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17/10/2008

"PORT-ROYAL ET LA TRADITION CHRETIENNE D’ORIENT"

JANSENISME ET ORTHODOXIE :

 

 

 

 

Saint Augustin

 

 

Le Colloque organisé à Montpellier les 27 et 28 septembre 2008, sur le thème : ''Port-Royal et et la tradition chrétienne d'Orient'', fut une judicieuse idée ! En effet, on ignore souvent dans le grand public, que l'introduction de l'orthodoxie en France a été l'oeuvre du Père Guettée Wladimir (1816 - 1892) proche des idées jansénistes, qui publia en 1851, en six volumes une « Histoire de l’Église de France », avec l'approbation de cinquante évêques, provoquant l'ire des ultramontains, jamais en reste d'une ruse jésuitique, qui allèrent jusqu'à lui proposer de renoncer à ses idées en échange d’un siège épiscopal. Sous Pierre Ier,  des jansénistes tentèrent, il est vrai, d'engager le dialogue avec les orthodoxes russes à propos de l'unification des églises. Par ailleurs l'abbé Jacques Jubé (1674-1745), considéré comme janséniste, se rendit en Russie, de 1728 à 1732, essayant, de façon parfaitement officielle et en accord avec ses autorités ecclésiastiques, de rapprocher les églises séparées.

Il existe de nombreuses variantes des réponses faites par le clergé russe et les dignitaires influents de l’église schismatique face aux démarches effectuées par l'abbé Jubé. D'autre part, il convient de signaler qu'un poète comme V. Trediakovskij, fut très proche de l'entreprise des jansénistes, la jugeant relativement encourageante, et il ne fut pas rare de voir de nombreux intellectuels d'alors se rapprocher, en terre orthodoxe, des thèses augustiniennes. D’ailleurs pourquoi le lien entre jansénistes et orthodoxes est-il possible ? Tout simplement par un rejet commun de l'infaillibilité pontificale considérée, à juste titre, comme contraire à la longue tradition épiscopalienne de l'Eglise primitive.

Toutefois, malgré cette convergence de vue au sujet de l'autorité relative qu'il convient d'accoder à l'évêque de Rome sur le plan dogmatique, il ne faut pas se le cacher, un problème important demeure entre les orthodoxes et les jansénistes, problème qui porte sur la doctrine de saint Augustin d'Hippone, considéré comme hérétique par certains théologiens orientaux, puisqu’on est allé jusqu'à l'exclure purement et simplement de la liste des saints. Ses enseignements furent très souvent singulièrement contestés par les théologiens orientaux, et la controverse doctrinale la plus importante autour de son nom porte, encore aujourd’hui, sur la question du « filioque » [1]. Mais, beaucoup d'autres points doctrinaux sont également présentés comme étant inacceptables pour l'église orthodoxe, en particulier, cela n'est pas surprenant sachant que les orientaux font preuve d'une singulière et fautive minoration optimiste des conséquences de la chute, sa conception du péché originel et sa position à l’égard de la grâce, sans oublier, évidemment, tant cette question soulève d'immenses difficultés pour une théologie pénétrée par d'innombrables  imprécisions consécutives d'un idéalisme métaphysique foncièrement "utopique", ses analyses portant sur la prédestination.

Il n'est donc pas hasardeux qu'au XVIIe siècle, Isaac Habert (1598-1668), théologal de l'Église de Paris, puis évêque de Vabres, pourtant farouchement anti-augustinien, ait établi, d’ailleurs d'une manière très pertinente, que la doctrine des Pères grecs était foncièrement semi-pélagienne dans son ensemble, est donc unanimement contraire au aux thèses de saint Augustin, ce qui était vrai, et donnait en quelque sorte raison à Jansénius qui n'avait pas, on le sait et c'est le moins que l'on puisse dire, en très grande estime la théologie des Pères grecs !

