30/04/2009
Anges et Démons dans le plan divin
‘‘Anges et Démons dans le plan divin’’
ou la
Création, chute et persévérance des Saints Anges
« Dieu qui est un pur esprit,
a voulu créer de purs esprits comme lui :
qui comme lui vivent d'intelligence et d'amour. »
Alors que beaucoup de discours confus sont répandus aujourd’hui, il convient de lire Bossuet qui s’est penché avec un soin spécial sur la place des anges à l’intérieur du plan divin. Examinant le cours des siècles, il remarque, non sans une certaine tristesse, que rien n'est immuable, dans ce monde comme dans l’autre, invisible, qui fut l’objet d’une révolte terrifiante. En effet, même les esprits les plus purs et les plus beaux que Dieu avait créés pour le servir, n'ont pas tous été fidèles et il s’est trouvé que l'impureté et de la dépravation surgissent parmi les anges. Ainsi, Dieu n'a point épargné les anges pécheurs, il les a précipités dans les ténèbres infernales (2 Pierre, 11,4).
Quel est le motif de la chute lamentable de Lucifer, le porteur de Lumière ? Bossuet, en accord avec l'enseignement de l'Ecriture, fait ressortir que c'est l'orgueil qui l'a perdu; il faut que ce soit aussi une leçon et une mise en garde pour nous; et le prélat de s'écrier en s'adressant à Lucifer lui-même: « Esprit superbe et malheureux, vous vous êtes arrêté en vous-même, admirateur de votre propre beauté, elle vous a été un piège. Vous avez dit: «Je suis beau, je suis parfait et tout éclatant de lumière; et au lieu de remonter à la source d'où vous venait cet éclat, vous avez voulu comme vous mirer en vous-même, mû par votre orgueil indompté. Pour qualifier les démons ou anges rebelles, Bossuet dira : «Vous êtes des esprits privés d'amour; vous vous êtes retirés de Dieu et II s'est retiré de vous.»
«Vous êtes des esprits privés d'amour;
vous vous êtes retirés de Dieu et II s'est retiré de vous.»
Toutefois, le plus grand nombre des anges est resté pieusement obéissant, faisant que les anges qui adorent Dieu et sa majesté sainte, par leur pureté, sont plus efficients pour porter à Jésus-Christ notre prière. De la sorte, notre accès à Dieu est facilité par eux, et il convient de leur montrer notre attachement. Bossuet est donc un ardent défenseur du ministère permanent des anges dans l'économie du salut ; insistant sur leur mission de messagers du Père et leur rôle de protecteurs des hommes.
Jacques Bégnigne Bossuet (1627-1704)
ÉLÉVATIONS
A DIEU
SUR TOUS LES MYSTÈRES
DE LA RELIGION CHRÉTIENNE
IVe SEMAINE.
ÉLÉVATIONS SUR LA CRÉATION DES ANGES
ET CELLE DE L'HOMME.
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Ire ELEVATION
La création des anges
Dieu qui est un pur esprit, a voulu créer de purs esprits comme lui : qui comme lui vivent d'intelligence et d'amour : qui le connaissent et l'aiment, comme il se connaît et s'aime lui-même : qui comme lui soient bienheureux en connaissant et aimant ce premier Etre, comme il est heureux en se connaissant et aimant lui-même : et qui par là portent empreint dans leur fond un caractère divin par lequel ils sont faits à son image et ressemblance.
Des créatures si parfaites sont tirées du néant comme les autres : et dès là toutes parfaites qu'elles sont, elles sont peccables par leur nature. Celui-là seul par sa nature est impeccable, qui est de lui-même et parfait par son essence. Mais comme il est le seul parlait, tout est défectueux, excepté lui, « et il a trouvé de la dépravation même dans ses anges (Job., IV, 18.). »
Ce n'est pourtant pas lui qui les a faits dépravés : à Dieu ne plaise ! Il ne sort rien que de très-bon d'une main si bonne et si puissante : tous les esprits sont purs dans leur origine, toutes les natures intelligentes étaient saintes dans leur création, et Dieu y avait tout ensemble formé la nature et répandu la grâce.
Il a tiré de ses trésors des esprits d'une infinité de sortes. De ces trésors infinis sont sortis les anges : de ces mêmes trésors infinis sont sorties les âmes raisonnables, avec cette différence, que les anges ne sont pas unis à un corps : c'est pourquoi ils sont appelés des esprits purs : au lieu que les aines raisonnables sont créées pour animer un corps; et quoiqu'en elles-mêmes elles soient des esprits purs et incorporels, elles composent un tout qui est mêlé du corporel et du spirituel, et ce tout est l'homme.
O Dieu, soyez loué à jamais dans la merveilleuse diversité de vos ouvrages. Vous qui êtes esprit, vous avez créé des esprits; et en faisant ce qu'il y a de plus parfait, vous n'avez pas dénié l'être à ce qu'il y a de plus imparfait. Vous avez donc fait également et les esprits et les corps : et comme vois avez fait des esprits séparés des corps, et des corps qui n'ont aucun esprit, vous avez aussi voulu faire des esprits qui eussent des corps; et c'est ce qui a donné lieu à la création de la race humaine.
