incarnation, et de l’unité du corps de Jésus-Christ avec nous en l’Eucharistie. » (Grandeurs 248)

 

Comme le Fils éternel de Dieu en sa nature humaine n’a point de personne humaine, c’est-à-dire n’a point de moi humain, substantiellement et personnellement, aussi le fils adoptif de Dieu, conduit par sa grâce, n’en doit point avoir moralement et spirituellement. J’honore donc ce dénuement que l’humanité de Jésus a de sa propre subsistance… Je renonce à toute la puissance, autorité et liberté que j’ai de disposer de moi… je m’en démets entièrement entre les mains de Jésus… pour l’accomplissement de tous ses vouloirs et de tous ses pouvoirs sur moi. Je passe outre, et je veux qu’il n’y ait plus de moi en moi; et je veux pouvoir dire, selon saint Paul : « …je vis moi et non pas moi, mais Jésus-Christ vit en moi » (Galates II, 20)

 

[Cf.  Cardinal de Bérulle, Opuscules de Piété, Introduction de G. Rotureau, prêtre de l’Oratoire,  Aubier, 1944).

 

 

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Philippe de Champaigne, la Nativité. 

 

 

 

- LXVII. –

 

Combat admirable en Jésus-Christ,

entre sa naissance éternelle et sa mission temporelle.

 

 

 

La vie de l’homme est un combat continuel, et cela se retrouve en Jésus-Christ, mais divinement. Il y a deux appétits en l’humanité de Jésus, l’un procédant de l’humanité même, et l’autre de la divinité : l’un qui le porte à nous, l’autre qui le retire en son Père. Et cela est fondé sur la différence de sa naissance et de sa mission, de laquelle ayant accompli les devoirs, il s’en retournera à son Père et sera traité comme son Fils.

 

Comme le propre de la vie est d’être en mouvement, et mouvement par un principe interne, moveri a se ipso; le propre de la vie de l’homme est d’être en mouvements et exercices contraires; car il a en son être des principes contraires, qui lui donnent ses mouvements différents, tellement que, comme son être et sa nature est composé de principes contraires, aussi sa vie est composée de mouvements différents et d’exercices contraires; ce qui a fait dire à Job : Militia est vita hominis super terram. (Job VII, 1). Et quand l’Écriture ne nous le dirait pas, l’expérience nous le fait assez connaître, et ne nous permet pas, ni d’en douter, ni de l’ignorer : et ce point n’a besoin d’aucune sorte de preuve, ni d’étendue de paroles pour être déclaré. Serait-il bien possible que le nouvel homme fût sujet à cet exercice, et eût divers mouvements en son état, et que nous puissions dire de sa vie comme de la nôtre : Militai est vita ejus super terram? Vu principalement que Dieu avait remédié à ce combat dans le paradis terrestre, mettant la paix et le repos en Adam par le moyen de la justice originelle; et le second Adam mérite bien plus de privilèges que le premier, et a une grâce bien plus haute et plus relevée que la sienne. Et toutefois il est vrai et très vrai de dire que sa vie est un combat et exercice continuel sur la terre : mais ce combat est tout saint et tout divin, et est fondé en sa divinité même, et est d’autant plus grand qu’il est puissant et divin de toutes parts. Et nous qui sommes misérables et pervers, nous sommes la cause de ces combats; et comme nous faisons partie de ses victoires, nous faisons aussi partie de ses combats.

 

Comme Jésus-Christ Notre-Seigneur est composé de l’Être divin et de la nature humaine, il a aussi deux inclinations et appétits différents, et tous deux imprimés dans la nature humaine. L’un imprimé par la divinité, qui donne être, vie, forme et état à cette nature, qui ressent sa grandeur et sa dignité par son origine céleste, et par sa constitution divine, et par sa subsistance incréée; l’autre imprimé et exprimé par la condition créée, terrestre et humaine de sa nature nouvelle; tout ainsi que l’homme étant composé de deux substances diverses, l’une spirituelle et l’autre corporelle, a deux sentiments différents, l’un provenant de l’esprit, et l’autre provenant du corps.

 

Au Fils de Dieu il y a sa naissance de son Père, et sa mission de son Père; sa naissance le tire et le tient dans son Père, car il est né de lui en lui, et sa mission le pousse dehors, et lui fait prendre naissance et vie hors de son Père, en la Vierge et au monde. Et toutefois sa mission est dérivée de sa naissance, et sa mission est purement divine, comme sa naissance est purement divine; et sa mission est de son Père seul, comme sa naissance est de son Père seul. Et ce combat sera entre sa naissance et sa mission pendant toute sa vie voyagèrent en la terre, et jusqu’au temps heureux et glorieux auquel il tirera son humanité dans sa gloire et dans le sein de son Père.

 

 

 

 

Cardinal de Bérulle, Opuscules de Piété