De la sorte nous ne sommes pas surpris des propos de conclusion du compte-rendu de ce Colloque, effectué par Jean-Marie Gourvil qui déclare : « Quelles convergences entre Port Royal et l'orthodoxie ? Probablement peu de chose sur le plan théologique ». Effectivement, mais le contraire eut été étonnant, car comment trouver un terrain d’entente entre ceux qui écartèrent du sanctoral l’évêque d’Hippone et qui, dans le même temps, fêtent Cassien comme un saint, alors que ce dernier s'éleva contre la séparation, qu'il jugeait inexacte, que saint Augustin avait établie, avec une remarquable science, entre la nature humaine et la grâce. Nous ne pouvons donc que nous retrouver en parfait accord avec Thomas Bradwardine qui déclarait, non sans raison et avec un sens spirituel relativement exact : « Les Pères grecs sont des fauteurs de Pélagianisme .[2] » Et ce problème insurmontable, montrant que la doctrine de la grâce n'a absolument pas été comprise ni perçue jusqu'à aujourd'hui [3], à sa juste valeur par les pères orientaux qui soutiennent dans leurs écrits des thèses positivement pélagiennes, manifeste une différence profonde à propos d'un élément dogmatique fondamental, facteur inévitable d'une radicale divergence entre l'augustinisme et les docteurs des églises schismatiques.

 

Notes

 

[1] «Le Saint-Esprit, écrit Augustin, procède principiellement [principaliter] du Père et, par le don intemporel de celui-ci au Fils, du Père et, le don intemporel de celui-εi au Fils, du Père et du Fils en communion [communier]» (ibid). Saint Augustin explique que le Saint-Esprit procède du Père; mais il ajoute : «le Père a accordé au Fils que le Saint-Esprit procède de lui comme il procède de lui-même» (Tract. in lo., XCIX, 9, PL 35, 1890 = De Τrin., XV, 27,48 PL 42,1095; voir aussi De Τrin., XV, 26,47, PL 42, 1094-1095; XV, 1729, PL 42, 1081; Τract. in lo., XCIX, 8, PL 35, 1890).

 

[2] Critique de la bibliothèque des auteurs ecclésiastiques de Dupin, 1730. [

 

[3] L'un des auteurs orthodoxes modernes les plus caractéristiques de cette déviation pélagienne, soutenant, sous prétexte d'une dimension sacrée qui serait l'apanage des choses en vertu de leur destination à la gloire, ceci sans aucun critère sacramentaire et dans un parfait oubli de la condition ténébreuse dans laquelle se trouve plongée toute la création depuis la chute, des thèses passablement erronées qui frisent allègrement, par leur idéalisme cosmique, avec le panthéisme naturaliste le plus pur, est Mgr Kallistos Ware évêque de Diokleia, qui écrit, dans l'un de ses ouvrages : "Toutes choses sont potientiellement sacrées, car les énergies divines et incréées sont présentes et actives au-dedans d'elles. [...] Le Christ partage la vie et la mort de l'homme et nous participons aux énergies divines, recevant ainsi la théosis." (K., Ware, L'Île au-delà du monde, Cerf, 2005, p. 152-153.)

 

 

 

 *

 

 

COMPTE-RENDU DU COLLOQUE

 

 

 

Par Jean-Marie Gourvil

 

 

 

Du 25 au 27 septembre 2008, s'est tenu au couvent des dominicains de Montpellier, un colloque réunissant universitaires, chercheurs et représentants de l'orthodoxie sur le thème de “Port-Royal et la tradition chrétienne d'Orient”. Cette réunion placée sous l’égide de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier et de l’Institut de recherches sur l’âge classique et les Lumières (CNRS) était organisé par la Société des amis de Port Royal.

Le mouvement de Port-Royal a en effet favorisé le retour aux sources patristiques et a prôné le respect de la tradition des Églises d’Orient. Les “Messieurs” se sont intéressés aux Pères grecs alors souvent méconnus, et ont tenté de les concilier avec leur vénération pour saint Augustin.

 

Le colloque a permis de dégager certaines convergences entre Port Royal et l'orthodoxie tout en ne masquant pas les différences théologiques profondes. Une interrogation a traversé ce colloque : est-ce que la lecture des Pères grecs et le recours à la tradition orientale de Port Royal est fidèle à l'interprétation orthodoxe ou est-elle faussée par l'augustinisme? Question délicate auxquelles les communications ont essayé de répondre de façon nuancée.