Qui doute que vous ne puissiez et séparer et unir tout ce qui vous plait? Qui doute que vous ne puissiez faire des esprits sans corps? A-t-on besoin d'un corps pour entendre, et pour aimer, et pour être heureux ? Vous qui êtes un esprit si pur, n'êtes-vous pas immatériel et incorporel? L'intelligence et l'amour, ne sont-ce pas des opérations spirituelles et immatérielles, qu'on peut exercer sans être uni à un corps? Qui doute donc que vous ne puissiez créer des intelligences de cette sorte? Et vous nous avez révélé que vous en avez créé de telles.
Vous nous avez révélé que ces pures créatures « sont innombrables (Hebr., XII, 22). » Un de vos prophètes, éclairé de votre lumière et comme transporté en esprit parmi vos anges, en a vu « un millier de milliers qui exécutaient vos ordres; et dix mille fois cent mille qui demeuraient en votre présence (Dan., VII, 10), «sans y faire autre chose que vous adorer et admirer vos grandeurs. Il ne faut pas croire qu'en parlant ainsi il ait entrepris de les compter : cette prodigieuse multiplication qu'il en fait par les plus grands nombres, nous signifie seulement qu'ils sont innombrables et que l'esprit humain se perd dans cette immense multitude. Comptez, si vous pouvez, ou le sable de la mer, ou les étoiles du ciel, tant celles qu'on voit que celles qu'on ne voit pas : et croyez que vous n'avez pas atteint le nombre des anges, il ne coûte rien à Dieu de multiplier les choses les plus excellentes : et ce qu'il a de plus beau; c'est pour ainsi dire ce qu'il prodigue le plus.
« O mon Dieu, je vous adorerai devant vos saints anges : je chanterai vos merveilles en leur présence (Psal., CXXXVII);» et je m'unirai eu foi et en vérité à cette immense multitude des habitants de votre saint temple, de vos adorateurs perpétuels dans le sanctuaire de votre gloire.
O Dieu, qui avez daigné nous révéler que vous les avez faits en si grand nombre, vous avez bien voulu nous apprendre encore que vous les avez distribués en neuf chœurs; et votre Ecriture qui ne ment jamais et ne dit rien d'inutile, a nommé « des anges, des archanges, des vertus, des dominations, des principautés, des puissances, des trônes, des chérubins, des séraphins (Ibid., XC, 11). » Qui entreprendra d'expliquer ces noms augustes, ou de dire les propriétés et les excellences de ces belles créatures? Trop content d'oser les nommer avec votre Ecriture toujours véritable, je n'ose me jeter dans cette haute contemplation de leurs perfections; et tout ce que j'aperçois, c'est que parmi ces bienheureux esprits, les séraphins, qui sont les plus sublimes et qui; vous mettez à la tête de tous les célestes escadrons le plus près de vous, n'osent pourtant lever les yeux jusqu'à votre face. Votre prophète qui leur a donné six ailes, pour signifier la hauteur de leurs pensées, leur en donne « deux pour les mettre devant votre face : deux pour les mettre devant vos pieds (CIII,). » Tout est également grand en votre nature et ce qu'on appelle la face et ce qu'on appelle les pieds ; il n'y a rien en vous qui ne soit incompréhensible. Les esprits les plus épurés ne peuvent soutenir la splendeur de votre visage : s'il y a quelqu'endroit en vous par où vous sembliez vous rapprocher d'eux davantage, et qu'on puisse par cette raison appeler vos pieds, ils le couvrent encore de leurs ailes et n'osent le regarder. De six ailes, ils en emploient quatre à se cacher à eux-mêmes votre impénétrable et inaccessible lumière, et adorer l'incompréhensibilité de votre être : et il ne leur reste que «deux ailes pour voltiger (Matth., XVIII, 10, Eph., I, 21 ; Coloss., I, 16), si on l'ose dire, autour de vous, sans pouvoir jamais entrer dans vos profondeurs, ni sonder cet abîme immense de perfection, devant lequel ils battent à peine des ailes tremblantes et ne peuvent presque se soutenir devant vous.
O Dieu, je vous adore avec eux; et n'osant mêler mes lèvres impures avec ces bouches immortelles qui font retentir vos louanges dans tout le ciel, j'attends qu'un de ces célestes esprits me vienne toucher du feu des charbons qui brûlent devant votre autel. Quelle grandeur me montrez-vous dans ces esprits purifiants, et vous me montrez cependant que ces esprits qui me purifient, sont si petits devant vous !
IIe ELEVATION.
La chute des anges
Tout peut changer, excepté Dieu : « Rien n'est immuable (par soi-même) parmi ses saints, et les cieux ne sont pas purs en sa présence (Job., XV, 15) : ceux qu'il avait créés pour le servir n'ont pas été stables, et il a trouvé de l'impureté et de la dépravation dans ses anges (Ibid., IV, 18). » C'est ce que dit un ami de Job, et il n'en est pas repris par cet homme irrépréhensible. C'était la doctrine commune de tout le monde, conformément à cette pensée : « Dieu, dit saint Pierre (II Petr., II, 4), n'a point épargné les anges pécheurs; mais il les a précipités dans les ténèbres infernales, où ils sont tenus comme par des chaînes de fer et de gros cordages, pour y être tourmentés et réservés aux rigueurs du jugement dernier. » Et Jésus-Christ a dit lui-même, parlant de Satan : « Il n'est pas demeuré dans la vérité (Joan., VIII, 44). »
Vous vous êtes retirés de Dieu, et il s'est retiré :
c'est là votre grand supplice et sa grande et admirable justice.