Parmi les interventions il faut signaler celles de J. Lesaulnier, sur l'hellénisme à Port-Royal, de S-A Roussel sur les Pères du désert dans les Mémoires de Port-Royal, de P. Thouvenin sur saint Jean Chrysostome à Port-Royal et de H. Savon sur l'un des traducteurs et commentateur janséniste de Jean Chrysostome. A Frigo fit une communication sur le portrait à Port-Royal et son rapport avec l'art de l'icône.

Bernard Chédozeau, l'un des principaux animateurs avec Christian Belin, de cette rencontre fit une intervention importante sur Port-Royal et les Églises orientales sur le sujet de l’eucharistie. La contribution de J. Grès-Gayer fut centrée sur la diplomatie de Port-Royal en vue d'une union avec l'Eglise russe et celles de A. Alix sur l'itinéraire de deux prêtres jansénistes vers la Russie (Jubé et Guettée) dont l'un fut reçu dans la communion de l'Eglise russe par un simple appel à concélébrer.

 

Le père Dubray, fit une communication très documentée sur les rapports qu'entretenait avec la Russie durant la Révolution et le début de l'Empire, l'abbé Grégoire. Ce chef de l'Eglise de France rêvait que soit adoptée l'ecclésiologie orthodoxe et que l'Eglise gallicane rejoigne les Eglises d'Orient.

Les contributions orthodoxes vinrent nuancer les envies de convergence trop rapides entre l'orthodoxie et Port Royal mais montrèrent quelques dynamiques communes. G. Arabatzis, d'Athènes fit une comparaison entre la logique de Port -Royal et celle du philosophe grec du XVIIIème Eugène Voulgaris.

Le père Alexander Chistyakov, le père Placide Deseille et Boris Tarassov centrèrent leurs interventions sur Pascal et notamment sur la notion de cœur chez l'auteur des Pensées. Contributions fines, précises, nuancées qui ont montré que malgré les présupposés théologiques de Pascal (augustinisme, thomisme...) son expérience spirituelle exprimée dans un vocabulaire qui n'est pas celui de l'Orient, est une théoria, une contemplation, que l'orthodoxie peut reconnaître. La comparaison de Pascal et d'Isaac le Syrien, faite par le père Placide Deseille, montra des convergences profondes.

K.Kachliavik fit une mise en parallèle de Blaise Pascal et de l’archiprêtre Avvakum. En reprenant la thèse de Pierre Pascal elle essaya de montrer les similitudes entre Port-Royal et le Raskol.

A l'inverse J-M Gourvil montra tout ce qui a éloigné de l'orthodoxie l'un des jansénistes les plus anti-mystiques, Pierre Nicole. Son Traité sur la prière qui marqua tant le XVIIIème et le XIXème se situe aux antipodes de la tradition philocalique. Son alliance avec Bossuet donnera à sa position une légitimité qui marquera durablement la mentalité catholique.

Michel Stavrou, professeur à l'Institut Saint Serge dans sa contribution intitulée « Le péché des origines dans l’orthodoxie et à Port-Royal » montra, malgré l'intérêt que porta Port-Royal à l'Orient, combien les thèses augustiniennes sont incompatibles avec l'orthodoxie. Certaines traductions de saint Jean Chrysostome faites par les « Messieurs » sur le péché originel étaient marquées par les thèses augustiniennes et déformaient la pensée de l'archevêque de Constantinople, même si Port-Royal s'est identifié à lui en raison notamment de son bannissement.

Port-Royal apparaît donc au regard de l'orthodoxie comme un mouvement pluriel, complexe qu'il faut regarder avec discernement.

Quelles convergences entre Port Royal et l'orthodoxie? Probablement peu de chose sur le plan théologique mais comme l'écrivait Louis Cognet à propos des fondements existentiels du jansénisme [1] c'est peut-être la reconnaissance commune d'un christianisme qui doit être exigeant, qui veut être vécu sans compromission, qui en appelle aux Pères du désert et aux grandes figures de l'Eglise pour fonder une indépendance, pour revendiquer les droits de la personne face au monde, face au pouvoir, qui accepte une vision du monde théocentrique.

 

 

[1] Louis Cognet, Le Jansénisme, PUF, 1961, p. 124