« Comment êtes-vous tombé du ciel, ô bel astre du matin (Isa., XIV, 12.)? Vous portiez en vous le sceau de la ressemblance, plein de sagesse et d'une parfaite beauté ; précieuses, » des lumières et des ornements de sa grâce. «Comme un chérubin a des ailes étendues, vous avez brillé dans la sainte montagne de Dieu au milieu des pierreries embrasées : parfait dans vos voies dès le moment de votre création, jusqu'à ce que l'iniquité s'est trouvée en vous (Ezech., XXVIII, 12-15). » Comment s'y est-elle trouvée, par où y est-elle entrée ? L'erreur a-t-elle pu s'insinuer au milieu de tant de clartés, ou la dépravation et l'iniquité parmi de si grandes grâces ? Vraiment tout ce qui est tiré du néant en tient toujours. Vous étiez sanctifié, mais non pas saint comme Dieu : vous étiez réglé d'abord : mais non pas comme Dieu, la règle même. Une de vos beautés était d'être doué d'un libre arbitre : mais non pas comme Dieu, dont la volonté est sa règle, d'un libre arbitre indéfectible. Esprit superbe et malheureux, vous vous êtes arrêté en vous-même : admirateur de votre propre beauté, elle vous a été un piège. Vous avez dit : Je suis beau, je suis parfait et tout éclatant de lumière ; et au lieu de remonter à la source d'où vous venait cet éclat, vous avez voulu comme vous mirer en vous-même. Et c'est ainsi que vous avez dit : « Je monterai jusqu'aux cieux ; et je serai semblable au Très-Haut (Isa., XIV, 13-15.). » Comme un nouveau Dieu vous avez voulu jouir de vous-même. Créature si élevée par la grâce de votre créateur, vous avez affecté une autre élévation qui vous fût propre, et vous avez voulu « vous élever un trône au-dessus des astres, » pour être comme le Dieu, et de vous-même et des autres esprits lumineux que vous avez attirés à l'imitation de votre orgueil : et voilà que tout à coup « vous êtes tombé : » et nous qui sommes en terre, nous vous voyons « dans l'abîme » au-dessous de nous. C'est vous qui l'avez voulu, ange superbe, et il ne faut point chercher d'autre cause de votre défection que votre volonté propre. Dieu n'a besoin ni de foudre ni de la force d'un bras indomptable, pour atterrer ces rebelles ; il n'a qu'à se retirer de ceux qui se retirent de lui, et qu'à livrer à eux-mêmes ceux qui se cherchent eux-mêmes.
Maudit esprit laissé à toi-même, il n'en a pas fallu davantage pour te perdre : esprits rebelles qui l'avez suivi, Dieu, sans vous ôter votre intelligence sublime, vous l'a tournée en supplice : vous avez été les ouvriers de votre malheur, et dès que vous vous êtes aimés vous-mêmes plus que Dieu, tout en vous s'est changé en mal. Au lieu de votre sublimité naturelle, vous n'avez plus eu qu'orgueil et ostentation : les lumières de votre intelligence se sont tournées en finesse et artifices malins : l'homme que Dieu avait mis au-dessous de vous, est devenu l'objet de votre envie : et dénués de la charité qui devait faire votre perfection, vous vous êtes réduits à la basse et malicieuse occupation d'être premièrement nos séducteurs, et ensuite les bourreaux de ceux que vous avez séduits. Ministres injustes de la justice de Dieu, vous l'éprouvez les premiers : vous augmentez vos tourments en leur faisant éprouver vos rigueurs jalouses : votre tyrannie fait votre gloire, et vous n'êtes capables que de ce plaisir noir et malin, si on le peut appeler ainsi, que dorme un orgueil aveugle et une basse envie. Vous êtes ces esprits privés d'amour, qui ne vous nourrissez plus que du venin de la jalousie et de la haine. Et comment s'est fait en vous ce grand changement ?
Vous vous êtes retirés de Dieu, et il s'est retiré : c'est là votre grand supplice et sa grande et admirable justice. Mais il a pourtant fait plus encore : il a tonné, il a frappé : vous gémissez sous les coups incessamment redoublés de sa main invincible et infatigable : par ses ordres souverains la créature corporelle, qui vous était soumise naturellement, vous domine et vous punit : le feu vous tourmente : sa fumée, pour ainsi parler, vous étouffe : d'épaisses ténèbres vous tiennent captifs dans des prisons éternelles : maudits esprits, haïs de Dieu et le haïssant, comment êtes-vous tombés si bas ? Vous l'avez voulu, vous le voulez encore, puisque vous voulez toujours être superbes, et que par votre orgueil indompté vous demeurez obstinés à votre malheur.
Créature, quelle que tu sois et si parfaite que tu te croies, songe que tu as été tirée du néant : que de toi-même tu n'es rien : c'est du côté de cette basse origine que tu peux toujours devenir pécheresse , et dès là éternellement et infiniment malheureuse.
Superbes et rebelles, prenez exemple sur le prince de la rébellion et de l'orgueil ; et voyez, et considérez, et entendez ce qu'un seul sentiment d'orgueil a fait en lui et dans tous ses sectateurs.
Fuyons, fuyons, fuyons-nous nous-mêmes : rentrons dans notre néant et mettons en Dieu notre appui comme notre amour. Amen. Amen.
IIIe ELEVATION.
La persévérance et la béatitude des saints anges
« Il y eut un grand combat dans le ciel : Michel et ses anges combattaient contre le dragon et ses anges : le dragon et ses anges combattaient, et la force leur manqua, » et ils tombèrent du ciel, «et leur place ne s'y trouva plus (Apoc., XII, 7, 8). » Quel est ce combat? Quelles sont les armes des puissances spirituelles? «Nous n'avons point à combattre contre la chair et le sang, mais contre des malices spirituelles qui sont dans les cieux et dans cet air ténébreux» qui nous environne (Ephes., VI, 12.).
« Soyez heureux, saints anges. Venez à notre secours :
périssent en une nuit, par la main d'un seul de vous,
les innombrables armées de nos ennemis. »
Il ne faut donc point s'imaginer dans ce combat, ni des bras de chair, ni des armes matérielles, ni du sang répandu comme parmi nous : c'est un conflit de pensées et de sentiments. L'ange d'orgueil qui est appelé le dragon, soulevait les anges et disait : Nous serons heureux en nous-mêmes et nous ferons comme Dieu notre volonté; et Michel disait au contraire : « Qui est comme Dieu? » Qui se peut égaler à lui? d'où lui est venu le nom de Michel, c'est-à dire qui est comme Dieu? Mais qui doute dans ce combat, que le nom de Dieu ne l'emporte ? Que pouvez-vous, faibles esprit»; faibles, dis-je, par votre orgueil? que pouvez-vous. contre l'humble armée du Seigneur qui se rallie à ce mot : « Qui est comme Dieu? » Vous tombez du ciel comme un éclair, et votre place qui y était si grande y demeure vide. O quel ravage y a fait votre désertion! quels vastes espaces demeurent vacants! ils ne le seront pas toujours, et Dieu créera l'homme pour remplir ces places que votre désertion a laissées vacantes. Fuyez, troupe malheureuse : « Qui est comme Dieu ? » Fuyez devant Michel et devant ses anges.
Voilà donc le ciel purifié : les esprits hautains en sont bannis à jamais : il n'y aura plus de révolte, il n'y aura plus d'orgueil ni de dissension : c'est une Jérusalem, c'est une ville de paix, où les « saints anges » unis à Dieu et unis entre eux, « voient éternellement la face du Père (Matth., XVIII, 10) ; » et assurés de leur félicité, attendent avec soumission le supplément de leurs Ordres qui leur viendront de la terre.
Saints et bienheureux esprits, qui vous a donné de la force contre cet esprit superbe qui était un de vos premiers princes, et peut-être le premier de tous ? Qui ne voit que c'est le nom de Dieu que vous avez mis à votre tête en disant avec saint Michel : « Qui est comme Dieu ? » Mais qui vous a inspiré cet amour victorieux pour le nom de Dieu ? Ne nous est-il pas permis de penser que Dieu même vous a inspiré, comme il a fait aux saints hommes, cette dilection invincible et victorieuse qui vous a fait persévérer dans le bien ; et de chanter en action de grâce de votre victoire, ce que dit à Dieu un de ses saints : « C'est à vous qu'ils doivent leur être : c'est à vous qu'ils doivent leur vie : c'est à vous qu'ils doivent de vivre justes : c'est à vous qu'ils doivent de vivre heureux (S. August) ? » Ils ne se sont pas faits eux-mêmes meilleurs et plus excellents que vous ne les avez faits ; ce degré de bien qu'ils ont acquis en persévérant, leur vient de vous. Et comme dit un autre de vos saints : « La même grâce qui a relevé l'homme tombé, a opéré dans les anges saints le bonheur de ne tomber pas : elle n'a pas délaissé l'homme dans sa chute, mais elle n'a pas permis que les anges bienheureux tombassent (S. Bernard., serm. XXII in Cant., n. 6). »
J'adore donc la miséricorde qui les a faits heureux en les faisant persévérants ; et appelé par votre Apôtre au témoignage des « anges élus (I Timoth., V, 21.) » je reconnais en eux comme en nous votre élection en laquelle seule ils se glorifient. Car si je disais qu'ils se glorifient, pour peu que ce fût, en eux-mêmes, je craindrais, Seigneur, et pardonnez-moi si je l'ose dire, je craindrais en les rangeant avec les déserteurs, de leur en donner le partage.
Mais quoi donc! a-t-il manqué quelque chose aux mauvais anges du côté de Dieu? Loin de nous cette pensée! ils sont tombés par leur libre arbitre : et quand on demandera : Pourquoi Satan s'est-il soulevé contre Dieu ? La réponse est prête : c'est parce qu'il l'a voulu. Car il n'avait point comme nous à combattre une mauvaise concupiscence qui l'entraînât au mal comme par force : ainsi sa volonté était parfaitement libre, et sa désertion est le pur ouvrage de son libre arbitre. Et les saints anges, comment ont-ils persévéré dans le bien? Par leur libre arbitre sans doute, et parce qu'ils l'ont voulu. Car n'ayant point cette maladie de la concupiscence, ni cette inclination indélibérée vers le mal dont nous sommes tyrannisés, ils n'avoient pas besoin de la prévention de cet attrait indélibéré qui nous incline vers le bien, et qui est dans les hommes enclins à mal faire, le secours médicinal du Sauveur. Au contraire, dans un parfait équilibre, la volonté des saints anges donnait seule, pour ainsi parler, le coup de l'élection ; et leur choix que la grâce aidait, mais qu'elle ne déterminait pas, sortait comme de lui-même par sa propre et seule détermination. Il est ainsi, mon Dieu ; et il me semble que vous me faites voir cette liberté dans la notion que vous me donnez du libre arbitre, lorsqu'il a été parfaitement sain.
Il était tel dans tous les anges; mais cependant ce bon usage de leur libre arbitre, qui est un grand bien, et en attire un plus grand encore, qui est la félicité éternelle, peut-il ne pas venir de Dieu ? Je ne le puis croire ; et je crois, si je l'ose dire, faire plaisir aux saints anges en reconnaissant que celui qui leur a donné l'être comme à nous, la vie comme à nous, la première grâce comme à nous, la liberté comme à nous, par une action particulière de sa puissance et de sa bonté, leur a donné comme à nous encore, par une action de sa bonté particulière, le bon usage du bien ; c'est-à-dire le bon usage de leur libre arbitre, qui était un bien, mais ambigu, dont on pouvait bien et mal user, que Dieu néanmoins leur avait donné ; et combien plus leur a-t-il donné le bien dont on ne peut pas mal user, puisque ce bien n'est autre chose que le bon usage? Tout vient de Dieu ; et l'ange, non plus que l'homme, « n'a point à se glorifier en lui-même (I Cor., I, 29, 31.) » par quelque endroit que ce soit, mais toute sa gloire est en Dieu. Il lui a donné la justice commencée, et à plus forte raison la justice persévérante qui est plus parfaite comme plus heureuse, puisqu'elle a pour sa récompense cet immuable affermissement de la volonté dans le bien, qui fait la félicité éternelle des justes.
Oui, saints anges, je me joins à vous pour dire à Dieu que vous lui devez tout, et que vous voulez lui tout devoir, et que c'est par là que vous avez triomphé de vos malheureux compagnons, parce que vous avez voulu tout devoir à celui à qui vous deviez l'être, la vie et la justice, pendant que ces orgueilleux oubliant ce qu'ils lui devaient, ont voulu se devoir à eux-mêmes leur perfection, leur gloire, leur félicité.
Soyez heureux, saints anges. Venez à notre secours : périssent en une nuit, par la main d'un seul de vous, les innombrables armées de nos ennemis (IV Reg., XIX, 35; Isa., XXXVII, 36.) : périssent en une nuit, par une semblable main, tous les premiers nés de l'Egypte, persécutrice du peuple de Dieu (Exod., III, 29) : saint ange, qui que vous soyez, que Dieu a commis à ma garde, repoussez ces superbes tentateurs, qui pour continuer leur combat contre Dieu, lui disputent encore l'homme qui est sa conquête, et vous le veulent enlever. O saint ange, puissant protecteur du peuple saint, « dont vous offrez à Dieu les prières comme un encens agréable (Apoc., VIII, 3), ô saint Michel, que je puisse dire sans fin avec vous : «Qui est comme Dieu? » O saint Gabriel, qui êtes appelé la force de Dieu, vous qui avez annoncé à Marie la venue actuelle du Christ (Luc., I, 26), dont vous aviez prédit à Daniel l'arrivée future (Dan., IX, 2, 22, 23, etc) inspirez-nous la sainte pensée de profiter de vos prédictions. O saint Raphaël, dont le nom est interprété la médecine de Dieu, guérissez mon âme d'un aveuglement plus dangereux que celui du saint homme Tobie : liez le démon d'impudicité, qui attaque les enfants d'Adam même dans la sainteté du mariage (Tob., V, 17, 21, 27; VIII, 3; XI, 13-15) : liez-le, car vous êtes plus puissant que lui, et Dieu même est votre force. Saints anges, tous tant que vous êtes « qui voyez la face de Dieu (Matth., XVIII, 10.) » et à qui « il a commandé de nous garder dans toutes nos voies (Psal. XC, 11), » développez sur notre faiblesse les secours de toutes les sortes que Dieu vous a mis en main pour le salut de ses élus, « pour lesquels il a daigné vous établir des esprits administrateurs (Hebr., I, 14.). »
O Dieu, envoyez-nous vos saints anges : ceux qui ont servi Jésus-Christ après son jeune : ceux»qui ont gardé son sépulcre et annoncé sa résurrection (Matth., IV, 11; XXVIII, 2, 5) : celui qui l'a fortifié dans son agonie (Luc., XXII, 43.) : car Jésus-Christ n'avait pas besoin de son secours pour lui-même, mais seulement parce qu'il s'était revêtu de notre faiblesse, et ce sont les membres infirmes que cet ange consolateur est venu fortifier en la personne de leur chef.
Bossuet, Discours sur la vie cachée en Dieu, in Oeuvres Complètes, vol. VII, 1862.
21/11/2008
DE LA NATURE ET DE LA GRÂCE
RÉFUTATION DE PÉLAGE.
In Oeuvres complètes de Saint Augustin, sous la direction de M. Raulx, tome XVIIème,
p. 185 à 221, Bar-le-Duc 1871
Le meutre d'Abel (Genèse 4, 8-16)
Illustration de Gustave Doré
S'appuyant sur les écrits de saint Augustin, Jansénius (1585-1638) crut nécessaire, à une période où une dérive significative menaçait la doctrine chrétienne sous la forme du contestable courant moliniste diffusant une théologie laxiste et permissive, de réaffirmer que la grâce divine est un dont absolument gratuit, donné par Dieu, et qu’elle seule peut suppléer à la nature abîmée par le péché de la créature. Cette position, parfaitement conforme à l’enseignement de l’Ecriture, engendra pourtant de vifs débats à l'intérieur de l'Eglise, que le pouvoir politique trancha de façon inqualifiable en usant d'une contrainte injuste et scandaleuse à l'égard de Rome [1].
Or, la doctrine de la grâce, si incomprise, qui fut cependant relayée au XVIIe siècle par les oratoriens, exige que l’on se penche tout d’abord sur ce que l’évêque d’Hippone exposa dans ses écrits, d’où la nécessité de se reporter à l’un de ses textes les plus importants, soit le célèbre « De natura et Gracia », qui fut écrit contre les positions soutenues par l’hérétique moine irlandais Pélage (v. 350 - v. 420). On sera attentif dans ces lignes doctes et emplies d’une science éclairée, au passage portant sur la situation des enfants morts sans baptême, qui reste un élément fondamental du dogme catholique traditionnel [2].
Notes
[1] C’est un Louis XIV vieillissant, à l’orgueil blessé, manifestant un aveugle entêtement et dont la responsabilité est immense dans cette triste affaire, qui demanda au pape Clément XI (1649-1721) à partir de 1701, alors qu’un climat plus serein, connut sous le nom de « paix clémentine » - consécutive à l’accord qui avait été réalisé en 1669 entre le Saint Siège en la personne de Clément IX (1600-1669) et les partisans de Jansénius permettant à l’abbaye de Port-Royal-des-Champs de rouvrir ses portes et d’y accueillir de nouveau des âmes avides de Dieu - perdurait depuis plusieurs années, une nouvelle condamnation, origine de la bulle « Vineam Domini » (1705), qui va révolter de nombreux théologiens de la Sorbonne et provoquer une crise inutile. Toutefois le roi, non complètement satisfait, décida de plus encore réprimer les pieux dévots de saint Augustin. En effet, en octobre 1709, les religieuses de Port-Royal qui avaient refusé de signer la bulle seront dispersées, deux ans plus tard le monastère fondé et édifié au XIIIe siècle, sera même rasé à la poudre à canon, les cadavres des religieuses exhumés et indignement jetés à la fosse commune. Non content de cet acte ignoble et impie, Louis XIV, ira plus loin encore, il exigea une nouvelle bulle de condamnation à l’égard des partisans de Jansénius, insistant de telle façon que Clément XI promulguera la célèbre bulle « Unigenitus » le 8 septembre 1713. Cette dernière condamne, de façon plus que curieuse sur le plan théologique, les thèses augustiniennes sur la grâce, ce qui fit que plusieurs évêques en France, et des centaines de religieux ne la signeront jamais. On pourra d’ailleurs trouver bien étrange que certains s’appuient encore sur les décisions papales obtenues sous la contrainte pour ternir la pensée augustinienne, alors même qu’en octobre 1999, sous l’impulsion de Jean-Paul II, l’Eglise Catholique romaine et la Fédération Luthérienne Mondiale des Eglises ont signé une “Déclaration commune” portant sur la question théologique de la justification, déclaration qui, finalement, avalise en partie ce que disait Jansénius dans l’Augustinus au sujet du don gratuit de la grâce.
[2] Saint Augustin affirme que les âmes des enfants non baptisés, dont « toute douleur est exclue de leur peine », ne souffrent en enfer que de la « peine la plus douce » (Enchiridion, 103), c’est-à-dire que ces âmes se trouvent dans un état intermédiaire n’encourant pas véritablement les souffrances de l’enfer mais sont seulement privées de la béatitude du paradis à cause du péché originel qui infecta Adam et toute sa descendance charnelle. C’est de cette difficulté que surgira, au XIIIe siècle, l’idée consolante des limbes (‘‘limbus puerorum’’ ou limbes des enfants), lieu intermédiaire dans lequel les âmes des nouveaux-nés non baptisés se trouvent placées, état d’attente non douloureuse, et encore pour un temps, soit jusqu’à l’heure du jugement dernier ou les mystères infinis de la miséricorde divine pourront s’exercer selon des vues et une volonté qu’il ne nous appartient ni de connaître, ni d’interpréter.
Saint Augustin évêque d'Hippone (354-430)
LA NATURE, CRÉÉE DANS L'INNOCENCE, A ÉTÉ DEPUIS SOUILLÉE PAR LE PÉCHÉ.
3. L'homme fut créé sans tache et sans souillure ; mais Adam se rendit coupable, et toute sa postérité a besoin d'être guérie, parce qu'elle n'est plus saine. Malgré sa chute, il lui reste des biens qui font partie de sa constitution, de sa vie, de ses sens, de son intelligence, et ces biens, il les a reçus de la main de son Créateur. Le vice est survenu, plongeant dans les ténèbres et affaiblissant ces biens naturels et rendant nécessaires la diffusion de la lumière et l'application du remède ; mais ce vice n'est point l'oeuvre de Dieu; car ce vice de la part d'Adam, fut le résultat du dérèglement de son libre arbitre, et, de la part de hommes, il est la conséquence du péché originel. Par conséquent notre nature viciée n'a plus droit qu'à un châtiment légitime. Sans doute, nous sommes devenus une nouvelle créature en Jésus-Christ, mais. « nous étions par la corruption de notre nature, enfant de colère aussi bien que les autres hommes. Dieu, qui est riche en miséricorde, poussé par l'amour extrême dont il nous a aimés lorsque nous étions morts par nos péchés, nous a rendu la vie en Jésus-Christ, par la grâce duquel nous sommes sauvés (1) ».
1. Ephés. II, 3-5.
LA GRÂCE GRATUITE.
4. Or, cette grâce de Jésus-Christ, sans laquelle ni les enfants ni les adultes ne peuvent être sauvés, ne nous est point donnée à raison de nos mérites, mais d'une manière absolument gratuite ; de là son nom de grâce. « Nous avons été justifiés gratuitement par son sang », dit l'Apôtre. D'où il suit que ceux qui n'ont pas été délivrés par cette grâce, soit parce qu'ils n'ont pas pu en entendre parler, soit parce qu'ils n'ont pas voulu obéir, soit que leur âge ne leur permette pas de comprendre, soit enfin parce qu'ils n'ont pas reçu le sacrement de la régénération, qu'ils auraient pu recevoir ci qui les aurait sauvés, tous ceux-là, dis-je, sont privés du bonheur du ciel, et cette condamnation n'est que justice ; car ils ne sont pas sans péché, soit qu'il s'agisse du péché originel, soit qu'il s'agisse des péchés actuels. « Car tous ont péché », soit en Adam, soit en eux-mêmes, et « tous ont besoin de la gloire de Dieu ».
LA JUSTICE EXIGEAIT LA CONDAMNATION DE TOUS LES HOMMES.
5. Ainsi donc, par le fait de leur origine, tous les hommes sont soumis au châtiment, et lors même que tous subiraient en réalité le supplice de la damnation, ce ne serait que rigoureuse justice. Voilà pourquoi ceux qui sont délivrés par la grâce ne sont pas appelés des vases de leurs propres mérites, mais des vases de miséricorde (1). Et de qui cette miséricorde, si ce n'est de celui qui a envoyé Jésus-Christ en ce monde pour sauver les pécheurs (2), c'est-à-dire ceux qu'il a connus par sa prescience, qu'il a prédestinés, qu'il a appelés, qu'il a justifiés et qu'il a glorifiés (3) ? N'est-ce donc pas le comble de la folie que de ne point rendre d'ineffables actions de grâce à la miséricorde de celui qui délivre ceux qu'il a voulu, quand on sait que la justice autorisait parfaitement le Seigneur à réprouver tous les hommes sans aucune distinction ?
1. Rom. IX, 23.— 2. I Tim. I, 15.— 3. Rom. VIII, 29, 30.
LES HARDIESSES DES PÉLAGIENS.
6. Si nous saisissons le sens de ces passages de l'Ecriture, nous ne verrons aucune nécessité de disputer contre la grâce chrétienne et de recourir à toute sorte d'arguments pour montrer que la nature humaine, dans les enfants, n'a pas besoin d'être guérie, parce qu'elle est saine, et que cette même nature, dans les adultes, peut se suffire à elle-même si elle veut, pour arriver à la justice. Pour établir des démonstrations de ce genre, les Pélagiens se mettent en frais d'esprit et de finesse ; mais toute leur sagesse n'est qu'une sagesse de paroles pour détruire la croix de Jésus-Christ (4). « Cette sagesse n'est pas la sagesse qui descend du ciel (5) ». Je ne veux pas les suivre dans la hardiesse de leurs inventions, car je craindrais de paraître faire injure à nos amis pour lesquels je n'ai qu'un seul désir, celui de voir leur intelligence aussi prompte que perspicace suivre toujours la voie droite qui conduit à la vérité.
4. I Cor. I, 17. — 5. Jacq. III, 15
CEUX QUI N'ONT PU ÊTRE JUSTIFIÉS SONT ÉGALEMENT CONDAMNÉS.
9. Pesez bien ses paroles. Je suppose un enfant ayant pris naissance dans un lieu où il n'a pu recevoir le baptême de Jésus-Christ; il meurt dans cet état, c'est-à-dire privé du sacrement de la régénération, parce qu'il n'a pu le recevoir. Notre auteur l'absolvera-t-il et lui ouvrira-t-il le royaume des cieux contre la sentence manifeste du Sauveur (5) ? Du moins, il est évident que l'Apôtre ne l'absout pas, quand il s'écrie : « Le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, et c'est ainsi que la mort est passée dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (6) » . Ainsi donc, en vertu de cette condamnation qui court à travers toute la masse, cet enfant ne saurait être admis dans le royaume des cieux, quoiqu'il y ait eu pour lui une véritable impossibilité de devenir chrétien.
5. Jean, III, 5. — 6. Rom. V,12.
QUICONQUE N'A PAS ENTENDU LE NOM DE JÉSUS-CHRIST NE SAURAIT ÊTRE JUSTIFIÉ.
10. « Mais », répondent les Pélagiens, « cet homme n'est point condamné; car s'il est dit que tous ont péché en Adam, il ne s'agit que d'une simple imitation et non pas d'une
souillure réelle contractée par le péché originel ». Si donc on soutient qu'Adam est l'auteur des péchés commis par sa postérité, parce qu'il a été de tous les hommes le premier pécheur, pourquoi ne pas dire d'Abel, plutôt que du Christ, qu'il est le chef de tous les justes, puisqu'il a été de tous les hommes le premier juste? Remarquez que ce n'est plus d'un enfant que je parle; je suppose qu'un jeune homme ou un vieillard meurt dans une contrée où il n'a pu entendre parler de Jésus-Christ, et je demande si, oui ou non, il a pu être justifié par la nature ou par son libre arbitre. S'ils disent qu'il a pu être justifié, je demande si l'on peut, sans anéantir la croix de Jésus-Christ, soutenir que tel homme a pu être justifié par la lai naturelle et par son libre arbitre. S'il en est ainsi, il ne nous reste qu'à dire : « C'est inutilement que Jésus-Christ est mort », car la justification possible à un homme l'était également pour tous, lors même que Jésus-Christ ne serait pas mort; et si c'est uniquement parce qu'ils l'ont voulu que les hommes sont coupables, ce n'est donc plus parce qu'ils ne pouvaient être justes par eux-mêmes. Or, il est certain que personne ne peut être justifié sans la grâce de Jésus-Christ; vienne maintenant le Pélagien poussant l'audace jusqu'à absoudre tel ou tel pécheur en nous disant: « Puisqu'il n'est ce qu'il est, que parce qu'il n'a pu être autrement, il est par là même exempt de toute faute ».
NOTRE CORPS EST DIT UN CORPS DE MORT A CAUSE DU VICE DONT IL EST ATTEINT ET NON A CAUSE DE SA SUBSTANCE MÊME.
65. Je demande donc où la nature humaine a perdu cette liberté qu'elle redemande avec anxiété quand elle s'écrie : « Qui me délivrera ? » Ce n'est certes pas la substance même de la chair que l'Apôtre accuse lorsqu'il demande à être délivré de ce corps de mort, car la substance du corps comme celle de l'âme est l'oeuvre d'un Dieu bon. Quand donc il gémit, ce ne peut être que des vices du corps. Quant au corps lui-même, la mort nous en sépare; quant aux vices qu'il a contractés, ils adhèrent à notre personnalité et méritent ces châtiments que le mauvais riche a trouvés dans l'enfer (1). Voilà ce dont ne pouvait se séparer celui qui s'écriait « Qui me délivrera de ce corps de mort? »
Cependant, quoique l'homme ait perdu cette liberté, il lui reste cette possibilité inséparable de la nature, dont nous parle l'auteur ; il a le pouvoir d'agir par sa force naturelle, il a la puissance de vouloir par son libre arbitre; pourquoi donc demande-t-il le sacrement de Baptême? Est-ce à cause des péchés commis, de manière à en obtenir le pardon, quoiqu'ils ne puissent produire aucune solidarité? Laissez l'homme demander ce qu'il demandait. Ce qu'il désire, ce n'est pas seulement de ne point être puni pour ses péchés passés, mais aussi de ne plus se sentir si violemment entraîné vers le mal. En effet, il se réjouit dans la loi de Dieu selon l'homme intérieur, mais il voit dans ses membres une autre loi qui combat la loi de son esprit; cette loi n'est pas pour lui un souvenir du passé, mais une chose actuelle et immédiate; c'est le présent qui l'accable, et non pas seulement le passé qui l'affecte.
Non-seulement il sent en lui-même ce com. bat, mais il se voit captif sous la loi du péché, et cette loi n'est pas un souvenir ; car elle a toute la force de la réalité. De là ce cri: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? » Laissez-le prier, laissez-le invoquer le secours de son médecin tout-puissant. D'où lui vient la contradiction? D'où lui vient le reproche? Est-il possible que ce soient des chrétiens qui l'empêchent dans sa misère d'implorer la miséricorde de Jésus-Christ? Ne marchaient-ils pas avec le Sauveur ceux qui empêchaient l'aveugle de demander par ses cris la lumière? Mais malgré le tumulte et l'opposition, Jésus-Christ a entendu sa prière (1). De là cette réponse : « La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur ».
66. Or si nos adversaires nous concèdent, pour ceux qui ne sont pas encore baptisés, le droit d'implorer le secours de la grâce du Sauveur, n'est-ce point de leur part une contradiction flagrante avec cette doctrine tant de fois professée par eux de la suffisance de la nature et de la puissance du libre arbitre? Comment, en effet, peut-il se suffire à lui-même celui qui ne cesse de crier : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera? » Quand on demande à être délivré, peut-on s'entendre dire qu'on jouit d'une liberté parfaite?
1. Luc, XVI, 22-26.
MÊME SUJET.
Voyons ensuite si ceux-là mêmes qui sont baptisés font le bien qu'ils veulent sans aucune répulsion de la concupiscence de la chair. Mais ce que nous pourrions dire se trouve résumé par notre auteur dans la conclusion même du passage que nous étudions. « Comme nous l'avons dit, conclut-il, ces paroles : La chair convoite contre l'esprit, doivent s'entendre non pas de la substance de la chair, mais des vices ou des oeuvres de la chair ». Nous aussi nous parlons, non pas de la substance de la chair, mais des oeuvres qui viennent de la concupiscence charnelle, c'est-à-dire du péché contre lequel l'Apôtre nous adresse cette défense : « Que le péché ne règne point dans notre corps mortel, de telle sorte que nous obéissions à ses désirs (1) ».
1. Marc, X, 46, 52.
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